• Au musée du Louvre

    Un maître du baroque

    Présent du 2 avril 2011

    Avec Bernin et Borromini, Cortone (1597-1669) est l’un des trois maîtres du baroque romain. En les considérant sous leur dénominateur commun d’architecte, ce n’est pas le plus grand. Il n’a pas la puissance triomphante du premier, qui reflète celle des papes pour lesquels il travailla, ni l’intériorité du second, dont les commanditaires furent souvent des ordres religieux. Cortone a réalisé, à Rome, les façades, marquées du sceau baroque de la convexité, de Santa Maria Della Pace (accolée au si simple cloître de Bramante), de Santa Maria in Via Lata, de Santi Luca e Martina. A cette église-ci, dont il creusa la crypte, il légua sa fortune (et non à la sainte elle-même ! comme on le lit çà et là). Il y est enterré. Santi Luca e Martina était l’église des peintres, à proximité de l’Académie de dessin, dite de Saint-Luc.

    Cortone aurait pu être l’architecte du Louvre. Il fut consulté par Colbert pour l’aile orientale, avec Reinaldi et le Bernin. Le musée possède trois des cinq élévations qu’il envoya. Les projets de toitures des pavillons sont trop peu dans le goût français.

    Bernin sculpteur, Borromini architecte, Cortone peintre : cette triade a été vantée, non moins décriée. La facilité de Cortone lui a été reprochée, celle de ses élèves est quasiment un lieu commun. Luca Giordano, par exemple, fut surnommé « Fa presto » (Vite fait). « L’école des Cortonistes a couvert les églises et les palais de l’Italie de peintures rapidement exécutées, tapageuses, et dont le brio, pour parler comme les Italiens, ne compense pas toujours la vulgarité et l’incorrection. » Tel est l’avis de Salomon Reinach dans son Histoire des arts plastiques. L’école de Cortone est à l’origine du barochetto, ce baroque qui glisse du beau au joli, de la force à la nervosité.

    L’essentiel des dessins est en rapport avec les œuvres décoratives. Pour Sainte-Bibiane (Rome), Cortone a peint trois fresques, relatives au martyre de sainte Bibiane. L’étude de buste de femme nue, une sanguine (je parle de l’étude), pour le martyre de la sainte, est d’une grande sensualité. A fresque, cette sensualité devait être inexistante, tant, d’une technique à l’autre, le charnel ou le spirituel l’emporte. On le constate en voyant l’eau-forte réalisée d’après la fresque (La flagellation de sainte Bibiane) : on saisit ce qu’Henri Charlier appelait « l’esprit d’une technique » : le même buste, gravé, est incomparablement désensibilisé par rapport à la sanguine.

    D’autres dessins nous emmènent à Saint-Pierre. Sous Bernin maître d’œuvre, Cortone réalise des cartons pour certaines des mosaïques. Décorateur de parois, de plafonds, de coupoles, Cortone a peint des tableaux de chevalets, dans les années 1630-1640. Le Louvre en a quelques-uns, sur des sujets tirés de la Bible ou de l’Enéide. Pour l’épisode où Vénus apparaît à Enée (illustration), le dessin préparatoire a été modifié au moment de la peinture. Les personnages des tableaux sont en mouvement, figures presque dansantes, mais bien campées, et comme tenues par les draperies qui, sans avoir le bouillonnement façon Bernin, ont de la consistance. Les couleurs sont fraîches, à part celles du paysage de la Vierge et l’Enfant avec sainte Martine.

    Des académies, des études d’attitude (remarquable nu masculin, une étude pour un nocher), de drapés (étude pour le personnage d’Agar), de détails… Le fonds est riche en dessins de Cortone, comme en dessins de Ciro Ferri (1634-1689). Nous faisions allusion, la semaine dernière, à cet élève de Cortone, au sujet de l’exposition de la galerie Tarantino. Le Louvre souhaite établir que Ferri n’est pas qu’un suiveur. Il fut élève, puis collaborateur de Cortone. Il termina quelques travaux commencés par son maître, à Florence. (De même, autre élève, Guillaume Courtois acheva des tableaux pour l’ambassadeur de Venise. Cortone lui rendit hommage auprès de celui-ci : « Guillaume est mon élève ; mais dans ces tableaux il a fait ce que son maître aurait eu de la peine à exécuter. »)

    A la mort du maître, il fut fait souvent appel à Ciro Ferri pour, encore, terminer les travaux inachevés, mais aussi pour avoir des décorations dans le goût de Cortone. C’est ainsi qu’il se retrouva occupé à la coupole de Sant’ Agnese in Agone, décor qu’on voit ici gravé par Nicolas Dorigny, ensemble et détails. Tandis qu’il peignait la coupole, Baciccio peignait les retombées. Hélas ! Le travail de Baciccio lui parut supérieur au sien, et parut tel à d’autres. « Cette préférence lui fut si sensible, qu’il en tomba malade, et qu’il en mourut », dit un dictionnaire du milieu du XVIIIe siècle. Jalousie d’artiste ou recherche de l’excellence ? Quelle sensibilité exacerbée, en tout cas.

    Samuel

    Pietro da Cortona et Ciro Ferri – L’invention baroque.

    Jusqu’au 6 juin 2011, musée du Louvre.

     

    Pierre de Cortone, Vénus apparaissant à Enée. Musée du Louvre © RMN / Thierry Le Mage


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  • À la galerie Tarantino

    Peindre à Rome

    Présent du 26 mars 2011

    La romanité picturale des XVIIe et XVIIIe siècles est à l’honneur galerie Tarantino. Classicisme et baroque suivent leurs voies, qui ne sont pas parallèles : elles se croisent, se tempèrent, voient converger des peintres de tout pays. Les œuvres sont diverses mais non disparates.

    Quelques Français

    De Simon Vouet (1590-1649), artiste important par l’œuvre et par les élèves (Le Sueur, Le Brun, Mignard…), voici une Apothéose de saint François de Paule. Les tons bruns sont éveillés par le jeu de l’or orangé et des gris sombres des nuages. Vouet fut une quinzaine d’années à Rome, pensionné par Louis XIII, qui ensuite le rappela en France.

    La Sainte Famillede Le Brun (1619-1690), peinte à Paris, est pleine de réminiscences romaines. Elle est un hommage à Poussin qu’il fréquenta lors de son séjour à Rome entre 1642 et 1645, à sa Madone dite Roccatagliata (musée de Detroit). Les maladresses sont visibles, l’harmonie peu heureuse. Le Brun n’est pas encore en possession de son métier.

    Un peintre bourguignon emmena ses deux fils peintres faire le tour d’Italie ; ils s’y fixèrent. L’aîné, Jacques (1621-1676), suivit une armée et se spécialisa dans les scènes de bataille. Veuf, il fut soupçonné d’avoir empoisonné sa femme, et prit l’habit de frère laïc chez les Jésuites où il continua à peindre. La scène d’après bataille (plume et encre brune) est une idée jetée sur le papier d’une main sûre. Deux Courtois au Louvre sont accrochés si haut, avec tant de reflets, qu’il vaudrait mieux pour eux ne pas l’être.

    Jacques Courtois fut ami avec Cortone ; Guillaume, le cadet (1628-1679), fut son élève, avant d’être celui du Bernin. Il collabora aux travaux de son frère tout en conduisant les siens propres, qui sont de qualité. A Rome on voit le Martyre de saint André, tableau d’autel de Saint-André au Quirinal, que les Itinéraires romains font l’erreur d’attribuer à Jacques. (Les frères portaient le même surnom : « Il Borgognone ».) Guillaume, taciturne, s’exprimait avec difficulté ; par le pinceau, avec bonheur. Moïse et le serpent d’airain est un petit tableau très original. La Trinité est une toile aux couleurs contrastées. L’ensemble est d’une belle lumière et l’ange qui présente la couronne d’épines est, dessin et coloris, fort bien venu. Plus tardive, vers 1670, sa Vierge à l’Enfant est « caractérisée par un style baroque tempéré en un sens classique » (illustration). On aime la fraîcheur de l’ensemble, et les morceaux libres et maîtrisés que sont le linge de la crèche, la paille, les mains de la Vierge. Guillaume Courtois est un grand peintre.

    Quelques Italiens

    Nous avons mentionné Cortone ; il est à l’honneur au Louvre, en compagnie d’un autre élève, Ciro Ferri. (Nous y reviendrons.) M. Tarantino a rassemblé plusieurs dessins de Ferri.

    Autre élève de Cortone, Lazzaro Baldi, dont un dessin coloré très séduisant présente Sainte Rose de Lima offrant une fleur à l’enfant Jésus. La première sainte du Nouveau Monde fut canonisée en 1671 et Baldi peignit un tableau pour Santa Maria sopra Minerva.

    Non moins nombreux furent les élèves de Maratta. Chiari et Passeri sont par excellence deux peintres de Rome où se trouve l’essentiel de leurs œuvres – le Louvre possède quelques tableaux du maître et de l’école.

    Chiari peint, dans la décennie 1690, le Génie des Arts. L’adolescent ailé est entouré des attributs de la poésie, de la sculpture, de la peinture, de la musique. D’un pinceau léger, ces ustensiles et outils sont d’un style supérieur au génie lui-même, peint dans le coton. La matière de La Vierge apparaissant à saint Luc peignant la Pieta, morceau de plus de 2 m de haut, est lourde et grasse. Mais quel peintre resterait insensible à une image de son saint patron ?

    Passeri (1654-1714) fut le disciple préféré de Maratta. Deux esquisses, une Assomption et une Trinité – avec divers saints et saintes – datent de la maturité. Même si nous sommes dans des études pour de grandes peintures décoratives, coloris et touches forment un métier charmant mais un poil (de martre) trop charnel pour le sujet. Il est plus adapté à la scène tirée de la Jérusalem délivrée que possède le Louvre.

    Le caractère religieux paraît davantage chez deux autres élèves de Maratta. Girolamo Pesci (1679-1759), petit maître mais grand tableau que cette Prédication de saint Paul : le paysage, les nombreuses figures que surplombe saint Paul en font une œuvre forte. Szymon Czechowicz (1689-1775), un Polonais à Rome, peint la Vierge remettant le scapulaire à saint Simon Stock. Une touche fluide, des poses variées, une composition inspirée : encore un heureux exemple de romanité parmi tous ceux que donne cette passionnante exposition de la galerie Tarantino.

    Samuel

    www.galerietarantino.com

    Peindre à Rome, tableaux et dessins des XVIIe et XVIIIe siècles.

    Jusqu’au 21 avril 2011, Galerie Tarantino

    (38 rue Saint-Georges, Paris 9e). Du lundi au samedi, de 10 heures à 19 heures.

    illustration : Guillaume Courtois, La Vierge à l’Enfant, huile sur toile.


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  • Au Petit Palais

    Forain, toute une époque

    Présent du 19 mars 2011

    Après Pelez, après De Nittis, encore une excellente exposition du Petit Palais consacrée à un artiste de second rang : un moraliste, Jean-Louis Forain. Né en 1852, mort en 1931, Forain appartient à la Belle Epoque et à sa Bohême, mais aussi à la Grande Guerre dans laquelle il s’engage avant de retrouver une jeunesse (qu’il n’avait pas perdue) pendant les Années folles.

    Mis à la porte de l’atelier de Carpeaux pour un incident dont il était innocent, mis à la porte de la maison familiale dans la foulée, Forain connaît à 17 ans la vache enragée et la Bohême, où il a pour parrains Verlaine et Rimbaud. Il habite trois mois avec ce dernier. De leur colocation, reste un portrait présumé du poète, des illustrations de poèmes. Puis Huysmans le pousse. Forain peint son portrait, signe les eaux-fortes de deux de ses livres, dont Marthe, histoire d’une fille (1879). (Plus tard, en 1900, c’est sous l’influence du romancier que Forain s’adonnera à la peinture religieuse, marginale dans son œuvre.)

    Forain se lie avec Manet et Degas, impressionnistes par la bande. Il expose au Salon des impressionnistes quatre fois, ce qui ne signifie pas qu’il l’est. Il reçoit, de l’époque, la couleur libérée, les cadrages audacieux, dus pour une part au japonisme. Femme à l’éventail illustre cette « modernité », l’influence de Degas, de Redon aussi. Pastel, huile, mais Forain utilise de préférence une technique assez libre et légère qui mêle crayon, aquarelle et gouache.

    Peintre de mœurs, Forain ne passe pas à côté de la prostitution et des maisons closes, thème omniprésent dans l’art et la littérature. Comme dans l’œuvre de Lautrec et Maupassant, nous voici devant les filles avec Le client. Cafés et restaurants sont d’autres lieux de rendez-vous, de rencontres, où les regards qui se croisent ne sont pas moins explicites.

    Forain décline principalement le thème de « l’abonné et la danseuse » : coulisses et loges du théâtre et de l’Opéra sont le terrain de ses observations, où il se glisse à la suite de Degas mais toujours en peintre de mœurs. L’abonné n’est pas autre chose qu’un veule jouisseur (Sur le plateau, 1912 ; Devant le décor ; Le dialogue). Fidèle aux éventails auxquels toute l’époque sacrifie, Forain y transpose ses scènes. Le plus réussi est la Soirée à l’Opéra (vers 1879), tant du point de vue de l’art que de la satire sociale.

    Chroniqueur, Forain s’intéresse aux effets qu’il peut tirer de l’éclairage au gaz (comme Chéret en ses affiches). Bientôt, ce seront les « Soirs de Paris ivres du gin / Et de l’électricité » et, dans les années vingt, les toiles rapidement brossées (« un tableau, pour être ragoûtant doit être terminé en esquisse ») enregistreront l’évolution de la condition féminine : les femmes prennent leur indépendance et l’homme, « l’abonné » est passif, à l’écart (Le repos des danseuses, Le champagne dans la loge).

    Si parisien, Forain, qu’en 1894 il décore le café Riche (non loin des locaux de Présent). On voit deux des quatre mosaïques sauvées de la destruction et dix cartons préparatoires. Le bal, le souper, la cycliste, les petites marchandes… Travaillée en à-plats, chaque composition est proche du style « affiche ».

    Dès 1876, l’artiste a pratiqué la caricature ; elle devient nettement politique à partir du scandale de Panama (1893), que suivront l’affaire des Fiches, l’affaire Dreyfus, les menées anarchistes, la loi de 1905, tandis qu’en toile de fond la misère et l’alcoolisme sont deux thèmes sociaux récurrents.

    Forain a été communard, il sera antidreyfusard dans la revue Pstt !… qu’il fonde avec Caran d’Ache, soutenu par Degas et Barrès. Autant sa virulence de caricaturiste est saluée – entre autres par Plantu, cette plante molle qui préface le catalogue –, autant elle est, dans le strict cadre de l'Affaire, requalifiée « excès particulièrement regrettables ». Forain « dérape », nous expliqua le commissaire de l’exposition, Mme Valdès-Forain, arrière-petite-fille de l’artiste. Arrachant ses vêtements et répandant de la cendre sur sa tête (je parle ici par images, jamais cela ne s’est vu lors d’une présentation à la presse), elle constata l’existence de « scènes à caractère antisémite » et justifia leur présence dans l’exposition par un souci d’exhaustivité : « rien n’est caché, même ces aspects désagréables ». Cette dame devrait rencontrer Alexandre Jardin et autres descendances renégates et repentantes.

    Peintre de guerre puisqu’à 62 ans Forain s’engage (La relève, aquarelle de 1915 dédicacée au général de Castelnau), peintre de nus (Le peintre et son modèle, 1923, pastel) et peintre de portraits (portrait de Marie de Régnier, de Jeannette « au col blanc »)… la place manque ici pour détailler les différentes facettes du talent de Jean-Louis Forain.

    Samuel

    Jean-Louis Forain, « La Comédie parisienne ».

    Jusqu’au 5 juin 2011, Petit Palais.

    illustration : Devant le décor, pastel, 49,5 x 60,5 cm. Dixon Gallery & Gardens, Memphis, Te, USA © Collection of the Dixon Gallery and Gardens, Museum purchase with funds provided by Brenda and Lester Crain, Hyde Family Foundations, Irene and Joe Orgill and the Rose Family Foundation, 1993.7.30


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  • Au château de Versailles

    Un palais des sciences

    Présent du 12 mars 2011

    Dès sa conception, Versailles est un lieu d’application et d’expérimentation scientifiques. La construction du château et l’établissement du parc nécessitent d’importants travaux de terrassement pour lesquels on a recours aux traités d’optique, de perspective, à d’étranges instruments d’arpentage, tel un graphomètre à pinnules à échelle transversale. Un astronome, pas moins, intervient lors du nivellement du Grand canal : l’abbé Picard met au point une lunette dérivée de celles qu’il utilise pour les observations célestes. Canaux, fontaines et jets d’eau : la science hydraulique et l’ingénierie se dépassent pour mener à bien l’approvisionnement en eau. La maquette de la « machine de Marly » indique le degré de complexité du système, qui pompait l’eau de la Seine et la remontait à Versailles.

    Plus anecdotique ? La « chaise volante » construite pour madame de Châteauroux. Des maîtresses de Louis XV « la plus avantagée physiquement » (selon Jean de Viguerie), Mme de Châteauroux méritait bien cet ancêtre de l’ascenseur qui lui permettait, dans une cabine à contrepoids, d’accéder sans fatigue aux appartements du troisième étage. La chaise fut imaginée et construite en 1743 par Blaise-Henri Arnoult, l’un des machinistes de l’Opéra royal (sur ce savoir-faire théâtral, voyez l’exposition des Archives nationales, cf. Présent du 26 février).

    Grâce à la Ménagerie qui accueille espèces rares et exotiques, l’art vétérinaire se développe, mais moins que l’hippiatrie mise à contribution dans les Grandes Ecuries. Les naturalistes fréquentent la Ménagerie pour leurs observations. Buffon est plus livresque qu’observateur mais le succès de l’Histoire naturelle témoigne de l’intérêt du temps pour ces questions.

    A côté des naturalistes, les artistes animaliers. Nicasius Bernaerts, le maître de Desportes, dessine des poules, une autruche. Avant lui, Pieter Boel s’est adonné avec passion à dessiner les animaux, dessins complets ou études d’un détail, nerveux, précis. On le connaissait oiseleur, on le voit ici « orientaliste », dessinant le lynx et l’éléphant du Congo.

    La botanique, l’agronomie et la science apothicaire ne sont pas en reste. Dans les jardins, dans les serres, on cultive, on greffe, on acclimate. Le premier ananas à pousser à Versailles (1733) est glorifié par Jean-Baptiste Oudry dans une superbe peinture.

    L’agronomie, en un siècle où les famines locales sont fréquentes, est une préoccupation pour des scientifiques, pour des nobles. Entre tous, on se doit de distinguer Antoine-Augustin Parmentier (illustration). Non, il n’est pas « l’inventeur de la pomme de terre ». Il est d’abord, de formation, apothicaire, il sert aux armées lors de la Guerre de Sept Ans, puis il est le pharmacien principal des Invalides. Sa charité à l’égard des vieux soldats le fait aimer. Altruiste, ce savant solitaire a à cœur de résoudre les grands problèmes d’alimentation de l’époque, ceux de la qualité et ceux de la disette, ceux de la cherté aussi. Il ne dissocie pas les recherches en laboratoire des essais en pleine terre et de l’expérimentation culinaire. S’il reste celui qui a vaincu les préjugés parisiens relatifs à la pomme de terre, il s’occupe aussi du lait, du maïs, des farines, des questions d’hygiène que posent les fosses d’aisances et les cimetières urbains (1). Ses recherches variées sont consignées dans 165 articles et livres. De nos jours, c’est votre quotidien Présent qui s’honore de voir s’y exprimer les gènes Parmentier.

    Les princes reçoivent une solide éducation scientifique. Les instruments, les maquettes et les jeux sont des outils pédagogiques de qualité. Instruits dans cette partie, vivant dans un siècle scientifique, Louis XV et Louis XVI expérimentent eux aussi et disposent d’instruments et machines perfectionnées. La curiosité royale a patronné certains événements qui ont marqué l’histoire de Versailles : le miroir ardent de François Villette qui sous Louis XIV illumine la galerie des Glaces, le ballon des Montgolfier qui s’élève en 1783, ou encore le baquet magnétique de Mesmer qui s’amuse à secouer d’une décharge électrique les courtisans assemblés.

    Au siècle des Lumières, dont le mécanicisme inspire la philosophie et les sciences (comme l’a montré le Pr Xavier Martin), l’intérêt pour les automates croît et l’habileté permet de décupler leurs performances. Le célèbre Vaucanson, le créateur d’un canard plus vrai que nature, offre à Marie-Antoinette une joueuse de tympanon qui exécute un morceau, tout en bougeant bras, tête, yeux (1784). Ce remarquable automate a été réalisé par un horloger (Pierre Kintzing) et un ébéniste (David Roentgen). Magie des automates ! Cette musicienne nous renvoie au Joueur d’échec de Maelzel, analysé par Edgar Poe, à l’Eve future imaginée par Villiers de l’Isle-Adam.

    Samuel

    (1) Voir sa biographie : Parmentier, par Anne Muratori-Philip (Plon).

    Sciences et curiosités à la cour de Versailles.

    Prolongation jusqu’au 3 avril 2011, Château de Versailles.


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  • Au musée du Luxembourg

    Cranach l’Ancien

    Présent du 5 mars 2011

    Lucas Cranach (1472-1553) appartient à la génération de Dürer, de Baldung, de Grünewald. Tous peintres allemands à la forte personnalité. L’exposition du musée du Luxembourg, et alors que le Louvre s’est porté acquéreur des Trois Grâces, nous emmène dans le monde de cet artiste, dont l’autoportrait (1531) trahit l’inquiétude du regard mais prouve un œil attentif : le visage est peint fin et ferme.

    Cranach s’est représenté çà et là dans des gravures : il assiste à la capture du Christ ou à une scène de tournoi. L’influence de Dürer sur ses gravures est évidente. Le gris trop uniforme est un indice. Certaines affirment plus de noirs (Le repos pendant la fuite en Egypte), peut-être au vu de gravures de Baldung, d’autres plus de blancs (Le sacrifice de Marcus Curtius, d’après un petit relief de bronze).

    Cranach est un solide portraitiste. Le modelé vigoureux apparaît déjà sur le visage d’un anonyme (vers 1508), à l’air sévère, adouci par le fond bleu céruléum. Beaucoup de grands apparaissent, à commencer par Frédéric le Sage, prince électeur de Saxe, dont Cranach fut un des peintres à la cour de Wittenberg. Le prince lui octroya en 1508 des armoiries : un serpent ailé portant rubis en gueule. Ce serpent sera sa signature et la marque de son atelier. (Dürer, lui, reçut les siennes de l’empereur Maximilien. Le statut des peintres se modifiait.) Nous croisons aussi Marguerite d’Autriche au visage plein de bonté (vers 1530), Ferdinand Ier, un petit portrait superbe (1548) – la tante et le frère de Charles Quint. Sans oublier Luther, Melanchthon : Wittenberg fut, en 1517, le berceau de la Réforme.

    Le tableau le plus ancien connu est religieux, la Crucifixion, de 1500. L’anatomie est maladroite, les personnages gauches, mais l’ensemble est inspiré. Le Martyre de sainte Catherine (1508), composition ambitieuse, marque les étapes franchies. Le bourreau et la sainte – celle-ci princesse en robe grenat et atours précieux – sont deux figures superbes derrière lesquelles l’éclatement de la roue, dans un déchaînement de feu céleste, provoque un hachis de païens. Le peintre s’inspire de deux gravures, l’une de Dürer, l’autre de « MZ », mais les dépasse par la déflagration colorée. Dans le coin gauche, une colline escarpée, un château perché : à guetter dans d’autres tableaux, ces éléments vus, si allemands, peints avec transparence. On les retrouve, par exemple, derrière une Vierge à l’Enfant – belle Vierge aux cheveux fins.

    En présence de Marie et d’autres saintes, sainte Catherine encore, au moment de son mariage mystique. L’épouse est vêtue d’une splendide robe damassée orange. La pose et le drapé sont si gothiques ! Gothique, en effet, primitif : tel est Cranach. S’il connaît la peinture des Pays-Bas directement, la peinture italienne ne l’atteint que par la bande. Une comparaison de plusieurs Lucrèce est instructive (italienne, flamande, germanique : celle de Cranach, celle de son fils), tout comme celle de plusieurs Vierge (Metsys, Dürer, Cranach).

    Gothiques aussi sont ses nus. Des nus masculins, comme Hercule et Antée, composition qu’il reprend d’un petit relief en bronze de Moderno, sur fond noir et sol caillouteux, un « décor » minimal qu’il réutilisera souvent pour le nu, l’abandonnant à d’autres moments pour un paysage. Beaucoup de nus féminins, une nymphe reprise d’une gravure de Mocetto, des allégories : la Justice (illustration), la Charité.

    En grand, en petit, accompagnés d’animaux ou pas (leur présence, leur nombre variaient en fonction des moyens du client), les premiers Parents ont été un sujet maintes fois traité par Cranach et son atelier, d’où une irrégulière qualité. Adam et Eve apparaissent, classiquement, de chaque côté de l’Arbre mais parfois Cranach les assemble en couple, dans une attitude touchante : Adam tient Eve par l’épaule.

    Attendre de ces nus un idéalisme raphaélesque serait cause de déception. En revanche, on peut en attendre du charme. Elie Faure signale « des femmes fort gauches, avec des jambes maigres, et cagneuses, et de grands pieds, et de gros genoux », des « nudités mythologiques mal bâties » cependant « délicieuses ». Et de souligner cette fraîcheur qui se révèle en particulier dans les têtes : « leurs visages sont d’un charme extrême, tout ronds [?], souriants, un peu malicieux, avec de belles tresses blondes ». Ces femmes « typées Cranach » sont parfois répétitives et rebattues, sentent la production d’atelier, mais en effet d’un charme extrême lorsque la main du maître leur a donné vie : c’est le cas d’un « portrait idéalisé de jeune femme », d’une magnifique Salomé, du portrait de la fille de Luther que possède le Louvre, et de la jeune Marie, de profil, occupée à tisser sous l’œil de sainte Anne.

    Samuel

    Cranach et son temps. Jusqu’au 23 mai 2011, musée du Luxembourg.


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