-
A la galerie Tarantino<o:p></o:p>
Pour l’amour de Rome<o:p></o:p>
Présent du 6 décembre 08<o:p></o:p>
Expert en vases grecs et en toiles italiennes, M. Antoine Tarantino présente dans sa galerie du bas de la rue Saint-Georges peintures et dessins de la Rome baroque qu’il a un à une, et avec amour, chinés, dégotés, puis identifiés lorsque les œuvres étaient frappées d’anonymat.
Le visage de Rome garde de chacun de ses vingt-sept siècles d’augustes rides et de précieuses ridules ; mais, ainsi que l’écrivaient les auteurs des Itinéraires romains, « c’est le Baroque qui définit de façon prépondérante la physionomie de la Ville. » L’époque baroque fut, toujours selon ces auteurs (J. Maury et R. Percheron, que le titre de leur ouvrage a cachés aux yeux du public), l’expression d’un humanisme catholique basé sur l’accord de l’intelligence, de la volonté et de la sensibilité, un période bénie où la certitude s’affirma, servie par des artistes de haut savoir : c’est « cette réciprocité féconde entre l’assurance de la pensée et l’assurance de la facture qu’il importe de ressentir pour rendre justice à la chaleureuse sincérité de la production baroque. »<o:p></o:p>
L’homme de la situation fut Le Bernin (1598-1680). On le croise à chaque travée, on le rencontre sur toutes les places. Il réalise la colonnade de Saint-Pierre sans dédaigner ajouter, à une fontaine Renaissance, quatre petites tortues qui désormais lui donneront leur nom ; il sculpte ici un saint extatique, là un Triton qui s’abreuve à une conque ; dessine des façades d’églises à tour de bras, assume la charge, plus lourde que la coupole elle-même, d’architecte en chef de la basilique Saint-Pierre. Et quand il ne tient pas la brosse ou le ciseau, c’est d’après ses projets et dessins que d’autres travaillent, pour la Fontaine des Fleuves place Navone, pour un éléphant porteur d’un obélisque place de la Minerve, tandis que son atelier taille la douzaine d’anges du pont Saint-Ange, qui créent au-dessus de l’eau une passerelle ailée. Le Bernin était si organiquement romain que la tentative de le transplanter à Versailles aboutit à un rejet réciproque.<o:p></o:p>
Cependant nulle époque ne se résume à une star, et – une des visées de l’exposition est de le montrer – mieux comprendre une période passe par la connaissance des artistes trop rapidement qualifiés de secondaires ou que la Renommée n’a pas pris soin de couronner, mais qui n’ont pas été moins actifs ni moins soucieux de l’épanouissement des dons reçus.<o:p></o:p>
Sont rassemblées plusieurs œuvres d’un élève du Bernin, le Baciccia (1639-1709) : un portrait de son maître à la sanguine, une esquisse à l’huile (Pluton enlevant Proserpine), et surtout deux travaux préparatoires pour la voûte de l’église du Gesù qui célèbre le Triomphe du Nom de Jésus. L’esquisse à l’huile, toute en fluidité, le projet d’ensemble à l’encre témoignent de la maturation de l’idée, une contre-plongée audacieuse, un tourbillon ascendant, « décor illusionniste accompagnant l’architecture vers le ciel », écrit M. Tarantino, et de souligner le destin de cette composition : « Les nombreux artistes de passage à Rome et le formidable rayonnement des jésuites contribueront à en exporter le modèle partout en Europe et jusqu’en Amérique Latine. »<o:p></o:p>
Un remarquable dessin de Pierre de Cortone, véritable document de travail avec reprises, repentirs, variantes (Louis XIV entouré de Minerve, de la Victoire et de Saturne écrasant l’Ignorance), avoisine avec les esquisses d’un de ses disciples, Ciro Ferri, pour une mosaïque de Saint-Pierre (Le Prophète Zacharie), ou pour un tableau destiné à une église siennoise. L’Ange gardien est la réplique, par le même, d’une œuvre de maître sur le mode de l’interprétation libre.<o:p></o:p>
D’un autre élève de Cortone, Guillaume Courtois, natif du Doubs (en 1628), romanisé en Guglielmo Cortese, dit Il Borgognone, qui fut aussi élève du Bernin, notre galeriste a trouvé in extremis, deux jours avant le vernissage, ce tableau venu couronner son labeur : une insigne Vierge à l’Enfant.<o:p></o:p>
La Vierge à l’Enfant est par ailleurs médiatrice dans d’autres tableaux : elle apparaît à saint Pierre d’Alcantara (toile de Lazzaro Baldi, collaborateur de Cortone) ; elle remet le Rosaire à saint Dominique (attribué à Girolamo Troppa). <o:p></o:p>
Côté sculpture, deux terres cuites : une bout d’esquisse de Melchiore Cafa pour le bas-relief du martyre de saint Eustache, émouvant puisqu’il reste peu d’œuvres de la main de l’artiste mort à 31 ans (le marbre de l’église Sainte-Agnès a été réalisé par un praticien) ; un Saint Pie V haut de 50 cm (illustration), de Pietro Papaleo. Travail abouti, où la spiritualité émane moins du visage du pontife que des jeux de drapés, jamais vains, bel exemple de mystique du pli, leçon de sculpture donnée à trois cents ans de distance.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Rome 1660, L’explosion baroque, du 18 novembre au 20 décembre 2008 et du 5 au 31 janvier 2009. Galerie Tarantino, 38 rue Saint-Georges, Paris 9e.<o:p></o:p>
Illustration : Pietro Papaleo, Saint Pie V, terre cuite (1712)<o:p></o:p>
votre commentaire -
Au musée du Louvre<o:p></o:p>
Les bronzes français<o:p></o:p>
Présent du 29 novembre 2008<o:p></o:p>
Au seizième siècle, le bronze acquiert en France son autonomie en tant que matériau, apprécié pour ses lumières et ses patines, conférant à l’œuvre un supplément de valeur artistique. Cela, sous l’impulsion des artistes italiens venus travailler chez nous, du Primatice particulièrement qui orna le jardin de Fontainebleau, à la demande du roi, de moulages en bronze des grandes sculptures antiques. Idéal pour le monumental et le plein air, apte à rendre les minuties d’une statuette de salon, le bronze trouve rapidement sa place aux côtés de la pierre. L’exposition passe d’ailleurs, pour une part, par les cours Marly et Puget, où les bronzes côtoient leurs sœurs chtoniennes.<o:p></o:p>
Jean Goujon et Germain Pilon l’adoptent, ce dernier pour le digne buste de l’évêque d’Orléans, Jean de Morvillier, dont le camail est traité avec une belle simplicité. Barthélemy Prieur, élève de Pilon, réalise pour le monument funéraire de Ch. De Thou deux beaux génies directement inspirés de Michel-Ange. L’élégant développement dans l’espace de la Renommée que Pierre Biard fond pour le monument du duc d’Epernon, les dépasse nettement.<o:p></o:p>
Autant les petits sujets réussissent à B. Prieur, autant Henri IV en armure et Marie de Médicis en robe de cour ne dépassent pas le dessus de cheminée. On lui doit les mêmes, mais « en Jupiter » et « en Junon » : le roi est nu, la reine pas tout à fait. Ce n’est que le début de la lignée des portraits royaux : Henri IV est encore portraituré par B. Tremblay, par M. Jacquet. Par la suite, F. Bourdonny donne un buste de Louis XIII extrêmement chargé, S. Guillain un Louis XIV enfant du même genre : la leçon de dépouillement de Germain Pilon n’a pas porté ses fruits, sauf chez J. Sarazin (buste lauré de Louis XIV à cinq ans).<o:p></o:p>
Cependant le bronze allait donner aux rois le moyen de réaliser les prestigieuses statues équestres. Sous François Ier, un bronzier italien du nom de Rusticci s’était lancé dans l’aventure, sans aller plus loin que le cheval. L’édification du monument à Henri IV placé au milieu du Pont Neuf quatre ans après sa mort ne fut possible que par un concours d’artistes et d’artisans : le cheval était de Jean Boulogne, le cavalier de Pierre Tacca ; les esclaves, commencés par P. Franqueville, furent achevés par son gendre F. Bourdonny. <o:p></o:p>
Des statues équestres, Louis XIII, Louis XIV et Louis XV en auront aussi. L’aspect indestructible du bronze – quand on le nomme airain, il semble éternel –, que la pluie ne ruine pas, que le gel n’éclate pas, en faisait un matériau idéal d’expression de la monarchie. C’était oublier que si les éléments ont peu de prise sur le bronze, les hommes en disposent facilement. Florus raconte que lors du sac de Corinthe, ville prodigieusement riche en œuvres d’art, l’incendie allumé par Mummius fut si considérable qu’il se forma des ruisseaux de métal en fusion. Le monument à Henri IV fut fondu en 1792, plus exactement le roi : les quatre esclaves furent sauvegardés. Les personnages du monument à Louis XIV de la place des Victoires eurent la même année le même destin. Les esclaves, œuvres de Desjardins, sont d’une puissance qui n’est pas due uniquement à leur monumentalité. La Hollande exprime la Révolte ; l’Empire, l’Abattement ; l’Espagne, l’Espérance ; le Brandebourg, la Résignation. Beaucoup des monuments royaux élevés dans les grandes villes au XVIIe et au XVIIIe ne sont plus connus que par de petits bronzes, projets ou réductions, qui intéressent l’iconographie mais auxquels la dimension fait défaut.<o:p></o:p>
A côté de ces ambitieuses productions, les pièces destinées aux collectionneurs connaissent une grande faveur. Girardon et son élève Robert Le Lorrain s’adonnent aux groupes mythologiques, tout comme Corneille Van Clève dont la Léda est un chef-d’œuvre (illustration). Dans le même registre, Ph. Bertrand ou Fr. Lespingola mettent sur pied des compositions compliquées, peu lisibles, où les détails tuent les masses.<o:p></o:p>
Après les bustes du XVIIe, comme celui du Grand Condé par Coysevox (1688), le genre s’embourgeoise. Le XVIIIe a le culte des grands hommes, il bustifie en terre, en marbre, en bronze. Au Diderot par Pigalle (élève du Lorrain), on préfèrera, du même, Le Silence. Houdon fut prodigue en bustes ; l’exposition s’achève sur sa statue de L’Hiver, dite aussi La Frileuse : prenant à rebours la tradition qui voulait qu’un vieillard incarnât la saison froide, il la représenta par une jeune fille qui commence en pénitente et finit en baigneuse, tête couverte et jambes nues. La Frileuse rencontra des frileux et fut refusée au Salon de 1783. Ce nu annonce quelque peu la forme de Maillol et toute une postérité de bronzes français qui n’a pas démérité.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Bronzes français, De la Renaissance au Siècle des Lumières<o:p></o:p>
jusqu’au 19 janvier 2009. Musée du Louvre<o:p></o:p>
Illustration : Corneille Van Clève, Léda et le cygne (détail) © Louvre / Pierre Philibert<o:p></o:p>
votre commentaire -
Au musée Dapper<o:p></o:p>
Féminité de bois<o:p></o:p>
Présent du 22 novembre 2008<o:p></o:p>
Après « la langoureuse Asie » (Présent du 1er novembre), voici – comme dans le vers baudelairien – le tour de « la brûlante Afrique », et de ses femmes. L’art noir leur accorde une large place. L’artiste soigne la représentation d’une coiffure élaborée, cisèle des scarifications qui sont aussi sensées que décoratives ; il signale les caractères sexuels secondaires sans bouder son plaisir. Féminines, les femmes vues par les sculpteurs africains le sont de façon toujours affirmée, mais plus par fidélité au réel que par concupiscence ; et cette caractéristique est en rapport direct avec la place de la femme dans la société traditionnelle où il lui est demandé d’être maternelle, c’est-à-dire d’être féconde et au foyer. Une Afrique à faire pâlir le Planning familial !<o:p></o:p>
La statuaire reflète des étapes déterminées. Dès l’adolescence (moment où a lieu une cérémonie initiatique : éducation aux devoirs matrimoniaux, excision parfois) les jeunes filles Mossi, Bagirmi, Asante (respectivement au Burkina Faso, au Tchad, au Ghana) ont des « poupées » de bois qui les accompagnent, dédiées à la protection de leur fécondité, de leur grossesse ultérieure (illustration). La femme enceinte offre au sculpteur une forme supplémentaire à exprimer : il ne s’en prive pas. Chez les Luba (Congo), elle se protège par une amulette en ivoire représentant un fœtus. Les parturientes sont en comparaison d’une grande rareté, on les reconnaît à leur position assise, le ventre bas.
A foisons, femmes allaitant, femmes portant son enfant : autant d’images, autant d’hommages. La représentation n’est pas anecdotique : c’est l’acte lui-même qui est énoncé, avec grandeur, avec hiératisme. C’est un mythe exprimé, comme ce bois qui représente la divinité Kapielo donnant le sein, applicable à toute mère. Le même détachement apparaît dans l’image du couple où ne traîne nul sentiment mais l’idée de la complémentarité des sexes, qui rend les conjoints égaux. Lors de cérémonies, les Yoruba (Nigeria) portent autour du cou des figures de bronze, l’une masculine, l’autre féminine, reliées par une chaîne. Telle œuvre Dogon (Mali) qui représente les jumeaux primordiaux, assis côte à côte, l’homme le bras passé sur l’épaule de la femme, donne une forte image applicable au couple en général. Les couvercles des tombeaux étrusques ne sont pas loin.<o:p></o:p>
Chez les Baoule (Côte d’Ivoire), tout homme, toute femme a un conjoint dans l’invisible, qu’il importe – comme parfois dans ce monde-ci – de se concilier sous peine de voir sa vie devenir un enfer. L’homme a sa blolola, la femme son blolobian, statuette de ce conjoint virtuel. <o:p></o:p>
Maîtresse de la maisonnée, l’Africaine de tradition n’a pas voix au chapitre villageois, jusqu’à la ménopause, quand elle n’est plus assujettie à la « souillure menstruelle », et que le terrible pouvoir de donner la vie lui a été ôté. Cependant au cas par cas l’implication de femmes dans la vie politique peut être grande. Le royaume du Bénin honorait les reines mères par des bronzes princiers. Il existe des systèmes matrilinéaires de transmission de la royauté qui confèrent aux femmes un rôle significatif, comme chez les Akan (Ghana), lesquels ont laissé de délicats portraits en terre cuite de quelques reines. <o:p></o:p>
(Parenthèse ghanéenne. – Séjournant dans une famille au nord d’Accra, j’y ai vu des maîtresses femmes qui assuraient toutes tâches, du règlement des questions familiales jusqu’au vidage des volailles et au lavage de la vaisselle. Car matriarcat ne signifie pas libération de la femme et partage des tâches. Les jeunes gens de la maison comptaient pour du beurre dans la vie domestique, ils n’avaient pas plus accès au portefeuille qu’à l’éponge. Le mari, fantôme la semaine, prenait corps le dimanche au prêche où, en tant que pasteur, il avait son heure et demi d’existence sociale sous forme de harangue.)<o:p></o:p>
On lira dans le catalogue diverses études synthétiques ou particulières (sous la direction de Chr. Falgayrettes-Leveau, directrice du musée Dapper, 36 euros), études anthropologiques, ethnographiques, qui offrent un utile complément aux œuvres exposées. Cet ouvrage constituera, comme le précédent (Animal, 2007), une référence sur le sujet. Parallèlement sont organisées des rencontres-débats sur les sujets sensibles que sont l’excision et la polygamie : que peut-on abandonner d’une tradition sans se renier ? Ouvrant l’exposition, les photographies d’Angèle Etoundi Essamba, née au Cameroun mais dès dix ans européenne, centrées sur ses sœurs africaines, abordent ces questions de la tradition et de la modernité. Œuvres où affleure la gravité, où revit, transféré de l’homme-sculpteur à la femme-photographe, ce sens du volume propre à l’art africain. <o:p></o:p>
Samuel
Femmes dans les arts d’Afrique,
jusqu’au 12 juillet 2009, Musée Dapper
Illustration : Asante, Ghana. Statuette akuaba © Archives Musée Dapper / Hughes Dubois.
Précédents articles sur l'art africain:
2 commentaires -
Au musée Rodin<o:p></o:p>
Les pierres parlent<o:p></o:p>
Présent du 15 novembre 08<o:p></o:p>
Le lien qui unit un homme à sa collection peut être de qualité variable, au pire tenir du snobisme, de la spéculation, de la manie. Les collections d’antiquités de Rodin et de Freud, commencées simultanément à Paris et à Vienne dans les années 1880, au-delà de leur taille, explicable par l’abondance de l’offre et la circulation sans contrôle des pièces, au-delà de l’intérêt esthétique, ont une importance en rapport avec les œuvres de l’un et l’autre. Chez Rodin, elle est reflet de l’œuvre et inspiratrice ; chez Freud, point d’appui et illustration des théories.<o:p></o:p>
Rodin a accumulé plus de six mille pièces, égyptiennes, grecques et romaines, médiévales et extrême-orientales. La beauté compte plus que l’authenticité. Rodin n’accepte qu’un objet qui rejoigne ses préoccupations, qui lui donne une réponse ou lui indique une nouvelle voie. Il a évidemment cette chance qu’a le sculpteur, la capacité, au vu et au toucher du morceau de pierre, de saisir le geste même de l’artiste et de reconstituer l’intention qui a dicté ce geste, au moins partiellement. <o:p></o:p>
S’apercevant qu’un fragment de statue peut être aussi beau que l’ensemble en raison de la qualité de la forme, Rodin collectionna ce qui pour d’autres eût été du rebut et se mit à modeler en omettant certaines parties du corps, avec le succès qu’on sait.<o:p></o:p>
Son goût pour l’association de deux sculptures trouve à se développer à partir de l’antique. Il existe une série, présentée ici presque intégralement, d’assemblages : vase ancien et nu en plâtre. Femme accoudée au bord d’un vase mérovingien, faunesse installée dans une coupe romaine, femme se hissant hors d’un vase hellénistique… Cela ne va pas sans hiatus : la beauté de la terre cuite et la beauté du plâtre, celle de l’objet et celle du corps, s’entrenuisent.<o:p></o:p>
La collection de Freud compte moins d’items, deux mille environ. Les arts représentés sont en gros les mêmes. Mais Freud a une autre attitude. L’authenticité importe. Le sens qui s’y attache également. Freud note que « les pierres parlent » (saxa loquuntur). Elles parlent métier au sculpteur, on l’a dit ; au psychanalyste elles disent, comme les mythes mis à contribution, ce qu’il est disposé à entendre. Elles ont aussi valeur de symboles : mises au jour par l’archéologue, elles sont l’image des choses enfouies qu’il s’agit d’exhumer de l’inconscient. Freud admirait Schliemann le découvreur de Troie et se rêvait époussetant l’homme strate après strate pour en comprendre les structures, les affaissements, les affouillements. Dans le cabinet, le patient avait lors de l’analyse les statuettes préférées du docteur devant les yeux.<o:p></o:p>
L’œuvre qui a compté plus que toute autre pour Freud est le relief des Aglaurides, dit de la Gradiva (illustration). Il l’a connu littérairement d’abord. A partir de cette admirable femme en marche, fille d’Aglauros et de Cécrops dont elle semble avoir hérité quelques gènes reptiliens, Wilhelm Jensen écrivit une nouvelle, La Gradiva, Fantaisie pompéienne (1903), qui servit à Freud pour étayer ses théories sur le désir et le refoulement, exprimées dans Débris et rêves dans la Gradiva de Jensen, paru en 1907. La même année, il vit enfin le magnifique marbre au musée Chiaramonti (Vatican) et en acheta un moulage. Cet achat en dit long sur Freud : c’est un inadmissible moulage, un savon de Marseille, un encombrant bibelot de chez Pier Import. Freud manquait-il à ce point de sens artistique ? Un sculpteur n’en aurait pas voulu en raison même de son amour pour l’original. <o:p></o:p>
Freud séjourna quelques mois à Paris en 1885-1886, il assista aux cours de J.-M. Charcot à la Salpetrière. Rodin n’était pas encore la célébrité à qui tout écrivain de passage à Paris se devait de rendre visite. Entre eux, il y eut plus tard des intermédiaires, des « passeurs ». Stefan Zweig et Rainer Maria Rilke furent au début du vingtième siècle des pivots essentiels entre culture française et culture de langue allemande. Rilke, devenu le secrétaire de Rodin (1905-1906), attira à Meudon et à l’hôtel Brion des Viennois freudiens ou en passe de le devenir. Il fit connaître l’art de Rodin à l’éditeur autrichien Hugo Heller, qui accueillait Freud comme conférencier. Il fut lié à Lou-Andreas Salomé (égérie de Nietzsche dans les années 1880), qui rencontra Rodin puis se forma à la psychanalyse auprès de Freud. Parmi les Français, citons Romain Rolland et la princesse Marie Bonaparte, introductrice de la psychanalyse en France, qu’on surnomma pour sa fidélité « Freud-m’a-dit » et dont l’analyse des écrits d’Edgar Poe fait sourire. Grâce à son entregent auprès des nazis elle fit passer en Angleterre Freud puis sa collection, la sauvant de la dispersion. <o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
La passion à l’œuvre, Rodin et Freud collectionneurs,
jusqu’au 22 février 2009. Musée Rodin
Illustration : Relief des Aglaurides dit La Gradiva (IIe siècle apr. J.-C.), Rome, musée Chiaramonti
voir également
votre commentaire