• In memoriam Clotilde Devillers (1956-2008)

     

    Présent du 10 janvier 09<o:p></o:p>

    Le Barroux apparaît sur une pochade d’Yves Brayer (1). La reproduction est une vignette mais aisément reconnaissable est le village vu de la plaine, village où Clotilde Devillers a vécu et travaillé une quinzaine d’années, avant de s’installer à Caromb avec son mari Olivier Dupont. C’était un Barroux où les rues n’étaient identifiées par aucune plaque, où l’eau ne coulait pas aux fontaines, où la municipalité semblait incarnée par un unique cantonnier ; un Barroux où il n’y avait ni salon de thé ni supérette, juste l’épicerie de Paulette qui étiquetait malencontreusement le prix sur la date limite de consommation et dont le chat, « Jauni », cueillait d’une langue précieuse le sel du jambon disposé sur la trancheuse. C’est le Barroux que j’ai connu et auquel le souvenir de Clotilde Devillers est à jamais lié.<o:p></o:p>

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    Alors qu’elle était étudiante aux Beaux Arts de Lille, elle assista à une conférence d’Albert Gérard donnée pour le MJCF. Elle connaissait déjà L’Art et la Pensée d’Henri Charlier – Clotilde se souvenait avec émotion de la lecture de ce formidable outil de stimulation intellectuelle,  « chef-d’œuvre de l’esprit » disait Bernard Bouts – mais ne parvenait pas à concilier la profondeur de cet ouvrage avec l’enseignement qu’elle recevait aux Beaux Arts, avec l’inanité des travaux donnés et la philosophie de l’art sous-jacente. Elle prit des cours de dessin avec A. Gérard, et en 1980 ils fondèrent l’Atelier de la Sainte-Espérance qui ne tarda pas à déménager au Barroux avec membres et bagages, après que plusieurs séjours consacrés par Albert à peindre la fresque de la crypte de Sainte-Madeleine leur eurent révélé ces paysages picturaux que la fondation de Dom Gérard rendait encore plus attirants.<o:p></o:p>

    Désormais la créativité de Clotilde Devillers devait se déployer dans le domaine de l’art religieux. Outre les nombreuses commandes d’ordre privé, les bannières peintes pour les chapitres des pèlerinages de Chartres, les dessins d’habits liturgiques (ensuite brodés par Sabine Delmaire) étaient plus que de simples commandes à ses yeux : l’expression de sa foi en la communion des saints, de sa fidélité à la messe traditionnelle pour laquelle les ornements ne pouvaient qu’être beaux. L’association de sauvegarde des oratoires fit appel à elle pour réhabiliter certains de ces petits monuments, afin que ces niches, témoignage de la piété populaire, l’équivalent des calvaires de l’Ouest, soient de nouveau habitées d’images. Sa participation en tant qu’illustratrice aux catéchismes et autres manuels conçus par l’association Transmettre à l’usage des familles confrontées à la pénurie de catéchistes relève du même engagement, engagement discret et pacifique de l’artiste dans son atelier.<o:p></o:p>

    La présence sur le territoire communal des deux monastères bénédictins lui occasionna de plus importants travaux. (A titre anecdotique, je revois Clotilde rire – avec le bon sens familial – de ce que des Dan Brown locaux ou des gnosomanes croyaient avoir découvert : que l’Atelier de la Sainte-Espérance, Sainte-Madeleine et N.-D. de l’Annonciation étaient sur la carte les sommets d’un triangle isocèle, indice ésotérique évident.) Chez les Frères, Clotilde a décoré le cul-de-four de l’abbatiale et l’oratoire du Père Abbé. Elle a également peint dans l’aile de l’hôtellerie les Noces de Cana provençales dont les familles qui ont pris un goûter dans cette pièce se souviennent, ainsi que les retraitants qui y ont bu leur café après laudes (ill.2). Ces Noces de Cana sont une des plus belles peintures de Clotilde, pour la composition, les coloris, pour la justesse des attitudes et la joie fraîche qui en émane.<o:p></o:p>

    Pour les Sœurs, elle a sculpté les chapiteaux du cloître sur le thème des Litanies de la Sainte Vierge. Ensemble conséquent (quatre-vingts chapiteaux), que les échéances de chantier ne lui permirent pas de mener avec toute la sérénité qu’un tel travail exigeait. Œuvres cloîtrées, mais nous sommes quelques uns à avoir pu admirer les jeux du soleil dans les reliefs de la pierre. L’édification de l’abbatiale a requis sa participation aux vitraux, au buffet de l’orgue… Ces travaux la montrent moins préoccupée par la forme que marquée par une recherche de l’à-plat par la ligne à la façon d’un Matisse. (Signalons que d’autres femmes-artistes ont travaillé au monastère de l’Annonciation : Isabelle Quilton pour un portail à tympan sculpté sis derrière la clôture, Marie-Agnès Mathieu pour la mosaïque au sol du sanctuaire.) La dernière œuvre importante de Clotilde, La Visitation (2008, ill. 3), composée de trois toiles peintes, a été réalisée pour un des parloirs du monastère. On constate une évolution par rapport aux Noces de Cana : plus de dépouillement, une place accordée à de grandes plages colorées.<o:p></o:p>

    *<o:p></o:p>

    Extérieurement adossée au rocher et à une autre maison grosse et carrée, la maison de Clotilde Devillers au Barroux était une modeste boîte verticale fermée par un versant de tuiles, devant laquelle elle soignait un citronnier en pot, surveillant la croissance « des citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide ». Intérieurement, la pièce du bas, dotée d’une puissante cheminée, pourvue d’un puits fermé par une trappe de pierre sur laquelle était gravé un verset de psaume, se prolongeait par une pièce troglodyte creusée dans la roche qui supporte la terrasse du château ; une échelle de meunier donnait accès à la pièce du haut. Habitat qui tenait de la grotte érémitique et du perchoir poétique. Ayant prêté à Clotilde Les Lettres à un jeune poète, je reçus en retour L’Art et la Grâce de Dom Clément Jacob, opuscule sur lequel elle écrivit : « On dirait le complément chrétien à Rilke. Qu’en penses-tu ? » Ce trait est caractéristique d’une femme qui ne perdait jamais de vue l’essentiel et y rapportait tout.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    (1) N°3206 du catalogue raisonné, cf. Présent du 27 décembre.<o:p></o:p>

    Nombreuses photographies d'oeuvres de Cl. Devillers à cette adresse.

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  • Au musée Delacroix<o:p></o:p>

    L’œil et la lentille<o:p></o:p>

    Présent du 3 janvier 2008<o:p></o:p>

    Un an après le musée Rodin, le musée Delacroix s’intéresse aux liens qui existèrent entre son artiste éponyme et la photographie. Le rapport n’est pas le même car Rodin (1840-1917) est postérieur à l’apparition de la technique, tandis que Delacroix (1798-1863) est l’exact contemporain de Daguerre (1781-1851) et de Talbot (1800-1877).<o:p></o:p>

    Delacroix, curieux d’un nouveau moyen de représentation du réel, ne se refusa pas à l’objectif des Carjat, Nadar, Petit, Durieu… tout en confinant les photographes au rang de techniciens face à lui l’artiste. Il exerce pleinement son œil critique à la fois par métier et par volonté de diffuser une image conforme à la représentation qu’il veut donner. Il n’hésite pas, « effrayé », à demander à Nadar d’« anéantir » les plaques et les clichés réalisés la veille. Jugement impartial de l’œil professionnel mêlé au jugement partial de l’homme qui admet ou refuse l’image livrée au public : complexité de la photographie à la fois objective et interprétative. D’autant que Delacroix ne s’aimait pas : « Je me vis dans une glace et je me fis presque peur de la méchanceté de mes traits… », relevait-il jeune, et vieux il interdit qu’on prît l’empreinte mortuaire de son visage. Nadar se garda bien de détruire les plaques, et cette « triste effigie » – selon Delacroix – est devenue pour la postérité une fière image (illustration).<o:p></o:p>

    Delacroix dessina d’après photographies. Quand son cousin Léon Riesener le prend en daguerréotype, il dessine des autoportraits d’après la plaque, ajoutant une subjectivité à une autre. Il possède des photos d’œuvres classiques qui lui servent de motifs pour s’exercer. Les photographies commencent ainsi à remplacer les gravures dans la constitution de ce qu’on appelle « le musée imaginaire » des artistes. L’heure n’était pas encore à la couleur mais on a constaté depuis, qu’il n’y a rien de plus difficile que d’obtenir une photographie fidèle à l’original sur le rapport des couleurs – disons-en même l’impossibilité. Une bonne reproduction en noir et blanc est moins déloyale. Elle révèle même les tares : « Promenade le soir dans la galerie Vivienne, où j’ai vu des photographies chez un libraire. Ce qui m’a attiré, c’est L’Elévation en croix de Rubens qui m’a beaucoup intéressé : les incorrections, n’étant plus sauvées par le faire et la couleur, paraissent davantage. » (1853)<o:p></o:p>

    Des photographes comprirent que vendre aux artistes des clichés de nus académiques représenterait une bonne affaire, ils allègeraient l’artiste de la recherche d’un modèle et immobiliserait une pose mieux que toutes les remontrances. Delacroix eut en sa possession de tels clichés de L.-C. d’Olivier et de J. Vallou de Villeneuve. Cependant, peut-être pour se différencier des clichés érotiques, les poses étaient conventionnelles, encombrées d’un décor à prétention esthétique. Autre défaut aux yeux de Delacroix, les clichés étaient trop précis : le daguerréotype fut soutenu par l’Académie des Sciences en raison de sa précision tandis que Delacroix y voyait un motif de le récuser (tout comme les tirages au collodion qui présentaient le même défaut). Le peintre s’était suffisamment interrogé sur les rapports des parties au tout, sur celui des détails à la masse, pour repousser les photographies précises à rebours de l’œil humain. Il préférait « celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière absolue, laisse certaines lacunes, certains repos pour l’œil qui ne lui permettent de se fixer que sur un petit nombre d’objets. »<o:p></o:p>

    Dans le but d’obtenir de valables clichés de nus, il mena avec son ami Eugène Durieu un essai de nus académiques (avec un modèle masculin et un modèle féminin) pour lequel fut utilisée la technique du calotype qui donnait les certains flous qu’il souhaitait. Delacroix indiqua les poses et limita les accessoires à la peau de bête et au bâton, comme cela se pratiquait en atelier. Durieu aux manettes, Delacroix en réalisateur : l’album de vingt-six clichés est le fruit unique d’une collaboration expérimentale entre un peintre et un photographe.<o:p></o:p>

    Delacroix regarda souvent « avec passion et sans fatigue ces photographies d’après des hommes nus, ce poème admirable, ce corps humain sur lequel j’apprends à lire et dont la vue m’en dit plus que les inventions des écrivassiers. »(Hormis Dante et Shakespeare, il n’aimait pas les écrivains, Balzac ô combien.) Delacroix dessina d’après ces clichés, particulièrement lorsqu’en séjour hors de Paris il n’avait pas de modèle à sa disposition. C’est vraiment pour faire ses gammes qu’il travaillait ainsi, car il peignit peu suivant ce procédé ; document exceptionnel, une petite Odalisque (huile sur toile) reprend une pose de l’album Durieu en la vêtant partiellement. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Delacroix et la photographie,

    jusqu’au 2 mars 2009, Musée Delacroix.

    Illustration : E. Delacroix par Nadar, 1858 (papier salé) © BNF

    Voir également


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  • Au musée des Années Trente<o:p></o:p>

    Un figuratif au XXe siècle<o:p></o:p>

    Présent du 27 décembre 2008<o:p></o:p>

    La rétrospective Brayer du musée des Années Trente coïncide avec la parution du second tome du catalogue raisonné de son œuvre peint, couvrant la période 1961-1989. Il a déjà été souligné que, né l’année où Picasso peignait Les Demoiselles d’Avignon (1907), tableau avec lequel on fait naître l’art moderne, Yves Brayer est resté insensible au prétendu sens de l’Histoire de l’art et s’en est tenu à une conception traditionnelle de la peinture. Comme le notait son aîné André Dunoyer de Segonzac, « il a ignoré instinctivement l’art d’étonner et de scandaliser. »<o:p></o:p>

    Brayer fut non un cérébral mais un oculaire. « Peindre est prendre possession de ce qui arrête mon regard. » Son art est nourri de réminiscences de l’art de ses prédécesseurs. Pas à la manière de Picasso, intéressé par les maîtres comme le gui par le chêne : Brayer est toujours lui-même, mais la persistance rétinienne est au service de sa fidélité. Il en va de même d’un écrivain chez qui se devinent de ferventes lectures, d’un compositeur dont la manière est marquée par l’écoute admirative d’un maître (je pense ici à des pages de Poulenc, où les Pièces froides de Satie apparaissent en filigrane). Ces intérieurs, Vuillard y a séjourné ; les quais de Seine ont une façon de filer à la Marquet ; le canard pend au clou comme chez Chardin ; ces gardians à cheval se tiennent dans le paysage comme les cavaliers de Degas sur le champ de course, comme les cavaliers de Gauguin sur le sable rose. Telle Arlésienne à la mantille est la petite-nièce de Mme Ginoux par Van Gogh. <o:p></o:p>

    Elève de Lucien Simon dans une académie de Montparnasse à l’heure de l’Ecole de Paris, Yves Brayer suit son maître aux Beaux Arts lorsque celui-ci y est engagé comme professeur. Une bourse permet à Brayer de peindre en Espagne (1927), puis un prix créé par le Maréchal Lyautey, au Maroc. Il obtient le Prix de Rome en 1930 et croque ses années italiennes avec appétit. Vues romaines, vies aussi : des séminaristes devant la Trinité des Monts ou sur le Pont Saint-Ange, une volumineuse vendeuse de pastèques, une matrone nourricière. Ce sont aussi les soirées du monde élégant, les jeunes femmes qui sortent des voitures devant des palais illuminés : Paul Morand n’est pas loin. Sur une pochade, Mussolini harangue la foule depuis un balcon (1933). (Qui dénoncera la responsabilité des balcons dans la montée des Extrêmes ? A Klaipeda, ex-Memel, en Lituanie, on indique encore aux touristes le balcon d’où Hitler s’exprima.)<o:p></o:p>

    Peu de portraits en tant que tel : Brayer partage avec Soutine le goût du vêtement professionnel, du costume, dont les couleurs, les ornements et la coupe offrent des motifs nouveaux. Peu importe qu’un individu le revête : le costume en lui-même, sur le cintre ou au porte-manteau, a pour l’artiste la valeur des dépouilles opimes. L’habit seul, ou le corps dénudé : les nus féminins, nombreux, sont à la fois saisissables, et distanciés.<o:p></o:p>

    Sa découverte de la Provence, au milieu du siècle, fut un choc. Les Baux, les Alpilles... Fatalement, ses paysages provençaux doivent à Van Gogh, mais d’une part, à bien y regarder, les couleurs sont celles du Vincent d’Auvers-sur-Oise, harmonies post-provençales en verts et bleus, auxquelles s’ajoute l’humidité qui baigne les paysages post-fauvistes de Vlaminck, et d’autre part c’est une vision absolument paisible, peut-être trop ? L’inquiétude sied aux cyprès. <o:p></o:p>

    Cette tranquillité d’âme et une facilité à produire (le catalogue raisonné dépasse les quatre mille entrées) constituèrent un motif de reproches en un temps où paraître mettre bas aux forceps constituait un brevet d’authenticité. Sans reprendre ces griefs, il reste l’impression, devant nombre de ses toiles, que manquent quelques coups de brosse judicieux qui auraient çà et là affermi la forme. Dans l’ensemble la rigueur d’un Maurice Brianchon fait défaut. On le déplore car quand Brayer pousse son travail, le résultat est marquant : c’est par exemple sa femme Hermione « à la robe rouge » (illustration).<o:p></o:p>

    Y. Brayer a également été illustrateur (gravures, monotypes) pour des éditions bibliophiliques de Montherlant (Le Bestiaire), de Claudel (Le Soulier de satin), de Baudelaire (les pièces condamnées), etc. Des écrivains ont écrit sur son œuvre, André Chamson, Pierre Mac Orlan, Jean Giono. Par ailleurs il fut professeur à la Grande Chaumière pendant cinquante ans, directeur du Salon d’Automne, conservateur du Musée Marmottant. Mort en 1990 après une vie toute dédiée à la peinture, il a son musée aux Baux-de-Provence.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Yves Brayer, La passion de peindre,

    jusqu’au 25 janvier 2009, Musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt.<o:p></o:p>

    Yves Brayer, Catalogue raisonné, tome II (1961-1990), par L. Harambourg, H. Brayer, O. Brayer et C. Brayer, La Bibliothèque des Arts, septembre 2008, 424 pages (149 euros).<o:p></o:p>

    Illustration : Portrait d'Hermione à la robe rouge, 1955 (Photo Serge Veignant)<o:p></o:p>


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  • Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    Van Dyck

    noble brosse<o:p></o:p>

    Présent du 20 décembre 2008<o:p></o:p>

    Antoine Van Dyck (1599-1641) est parrainé par deux noms sur les fonts de la postérité : celui du Titien, avec qui il forme le binôme des grands portraitistes de cour, celui de Rubens (1577-1640), dont il fut l’assistant à l’âge de dix-huit ans et dont il partagea le goût pour la virtuosité dans le maniement de la peinture à l’huile. <o:p></o:p>

    Les premiers portraits (années 1617-1620) témoignent de son assimilation des principes rubéniens. Le rideau rouge qui occupe systématiquement un coin du tableau est une chute de l’étoffe qu’on voit derrière le portrait de l’Infante Isabelle par Rubens (1610). L’intérêt porté au rendu du costume, à la matière, est un autre trait. Déjà, malgré certaines raideurs, malgré un traitement trop séparé des différentes parties (Portrait d’un homme de la famille Vincque), une tête de vieillard ascétique ou de vieil homme apoplectique, un portrait d’homme sur fond de colonnade (illustration) ou le portrait d’une famille prouvent que la maîtrise est imminente. Avec le portrait du comte d’Arundel, réalisé lors d’un premier et bref séjour en Angleterre, Van Dyck passe avec aisance des bourgeois aux aristocrates.<o:p></o:p>

    Mais l’heure n’est pas encore anglaise : Van Dyck part pour l’Italie (1621-1627), quinze ans après Rubens. Il parcourt le pays et se fixe à Gênes où il travaille pour le patriciat. Les progrès accomplis apparaissent dans la robe blanche de la fille de Porzia Imperiale (vers 1626) : glacis, frottis, broderies d’or, Van Dyck se joue de tout. Jeune, ambitieux, mêlé au meilleur monde, il mène une vie fastueuse qui rompt avec l’image du peintre enfermé dans son monde, ombrageux voire asocial. L’autoportrait de 1822 montre un jeune homme à la chevelure romantique, vêtu d’un haut à manches à crevés, dans une pose pleine d’assurance comme lançant un défi ; nulle palette, nulle brosse n’occupe des mains que le peintre veut avant tout d’une blancheur et d’une oisiveté aristocratiques.<o:p></o:p>

    Rien cependant de superficiel. Rentré à Anvers, il ne dédaigne pas ses confrères peintres et graveurs dont il laisse des images fortes : Lucas Vosterman l’Ancien en personnage lunaire et exalté, Karel Van Mallery en sage, à la façon dont son contemporain Vélasquez représente Esope. La contingence est dépassée, son autoportrait et ces toiles définissent autant de manières d’être artiste. Tableaux liés aux gravures de l’Iconographie, « livre contenant des portraits d’hommes célèbres » divisés en trois catégories : les Princes, les Hommes d’Etat & Savants, les Artistes & Amateurs. En associant les artistes à l’élite, Van Dyck se soucie de leur reconnaissance sociale. Dans les portraits de Jacob de Witte, d’Anna Wake, etc., derrière les éléments psychologiques communs à l’humanité se lit la plus précieuse présence intérieure propre à chaque âme. Ce qui rend cette période anversoise très attachante (1627-1632), sans que cela ne déprécie les portraits anglais à venir.<o:p></o:p>

    Les dix dernières années de Van Dyck sont en effet anglaises, avec quelques parenthèses continentales : en 1634 il reçoit à Anvers le titre de doyen honoraire de la guilde Saint-Luc, honneur qu’il partage avec Rubens seul ; en 1641 il est à Paris, officiellement en voyage d’agrément, mais peut-être afin d’obtenir la décoration de la Grande Galerie du Louvre, qui échoit à Poussin. Quatre ans plus tard, Ch. Perrault l’emporte face au Bernin, autre signe d’une « préférence nationale » jusque là peu pratiquée en Europe. <o:p></o:p>

    Charles Ier quant à lui nomme Van Dyck peintre ordinaire du roi et le fait chevalier. Son activité est grande à la cour. Les portraits du roi, de la reine, se multiplient. Lorsque Charles 1er envisage de commander son buste au Bernin, c’est Van Dyck qui est chargé de réaliser les peintures d’après lesquelles le sculpteur pourrait travailler à Rome. D’une manière générale, Van Dyck achève de « déguinder » le portrait, en substituant à la hauteur la grâce bien-née. Le roi, sa famille, ses courtisans, sont gentilshommes jusqu’au bout des ongles. Les costumes variés et colorés permettent plus d’effets que les austères tenues anversoises.<o:p></o:p>

    Peintre religieux rarement probant – la Vierge à l’Enfant destinée à l’oratoire de l’abbé Scaglia ne présente aucun caractère sacré –, c’est en portraitiste que Van Dyck demeure. Au-delà de la virtuosité, son regard est toujours élévateur : il prend ce qu’il y a de meilleur de son modèle, met en évidence la personnalité ; il anoblit le bourgeois. <o:p></o:p>

    Van Dyck mourut précocement près de Londres en 1641, d’un mal de poitrine, scellant son destin de « peintre anglais ». Charles Ier lui organisa de grandioses funérailles. Van Dyck ne connut pas les premiers troubles qui allaient mener à la décapitation de son monarque huit ans plus tard. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Van Dyck,<o:p></o:p>

     jusqu’au 25 janvier 2009. Musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    Portrait d’homme © Catarina Gomes Ferreira, Musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne<o:p></o:p>


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  • Au musée d’Orsay<o:p></o:p>

    Haut les masques<o:p></o:p>

    Présent du 13 décembre 2008<o:p></o:p>

    Il n’y a pas de culture primitive sans masques, et pas de passage à une organisation supérieure sans leur abandon. Ils se replient alors dans le théâtre (souvent d’extraction religieuse) et dans la salle de jeux. Profanes, ludiques, les masques continuent d’accompagner l’homme qui ne parvient jamais à vraiment s’en débarrasser, tenu qu’il reste par une fascination originelle liée à la jettatura – titre et sujet d’un conte de Th. Gautier.<o:p></o:p>

    Le masque mène une vie également artistique. Il est un parallèle du portrait, plus présent qu’on ne croie. Le foisonnement de masques entre 1860 et 1910 témoigne de la vitalité du thème. La découverte des masques japonais puis africains contribue ces années-là à relancer l’intérêt pour lui. Les masques pénètrent jusqu’à la littérature : Remy de Gourmont intitule ses portraits d’écrivains contemporains Le livre des masques (1896 et 1898), illustrés des masques de chacun dessiné par Félix Valloton ; Marcel Schwob publie un recueil de contes, Le Roi au masque d’or (1892), dans lequel, souligne-t-il, « il y a des masques et des figures couvertes… »<o:p></o:p>

    En guise d’introduction, une belle tête feuillue gothique (prêtée par le musée de Cluny), l’Allégorie de la Simulation par Lorenzo Lippi (musée des Beaux-Arts d’Angers) illustrent les rôles que peut endosser le masque, ornement architectural sous le nom de mascaron, ou accessoire symbolique. <o:p></o:p>

    Le masque de Méduse a connu dans l’art occidental un succès qui ne se dément pas. Il exprime à lui seul le summum de l’œil magique conduisant à la paralysie. Interprété de façon classique et puissante par Arnold Böcklin (papier mâché et doré), il a donné lieu à des adaptations plus ou moins heureuses : J.-B. Amy réalise un Masque de femme tirant la langue, entouré d’éponges (1899), où à l’image antique s’ajoute l’apport de l’étude des rictus faciaux menée par J.-B. Charcot ; G. Dumontet conçoit un bronze électrifié : la chevelure est parsemée de loupiottes, ça date de 1906 et c’est un avertissement à ceux qui s’empressent de mêler les nouvelles technologies à l’art.<o:p></o:p>

    Zacharie Astruc (1835-1907) sculpta une Méduse qui inspira un texte lyrique à Léon Bloy (« La Méduse Astruc », 1875) : l’écrivain espérait la pétrification définitive du bourgeois. Ici le sculpteur est représenté par des masques de célébrités (en plâtre), études pour Le Marchand de Masques (1886), bronze réalisé pour le Jardin du Luxembourg. Celui de Victor Hugo est brandi, ceux que le jeune homme tenait à la main ont été volés (le poète Banville, le comédien Coquelin cadet et Gambetta) ; les autres garnissent le socle. Ce n’est pas de la grande sculpture : la roche carpéienne n’est pas loin. <o:p></o:p>

    Ce marchand de masques illustre la passion pour l’image des grands hommes, artistes en tête, héritée du siècle précédent. Les bustes, les monuments, quand ils étaient posthumes, exigeaient une documentation, souvent fournie par les masques mortuaires. Opération délicate pour le praticien, pénible pour la famille, la réalisation d’un masque est jugée obligatoire en proportion de la gloire du défunt, ce qui n’écarte par l’intention filiale. Antérieurs à l’intervention artistique et à la résurrection, les masques mortuaires ont leur étrangeté propre, l’image qu’ils donnent de la personne est, du fait de la passivité du procédé, relativement fausse.<o:p></o:p>

    Dans l’atelier du sculpteur, le masque naît parfois d’un accident survenu lors du moulage, il est ce qu’on sauve en priorité d’une terre abîmée. L’homme au nez cassé de Rodin est la partie rescapée d’une terre victime du gel et de l’éclatement. Rodin pour le projet du monument Balzac poussa les études sur la voie du masque de l’écrivain, de même qu’il s’acharna à modeler le « masque » typé de l’actrice Hanako.<o:p></o:p>

    Le masque, héritier du mascaron, fut une des préoccupations de Jean-Joseph Carriès, masque « grotesque », « de rire », « d’horreur ». Il adapta également le masque à l’autoportrait, ou plutôt l’autoportrait au masque, objet de déformation, d’aplatissement, de rictus, auto-dérision répétée qui révèle un mal-être qui imprègne son œuvre les années passant. Moins attendu, un grand vase en grès émaillé est orné de deux masques qui font corps avec le récipient, le transformant en un vase Janus. Minuscule en comparaison, le Double vase au masque de femme par Gauguin, pot en grès (émaillé hormis le visage), a plus de présence.<o:p></o:p>

    « De Carpeaux à Picasso » : les termes sont médiocres, ce qu’ils enclosent l’est moins. Le mascaron de Charles Cordier (illustration), Le Silence d’Auguste Préault (étude pour un monument funéraire du Père-Lachaise), les Apollon de Bourdelle… chacun dans leur matière et à leur manière, exprime la fascination exercé par notre faciès.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Masques, de Carpeaux à Picasso,

    jusqu’au 1er février 2009, Musée d’Orsay.

    Illustration : Ch. Cordier, Mascaron décoratif, 1867 © Musée d'Orsay, Patrice Schmidt<o:p></o:p>


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