• A la bibliothèque Forney<o:p></o:p>

    Clichés touristiques<o:p></o:p>

    Présent du 14 février 2009<o:p></o:p>

    La carte postale va de soi : on ne s’interroge jamais sur ses origines. La bibliothèque Forney, une des bibliothèques spécialisées de la mairie de Paris (arts, artisanats, techniques), expose des photochromes qui sont les ancêtres de la carte postale ; ils constituent une branche de l’arbre généalogique de la photographie, arbre complexe.<o:p></o:p>

    Une fois acquis le procédé photographique, il était évident pour les multiples passionnés que l’obtention de clichés en couleurs n’était qu’une question de temps et de recherches. On se contenta dans un premier temps de colorier le tirage, procédé artisanal qui n’était qu’un pis-aller. Parmi les chercheurs amateurs et professionnels qui tentèrent de résoudre la question de la couleur, Louis Ducos du Hauron mit au point la trichromie, puis les frères Lumière réussirent à n’avoir qu’un cliché à prendre grâce à la plaque autochrome (1903). Léon Vidal est une autre personnalité importante de l’histoire de la photographie, il étudia la photochromie mais également la phototypie (l’art d’imprimer des reproductions photographiques) : son recueil Trésor artistique de la France (1876), album de photographies colorisées, est une étape importante.<o:p></o:p>

    Le Suisse Hans Jakob Schmidt (1856-1924) combina lithographie et photographie afin d’obtenir en série des clichés colorisés à partir de négatifs noir et blanc : la « chromophotolithographie », photochromie pour les intimes. Cependant, autre David Séchard, Hans Schmidt devait connaître les souffrances de l’inventeur puisque la société Orell Füssli pour laquelle il travaillait déposa le brevet « Photochrom » en 1888 sans mentionner le nom de son ingénieux employé, omission dont il ne se consola jamais. <o:p></o:p>

    Même expliquées, les étapes du processus sont impénétrables ; retenons au moins que ce ne sont pas les couleurs originales du sujet qui apparaissent mais une colorisation interprétative du praticien en studio. Les couleurs des photochromes sont fausses à nos yeux, parce que nous les comparons à celles que nous obtenons aujourd’hui. Mais ne paraissaient-elles pas fidèles, ou du moins acceptables en 1900 ? Comment dans cent ans jugera-t-on nos photographies ? Les couleurs sembleront peut-être approximatives.<o:p></o:p>

    Le procédé ne fait pas de H. Schmidt le père de la carte postale, il avait l’ingéniosité technique mais ses employeurs eurent l’ingéniosité commerciale de proposer aux touristes, engeance en développement à la fin du XIXe siècle, des images en guise de souvenirs : en différents formats jusqu’au panoramique, en recueils.<o:p></o:p>

    Nommée Photochrom Co (1888), la maison mère de Zürich fonde une filiale américaine, la Detroit Photographic Co (1895), puis devient Photoglob Co (1896) en fusionnant avec un autre studio zurichois. Dans toute l’Europe, les studios qui s’associent à elle doivent garder les secrets de fabrication et racheter un maximum de négatifs noir et blanc qui seront exploités en couleurs. Quand il le faut, Photoglob envoie ses propres photographes au bout du monde.<o:p></o:p>

    Exploité rationnellement, le domaine touristique est mis en coupe réglée par une production de séries thématiques : Exposition universelle de 1889, Riviera, Allemagne, Suisse (les paysages alpins représentent un quart de la production totale de Photoglob). L’Orient n’y échappe pas : Egypte, Terre Sainte pour les pèlerins ; l’Inde est spécialement destinée au marché anglais. La série américaine doit beaucoup à William Henry Jackson (1843-1942) à qui Photoglob racheta son fonds de négatifs avant de l’engager ; il devint en 1903 directeur de production de la filiale américaine. Ses photographies ont véhiculé l’imaginaire de l’Ouest, paysages du Colorado, impressionnants Indiens à plumes, et l’imaginaire du Sud, Mississipi, Nouvelle-Orleans. <o:p></o:p>

    Les clichés d’Indiens appartiennent au portrait ethnique qui connut un succès considérable : vacher suisse, laitière flamande, berger syrien, mendiant russe, famille samoyède, maçon bosniaque, il ne manque que le plombier polonais. Les « Femmes maures distinguées, dans leur intérieur » sont une réminiscence d’un Delacroix. Outre les paysages touristiques et les monuments incontournables, il y eut une série consacrée aux luxueux paquebots de croisière et à leurs intérieurs magnifiques, et d’autres aux grandes œuvres d’art. <o:p></o:p>

    Photoglob après la Guerre de 1914 avait un catalogue de 30 000 clichés ! Mais les développements techniques rendaient caduque la photochromie et l’activité cessa. Ce qui ressort de l’abondant choix tiré de la collection de Marc Walter, graphiste et photographe, c’est que dès sa naissance l’image touristique est fixée : elle perdure dans les cartes postales pendant tout le siècle. On n’y a guère ajouté que la recette régionale.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Voyage en couleur, photochromie 1876-1914, <o:p></o:p>

    jusqu’au 18 avril 2009. Bibliothèque Forney<o:p></o:p>

    Illustration : Mont Blanc, Ascension d'un sérac, 1899 (coll. privée Marc Walter)<o:p></o:p>


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  • Au musée de l’Homme<o:p></o:p>

    De vieux os<o:p></o:p>

    Présent du 7 février 2009<o:p></o:p>

    Les témoignages de l’activité humaine au néolithique (entre 5000 et 4000 avant notre ère) sont nombreux en Europe. Ces dernières années d’émouvantes découvertes ont été faites : deux enfants avec leurs parents dans une même tombe à Erlau (Allemagne), antique preuve de l’existence d’une cellule familiale ; couple face à face et membres entrelacés à Mantoue ; depuis un an à Murcia (Espagne), une nécropole a livré mille trois cents individus enterrés en position fœtale. Cependant ces milliers d’années ne pèsent pas lourd face au saut d’un million d’années que font les chercheurs en fouillant depuis les années 1990 le site d’Atapuerca près de Burgos.<o:p></o:p>

    La Sierra d’Atapuerca a été transpercée à la fin du dix-neuvième pour établir une liaison de chemin de fer à usage minier. Les collines étaient déjà connues pour leurs grottes mais ces travaux en ont révélé beaucoup d’autres. Aujourd’hui on estime qu’une quarantaine de grottes offre des ressources paléontologiques, et les fouilles actuelles n’en concernent que sept. Ce qui fait d’Atapuerca un site unique est d’abord qu’il couvre une période d’un million d’années alors qu’ordinairement un site préhistorique ne concerne qu’un temps limité, et qu’il représente 85% des découvertes mondiales remontant au Pléistocène moyen. Les richesses sont telles que la Sierra d’Atapuerca a été classée au Patrimoine Culturel de l’Humanité (décembre 2000) et qu’un musée va s’ouvrir l’an prochain à Burgos, le Musée de l’Evolution Humaine.<o:p></o:p>

    La Grotte de l’Eléphant abrite les fossiles des hominidés les plus anciens d’Europe occidentale, ils remontent à –1,2 million d’années (l’Homo georgicus, trouvé en Géorgie en 1999 est datable de –1,8 millions). Les particularités osseuses ont permis de déterminer une nouvelle espèce, l’Homo antecessor, proche de l’ancêtre commun des néandertaliens et de l’Homo sapiens (vous et moi). La réalité de cette espèce est contestée par certains chercheurs qui estiment que la relative jeunesse des restes découverts ne permet pas de s’avancer si loin et qu’il s’agit simplement d’Homo heidelbergensis ou d’Homo erectus. Quoi qu’il en soit ces humains utilisaient des outils de pierre taillée et aimaient la chair fraîche : des os appartenant à une dizaine d’enfants et jeunes adultes présentent des marques de coupures qui laissent présager des actes de cannibalisme. Mais ils mangeaient aussi d’autres viandes : les ossements d’animaux grands et petits permettent d’autres recherches non moins intéressantes sur la faune de l’époque. La Grotte de Gran Dolina livre les restes de la descendance de l’Homo antecessor entre –1 000 000 et –780 000.<o:p></o:p>

    Une autre espèce prend le relais, l’Homo heidelbergensis (–500 000 et –350 000). Dans la Grotte des Os, un puits de treize mètres a servi de tombe à vingt-huit personnes. Les plus vieilles funérailles connues. Un biface, pierre taillée, à mi-chemin entre hache à main et couteau, y a été trouvé, on s’interroge sur sa signification : une offrande ? Chance rare, deux éléments de squelette subsistent intacts, un bassin et un crâne (illustration). Le crâne de l’Homo heidelbergensis avait une capacité allant de 1 100 à 1 380 cm3 (le nôtre est de 1400 cm3). Le bonhomme était trapu et charpenté : 1,80 mètre pour 100 kilos. <o:p></o:p>

    Prisonniers du puits, les squelettes empilés ont mêlé leurs os mais n’en ont égaré aucun ce qui a permis de mettre la main sur des osselets de l’oreille (moins d’un centimètre). Leur étude permettra d’en apprendre plus sur l’audition de ces hominidés et donc – peut-être – sur leur langage. La paléontologie grâce aux moyens modernes, connaît des progrès étonnants et toujours passionnants. La paléopathologie diagnostique les maladies, trouve parfois la cause de la mort. Une dent permet de connaître l’alimentation à l’âge adulte mais également celle de l’enfance et de déterminer, lorsqu’on compare les dents d’individus différents, ceux qui ont grandi ensemble et ceux qui viennent d’ailleurs : on conclut ainsi à une pratique exogamique ou non. <o:p></o:p>

    Résultats probants dans le détail, mais la vision d’ensemble reste subjective : les implications idéologiques, la frontière entre l’homme et animal, pèsent lourd. On estime que l’homme et le singe se sont différenciés il y a sept millions d’années ; l’explication de son expansion mondiale reste hypothétique (trois théories). Le système est si fragile que toute nouvelle découverte peut le remettre en cause. Hors science, sur le dogme évolutionniste s’est greffée la morale écologiste : pour certains forcenés, le chimpanzé a fait preuve d’une réelle sensibilité environnementale alors que l’homme s’est comporté comme un singe pollueur. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Atapuerca, sur les traces des premiers Européens, <o:p></o:p>

    jusqu’au 16 mars 2009, Musée de l’Homme<o:p></o:p>

    Illustration : Crâne complet, 500 000 ans avant notre ère (Sima de los Huesos, Atapuerca).<o:p></o:p>


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  • A la Cité de l’Architecture et du Patrimoine<o:p></o:p>

    La Vierge et l’Enfant<o:p></o:p>

    Présent du 31 janvier 2009<o:p></o:p>

    Destinataire et sujet d’innombrables hymnes, odes et textes – toute une littérature dont saint Bernard fut à l’origine – la Vierge Marie est également omniprésente dans la sculpture médiévale, monumentale ou privée. A côté des épisodes de la vie de la Vierge, qui constituent une série parallèle à ceux de la vie du Christ qu’elle précède, recoupe, puis prolonge, l’image la plus marquante, celle qui vient immédiatement à l’esprit, est la Vierge à l’Enfant. Cette étiquette cache de substantielles différences : il en existe plusieurs types. Les plâtres sortis des réserves de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine sont autant de témoins de particularismes régionaux, d’évolutions spirituelles et artistiques sur quatre siècles (XIIIe-XVIe).<o:p></o:p>

    L’art roman est représenté par la Vierge de Mantes-la-Jolie, du début XIIIe. Le plâtre est patiné de manière à imiter le bois peint original. Nous sommes face à la Vierge « Trône de sagesse » : elle tient sur son genou gauche l’Enfant, curieusement assis de biais alors qu’en général il est assis frontalement. Il tenait le Livre et bénissait. Les drapés dessinent des cannelures régulières. Représentation hiératique provenant des mosaïques ravennates et romaines, « jamais reine n’eut plus de majesté », disait Emile Mâle de ce type de Vierge-trône qui porte son fils « avec la gravité sacerdotale du prêtre qui tient le calice ». C’est elle qu’on voit, encensée par les anges, au tympan du portail Sainte-Anne de N.-D. de Paris (milieu du XIIe).<o:p></o:p>

    Avec les statues suivantes, gothiques, une autre idée s’exprime. La Vierge est debout et tient l’Enfant sur son bras gauche. Elle est déhanchée pour soutenir le poids d’un fils quelque peu grandet. Dans les cathédrales, on la place souvent au trumeau d’un portail où elle est « Porte du Ciel » (N.-D. de Paris encore, portail de la Vierge, vers 1220). Cette recherche d’une pose plus naturelle et d’une représentation plus réaliste est en rapport direct avec les prédications franciscaines qui s’appuient sur des écrits tels que les Méditations sur la vie de Jésus Christ, où l’auteur s’attarde à plaisir sur l’enfance du Christ avec des scènes de sourires et de larmes dans lesquelles mère et enfant se consolent… Il y a de la chaleur plus que de la grandeur, du sentiment qui finira par donner naissance à un sentimentalisme artistique. <o:p></o:p>

    Dans un premier temps, rien de tel, et cette profonde humanité du rapport mère-enfant est encore lié au mystère de l’Incarnation. Ce sont, de la première moitié du XIVe siècle, les Vierges de Nanteuil-le-Haudouin (Oise), de Cernay-les-Reims (Marne), de Saint-Dié-des-Vosges (Lorraine), cette dernière typique de la production régionale, trapue, le buste rejeté en arrière, les yeux en amande. La Vierge de Quéant (Pas-de-Calais, XVe siècle) est une belle statue de style champenois ; retirée de l’église après la Guerre de 14-18, elle fut obstinément réclamée par le curé qui la récupéra en 1934, victoire paroissiale sur l’accaparement muséal. <o:p></o:p>

    Mais au XVe siècle l’Enfant qui jusque là était sans âge, est de plus en plus représenté comme un poupon, pour accroître le réalisme familial. La célèbre Vierge du musée d’Autun, attribuée sans conviction à Claus de Werve, est un chef-d’œuvre de l’art bourguignon. L’enfant est emmailloté comme au sortir du berceau mais cet emmaillotement réduit considérablement sa présence. Le moulage ne reprend malheureusement pas la polychromie de l’original : voile blanc, manteau doré, langes rouges. Le poupon est à moitié dénudé (Vierge de Dampierre-Saint-Nicolas, Seine-Maritime, fin XVe) puis totalement nu, potelé, joufflu (Vierge de N.-D. de la Couture, au Mans, par Germain Pilon, XVIe) : on mesure le chemin parcouru depuis l’Enfant de Mantes-la-Jolie.<o:p></o:p>

    La Vierge de Dampierre s’apprête à allaiter son fils (illustration). Le thème n’est pas nouveau. Il relève de l’intimité humaine et de l’intimité spirituelle appuyée par le « Beata ubera quae suxisti » (évangile de saint Luc). En 2007, à Kerluan, a été exhumée une Vierge bretonne allaitant dont les vicissitudes sont exemplaires : cassée à la Révolution, puis réparée, elle avait été enterrée en 1904 par un curé qui jugeait plus décent de la remplacer par une sulpicerie. Un acte qui témoigne d’une évolution des mentalités peu glorieuse.<o:p></o:p>

    La Vierge à l’Enfant et le Christ en Croix sont l’alpha et l’oméga de l’iconographie chrétienne, en lien direct avec l’essentiel de la Révélation. Aux alentours du quinzième siècle se répand une autre image, celle de la Pieta qui en quelque sorte réalise la fusion des deux images : la Vierge reprend sur ses genoux le Christ mort désormais.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Vierges à l’Enfant, jusqu’au 30 avril 2009<o:p></o:p>

    Cité de l’architecture & du patrimoine<o:p></o:p>

    Illustration : Eglise de Dampierre-Saint-Nicolas (Seine-Maritime). © D. Bordes/CAPA/MMF 2008<o:p></o:p>


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  • Au musée Maillol<o:p></o:p>

    L’avant-garde et la Révolution<o:p></o:p>

    Présent du 24 janvier 2009<o:p></o:p>

    Dans les années 1910, les artistes ne font plus le voyage de Rome mais de Paris, où l’avant-garde à l’œuvre les attire. De nombreux Russes et Baltes y viennent étudier, s’y établissent ou repartent vers l’Est, porteurs de ferments nouveaux. Les idées circulent vite et les artistes demeurés à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Vilnius, à Riga, etc., ne restent pas en dehors du courant : quelques années plus tard ils seront eux-mêmes l’avant-garde. L’existence de groupes artistiques tels que la Rose bleue, la Toison d’or, est signe de vitalité. Le Valet de carreau, fondé en 1910, rassemble Chagall, Malevitch, Larionov, Gontcharova…<o:p></o:p>

    Marqués par le cubisme français et le futurisme italien, les artistes s’éloignent rapidement du figuratif. Ivan Klioune peint en 1910 de façon symboliste (La femme de l’artiste, ou : La tuberculose), puis dans les années vingt il organise des éléments géométriques : Construction sphérique, Diagonales dans l’espace… Lioubov Popova peint en 1907 une nature morte bien brossée avec panier et pot à eau, mais en 1918 s’adonne à « l’architectonique picturale ». <o:p></o:p>

    Chacun y va de son concept, Rodtchenko et le linéarisme, Matiouchine et l’organicisme, Redko et le luminisme, Nikritine et le projectionnisme. Filonov promeut l’art analytique, tandis que Koudriachov s’épuise en « compositions cosmiques ». Art envahi par la géométrie, péri corps et biens dans les –ismes. Le cérébral l’emporte et la matière s’appauvrit : la peinture est étalée sans amour sur la toile, comme à regret, comme une concession au monde sensible.<o:p></o:p>

    L’-isme vainqueur est le suprématisme de Malevitch (1915 – quête d’un art absolu au-dessus du réel, qui aboutira au fameux carré blanc sur fond blanc) auquel se rattache le non-objectif (la forme détachée de toute référence à l’objet). L’influence de Malevitch est orbitale. Son groupe Supremus attire Popova, Klioune, Oudaltsova qu’on a connue, retour de Paris, cubiste convaincue avec pichet, guitare et violon. L’enseignement de Malevitch à l’école d’art de Vitebsk puis à Petrograd contribue à la diffusion du suprématisme dans toute l’Europe.<o:p></o:p>

    C’est enfin, au début des années vingt, le constructivisme, synthèse de l’esprit géométrique et de l’esprit révolutionnaire qui séduit les artistes pressés d’en finir avec l’art bourgeois. On trouve dans la boîte du peintre équerre et marteau, faucille et compas. Au service de la Révolution, l’affiche et la typographie prennent un coup de jeune. L.Popova s’illustre dans la calligraphie de slogans : « Tous au meeting », « Que les jeunes remplacent les vieux, vive la Jeunesse communiste ». G. Kloutsis réalise cinq cartes postales à l’occasion des premières Spartakiades (jeux olympiques prolétariens, Moscou, 1928) : « Pour une jeunesse saine », Saluons les ouvriers sportifs du monde entier » (ill). Très actif, Kloutsis dessine des projets de haut-parleurs, de tribunes destinés à la propagande. <o:p></o:p>

    Cependant ces vibrants engagements tournent court, comme l’acquis artistique qu’ils sont censés véhiculer. L’imposition du Réalisme soviétique par Staline au début des années trente fait de l’art d’avant-garde un art subversif et proscrit. Cercles, carrés, lignes droites savamment combinées sentent la méditation élitiste, dédaigneuse des saines réalités ouvrières, impuissante à les exprimer et dénuée d’effets stakhanovistes. La glorification du régime requiert le réalisme monumental qui convainque l’Europe que l’utopie est réalisée. Lénine aide les camarades à transporter un madrier, l’ouvrier s’épanouit en bleu de chauffe : oubliées, les « constructions d’un mouvement rectiligne » de Koudriachov !<o:p></o:p>

    Sur les trente-six artistes exposés au musée Maillol, deux émigrèrent en France (A. Exter et P. Mansouroff), deux furent victimes des purges de 1938 (A. Drévine, exécuté ; G. Kloutsis – notre fieffé propagandiste – disparu au Goulag). Les autres surent se faire discrets et certains, comme Nikritine ou Malevitch lui-même, devinrent adeptes du réalisme dialectique – montrant qu’au fond l’art à leurs yeux pesait moins lourd que la Révolution.<o:p></o:p>

    On doit à Georges Costakis (1913-1990), d’origine grecque, d’avoir sauvé de nombreuses œuvres de l’oubli. D’abord chauffeur de l’ambassade de Grèce à Moscou, puis de celle du Canada, il se forme à l’art en promenant les visiteurs chez les antiquaires riches des œuvres « rapportées » des campagnes militaires. Pris de passion, il acquiert pour rien les toiles que le courroux du Parti rend sans valeur marchande. Considéré comme embarrassant, il quitte l’URSS à la fin des années soixante-dix. Sa collection est répartie aujourd’hui entre la prestigieuse Galerie Tretyakov et le musée de Thessalonique. Si cet art est daté, la page d’histoire reste intéressante.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’avant-garde russe dans la collection Costakis, <o:p></o:p>

    jusqu’au 2 mars 2009, Musée Maillol.<o:p></o:p>

    Illustration : G. Kloutsis, Carte postale des Spartakiades © Adagp Paris 2008

    <o:p>voir également:</o:p>

    <o:p></o:p><o:p></o:p><o:p></o:p>


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  • Au musée Galliera<o:p></o:p>

    Des robes de princesse<o:p></o:p>

    Présent du 17 janvier 2009<o:p></o:p>

    A-t-on jamais autant modifié la silhouette féminine qu’avec la crinoline ? Les caricaturistes ne manquèrent pas de dénoncer le tour de magie qu’elle permet : telle femme plate dans son cabinet de toilette en sort plantureuse.<o:p></o:p>

    Le mot « crinoline » vient de l’italien crinolino, mélange de lin et de crin. Il est utilisé en France vers 1830 pour désigner un jupon gonflé et raidi de crin. Sa carrière publique commence en 1845 ; le crin est remplacé en 1856 par des fanons de baleine, qui laissent la place en 1859 à une cage formée de cerceaux métalliques reliés par des sangles. Sa forme a varié au fil du temps : elle est ronde, s’aplatit aux hanches, se projette vers l’arrière. La crinoline est une jupe auquel est toujours associé un corsage laissant les épaules nues, parfois plusieurs corsages qui permettaient d’adapter la tenue, plus ou moins décolletée, aux circonstances. <o:p></o:p>

    D’abord unies ou discrètement rayées, dans des tons pastels, les crinolines se firent plus voyantes grâce aux chimistes qui inventèrent des couleurs synthétiques telles que le fuchsia et le mauve. Carreaux et rayures devinrent très prisés. <o:p></o:p>

    Née avant le Second Empire, l’heure de gloire de la crinoline fut celle des bals impériaux. Quelques accessoires alliant commodité et élégance complétaient alors l’équipement des dames, tels que mantelets, manchons, ombrelles, carnets, éventails parfois équipés de porte-bouquet…Bals officiels, bals privés, bals costumés étaient quasi-quotidiens. Lors du bal que donna la duchesse d’Albe pour fêter la réunion de Nice et de la Savoie à la France, tandis que le couple impérial, rang oblige, se contentait de masques et de dominos, la princesse Mathilde apparut en Nubienne : « elle portait une robe brune et un burnous blanc ; sa tête, ses épaules et ses bras teintés de bistre », se souvenait, ému, Imbert de Saint-Amand. Le musée Galliera a réuni un bal fantôme de merveilles anonymes ou historiques, vestimentaires et iconographiques. Les modestes dessins de mode côtoient l’ambitieux et lourd portrait d’une Inconnue à la mantille par F. X. Winterhalter (1869). Voici, tirés de la garde-robe de la princesse Mathilde, une de ses robes, à rayures noires et rouges, un manchon inouï, en plumes de paon et de lophophore (le lophophore n’est pas une invention d’Alexandre Vialatte mais une sorte de faisan afghan).<o:p></o:p>

    L’impératrice Eugénie était réputée pour son élégance (ill.). On lui reprocha un intérêt trop vif pour la mode, sa « frivolité » – comme à Marie-Antoinette pour qui elle avait une grande admiration. (Elle s’inspira d’ailleurs des portraits de la Reine par Vigée-Lebrun pour s’habiller.) En réalité, vêtue très simplement dans la vie quotidienne, elle avait conscience de l’importance de sa tenue dans les situations officielles. Imbert de Saint-Amand, encore, notait en 1895 : « il n’y a pas au monde de contraste plus saisissant que celui qui existe entre ses toilettes éblouissantes d’autrefois et sa robe de veuve, sa robe de laine noire d’aujourd’hui. » Il reste de la garde-robe d’Eugénie des corsages, un mantelet, un boléro, un écran offert par les Dames Israélites d’Alger lors du voyage en Algérie. <o:p></o:p>

    Véritables « robes de princesse », les crinolines ne furent pas réservées aux dames de la haute société, les cocottes et demi-mondaines alors florissantes en portaient aussi, comme en font foi les lavis de Constantin Guys. <o:p></o:p>

    Avec la crinoline, la marchande à la toilette disparaît et l’on assiste à la naissance et du prêt-à-porter, et de la haute couture : la mécanisation de la fabrication de la dentelle, le développement des grands magasins qui proposent des modèles de robes sur catalogue assurent une diffusion en nombre, tandis que l’excellence du faire français et du goût parisien triomphe lors des expositions universelles, en matière de mode ainsi que dans la parfumerie et la bijouterie. Le traité de commerce entre la France et l’Angleterre (23 mai 1860) favorise d’une part l’importation des matériaux et produits industriels anglais, d’autre part l’exportation des articles de modes, de fantaisies, des soieries, des vins et spiritueux. <o:p></o:p>

    La France vit encore sur cette réputation d’excellence, mais à notre médiocre manière de s’habiller correspond un vocabulaire pauvre. Sorti du coton, du polyester, du col en V, nous n’avons plus grand-chose à dire. Les descriptions de crinolines raviront les poètes d’une authentique joie lexicale : « mousseline pékinée mauve sur fond crème, blonde, tresse de satin mauve et franges de pois parme », « faille façonnée, brochée de soie rose et crème avec ruché de satin formant plastron », « taffetas de soie violet, biais de satin noir et dentelle de Cluny noire »… <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Sous l’Empire des crinolines (1852-1870),

    jusqu’au 26 avril 2009, Musée Galliera.<o:p></o:p>

    Illustration : L’Impératrice Eugénie, vers 1861. Photographie de Mayer & Pierson

    © S. Piera / Galliera / Roger-Viollet.<o:p></o:p>


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