• Au musée Rodin

    Portraits selon Rodin

    Présent du 16 mai 2009

    Les premiers bustes d’Auguste Rodin n’ont rien d’extraordinaire. La jeune fille au chapeau fleuri de marguerites (vers 1865-1870) a la vulgarité d’un Carpeaux. La sagesse qui émane des époux Garnier est celle de l’ennui (1870). La crainte d’effaroucher le modèle explique une facture trop commune : le jeune sculpteur ne peut se permettre que fuient les clients. La jeunesse l’explique aussi : malgré ce qu’annonce le masque de l’Homme au nez cassé (1864), et que Rodin met en pratique pour la tête du Père Eymard (1865), il n’en tire pas immédiatement les conséquences.

    Les vrais, bons portraits apparaissent dans les années 1880. La jolie terre cuite qui représente H. Thorion, journaliste et député de la Meuse. La belle tête de M. Haquette, le Secrétaire d’Etat aux beaux arts qui obtint la commande de la Porte de l’Enfer. Les amis artistes, écrivains : Laurens, Dalou, Falguière, Becque. Après 1900, la qualité reste, les modèles changent. Ce sont des Américains, le businessman Thomas F. Ryan, l’avocat Arthur J. Eddy ; des Anglais, l’homme politique G. Wyndham, l’écrivain B. Shaw.

    Que Rodin s’acharne trente et une fois sur la tête de Clemenceau rapproche ces variations de celles jouées à partir de la japonaise Hanako, des innombrables études dessinées et modelées pour le monument à Victor Hugo, lorsqu’il tourne et manipule ce crâne dans tous les sens, tel un phrénologiste, et des études sans cesse recommencées pour le monument à Balzac.

    Certaines versions de Clemenceau sont abouties, d’autre pas. Cet air blasé, supérieur et fatigué, que lui a donné l’artiste, il ne s’y est pas reconnu. « Ce n’est pas moi. » A quoi répondait Rodin : « Clemenceau se voit dans la réalité. Je le vois dans sa légende. » Le désaccord naît de la confrontation de deux subjectivités, celle du modèle : l’image qu’il a de lui, tenue du miroir, de sa conscience, du regard d’autrui ; celle de l’artiste, compliquée par le but qu’il s’assigne. Les visages de Clemenceau, Hanako, Balzac, Rodin, participent de trois genres : le portrait représentatif, le portrait interprétatif – et le portrait prétexte, où un visage est le support utilisé par l’artiste pour exprimer une idée qui est sienne et non celle du modèle, tout en lui étant liée puisque l’artiste y voit une opportunité. Parasitisme, transmigration ? Comme dans le conte de Théophile Gautier, où une âme s’empare d’un autre corps, l’idée de l’artiste se saisit d’une chair pour se matérialiser.

    Car le portrait est lié à l’âme et à la vie ; dans la littérature, à l’âme et à la mort. Une nouvelle d’Edgar A. Poe, Le portrait ovale, se termine par la mort d’une jeune fille au moment même où le peintre – son fiancé – pose la dernière touche à son portrait. Sur ce rapport, Oscar Wilde a construit le terrible Portrait de Dorian Gray, dans lequel le héros garde un visage d’une beauté inaltérable tandis que son portrait, à l’abri des regards, se dégrade et prend les stigmates du Mal. Dorian Gray poignarde la toile, meurt, et on découvre son repoussant cadavre auprès du portrait éclatant de fraîcheur et d’innocence.

    Pour la tête de Balzac (comme pour celle de Baudelaire), Rodin s’aide de photos, de portraits, mais aussi de sosies. Il dégotte un charron tourangeau, mû par la théorie de Taine sur la Race et le Milieu, théorie tout autant balzacienne. Les études pour Balzac sont plus impressionnantes que celles pour Hugo. Il y a des Balzac butés, d’autres sensuels, d’autres roublards (illustration). En cours de recherche, le sculpteur représente Hugo et Balzac nus, héroïques sans qu’ils soient idéalisés, en Hercule de l’intellect. On connaît la version finale du Romancier de biais dans sa robe de chambre, tel un mégalithe.

    Avec ces multiples études, Rodin a voulu être « fidèle » à Hugo, à Balzac ; mais fidèle au-delà de la vérité naturaliste dont se seraient contentés les commanditaires du monument Balzac, qu’ils auraient préférée, même. Le plâtre monumental fut refusé par la Société des Gens de Lettres et fit scandale au Salon des Beaux Arts. Léon Bloy en conçut de l’inimitié pour Rodin, qui devint pleine et entière lorsque celui-ci, en 1909, réalisa le monument à Barbey d’Aurevilly. Voir « ce carrier » s’attaquer à « celui qui fut la Fantaisie même », lui était insupportable.

    Entre artistes et écrivains d’une même génération, à côté des sympathies ou mésententes explicables, existent des incompréhensions ou des attirances qui étonnent : Delacroix détestant Balzac, bizarrerie ; Van Gogh aimant Zola : bizarrerie. La parole restera à Rodin, qui déclarait, parlant de son Balzac : « Cette œuvre dont on a ri, parce qu’on ne pouvait la détruire, c’est la résultante de toute ma vie, le pivot même de mon esthétique. Du jour où je l’eus conçue, je fus un autre homme. »

    Samuel

    La fabrique du portrait, Rodin face à ses modèles,

    jusqu’au 23 août 2009, Musée Rodin

    illustration : Honoré de Balzac, terre cuite © Musée Rodin (C. Baraja)


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  • Au musée Carnavalet<o:p></o:p>

    Bâtir pour le Roi<o:p></o:p>

    Présent du 2 mai 09<o:p></o:p>

    Fils d’un peintre sans renom, Jules Hardouin (1646-1708) apprend l’architecture auprès de son grand-oncle François Mansart, dont à la mort en 1666 il accole le nom au sien. S’agit-il d’une usurpation ? De son vivant, jusqu’à son talent a été nié, parce qu’il était à la tête d’un cabinet, entouré de collaborateurs sans lesquels il n’aurait pu mener à terme les multiples commandes (parmi eux, Robert de Cotte). La jalousie à l’égard d’un homme que le Louis XIV protège continûment de 1673 à 1708, avec ces échelons : Premier architecte du Roi en 1681, anoblissement en 1682, Inspecteur général des Bâtiments en 1691, Surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures en 1699, cette jalousie rassemble un parti que Mansart agace. Saint-Simon en est.<o:p></o:p>

    Qui plus est, l’homme pose avec complaisance sous les aspects de l’homme arrivé plus qu’en tant qu’architecte. Jamais bâtisseur n’avait été autant portraituré : Rigaud, Coysevox, de Troy, Lemoine ont tiré de ce modèle des œuvres parmi leurs plus réussies. Sur le portrait de Rigaud, quelques outils d’architecte et les Invalides ; mais la pose est celle d’un grand de la cour, médaillé. La postérité a retenu cette image de Jules Hardouin-Mansart et pour une part son œuvre a été oubliée au profit des acquis qu’elle lui a mérités ; c’est l’image qu’il a donnée lui-même.<o:p></o:p>

    Versailles occupe Hardouin-Mansart de 1678 à 1689. Il commence à travailler sous Le Brun. Celui-ci règle la décoration intérieure à laquelle il doit se plier pour dessiner les extérieurs : première occasion de froisser les susceptibilités. Louvois succède à Colbert et s’appuie sur Hardouin-Mansart pour avoir les coudées franches vis-à-vis de Le Brun. Versailles se voit doté des ailes Sud et Nord, de la chapelle, de l’Orangerie, des Communs, des Ecuries, du Grand Trianon. Les voûtes de l’Orangerie présentent un appareillage à nu qui reflète le goût français pour la beauté de la pierre et l’intérêt de l’architecte pour la stéréotomie, mêlant courbes et pénétrations. Moins colossales, d’autres voûtes témoignent de sa connaissance de cette partie, à Arles (voûtes de l’Hôtel de Ville), au déambulatoire de la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Roch (voûte annulaire sur plan elliptique, Paris), à la nef de N.-D. de Versailles, aux arches du Pont-Royal (Paris). <o:p></o:p>

    J. H.-Mansart édifie la demeure apollinienne et politique du Roi, bâtit pour son intimité Marly et Trianon, œuvre à sa représentation dans la Cité par le biais des places royales : celle de Dijon, celles de Paris : la place Vendôme et la place des Victoires (illustration). Les façades de ces deux places sont bâties sur le même modèle : un rez-de-chaussée à hautes arcatures en plein cintre, ornées de mascarons ; un premier et deuxième étage, celui-ci moins haut que celui-là, liés par un ordre colossal, corinthien place Vendôme, ionique place des Victoires ; les fenêtres en mansarde sont de deux sortes, en alternance. L’ambiance est très différente, l’une place circulaire et intimiste, façade continue interrompue par les rues rayonnantes (illustration, de nos jours la portion Est manque) ; l’autre à pans et officielle, rythmée par les avant-corps à tympan, traversée par une unique rue dans sa longueur. Le premier projet de la place Vendôme prévoyait même un arc de triomphe.<o:p></o:p>

    Comme à Versailles, comme à Dijon, la façade à la Mansart se déploie à l’horizontale, modelée sans heurts, sur un rythme tranquille. L’impression de verticalité est ménagée par la progression décroissante de la hauteur des niveaux et de la largeur des ouvertures.<o:p></o:p>

    Toute en verticales est l’église des Invalides (1676-1706). Coupes du bâtiment, maquettes permettent de comprendre la structure du bâtiment. L’église est un fruit de la Renaissance romaine : plan centré, dôme sur tambour, façade à ordres. Tellement romaine qu’un projet dotait les Invalides, côté Grenelle, de deux bras en arc rappelant ceux de la place Saint-Pierre. N. Pevsner décèle un académisme statique à l’intérieur, et des prémices baroques dans la façade (Génie de l’architecture européenne, 1941).<o:p></o:p>

    De prestigieux particuliers firent appel à Hardouin-Mansart : pour la famille royale et les grands il construisit hôtels particuliers et châteaux. Les démolitions et les modifications en ont gâté une grande part. Au Marais, l’hôtel de Fieubet a été massacré, l’aile de l’hôtel de Chaulnes défigurée, l’hôtel de Sagonne retouché. Les Orangeries de Sceaux et de Thouars sont heureusement intactes. <o:p></o:p>

    L’œuvre bâti de Hardouin-Mansart, considéré avec objectivité, ne révèle pas un architecte froid et ennuyeux mais un technicien et un artiste, un authentique créateur qu’on prendrait difficilement en défaut. De son ambition de jeune homme, il ne s’est pas montré indigne, pas plus qu’il n’a été indigne des vues de Louis XIV.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Bâtir pour le roi, Jules Hardouin-Mansart, <o:p></o:p>

    jusqu’au 28 juin 2009, Musée Carnavalet<o:p></o:p>

    illustration : La place des Victoires © Schwa Ltd<o:p></o:p>


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  • Enfin! Marqué par les récentes déclarations de Ségolène Royal, Laurent Dandrieu demande pardon.


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  • Au Petit Palais

    Athos et Byzance

    Présent du 25 avril 09

    Le Mont Athos est une principauté monacale qui depuis dix siècles bénéficie d’une juridiction particulière établie sous Byzance, respectée par les Ottomans, inscrite dans la Constitution de la République hellénique. La péninsule, habitée dans l’Antiquité, se trouva déserte au Ve siècle suite aux invasions slaves et bulgares, aux attaques de pirates. Les moines la colonisèrent à partir du IXe siècle, y trouvant refuge lors de la persécution iconoclaste. Ab ovo, le monachisme athonite est lié aux images.

    Les premiers temps, les moines vécurent en ermites ou regroupés en laures, petites équipes sans capitaine dont les membres se soutiennent. Une icône du XVe siècle représentant La Dormition de saint Ephrem le Syrien situe la scène dans le contexte de l’anachorétisme : tandis que des moines s’assemblent autour du mourant, d’autres sont encore occupés dans leurs grottes à prier, étudier, travailler. Un moine place dans un panier la nourriture pour un stylite, assis dans une chaire au sommet d’une colonne. Saint Siméon le Stylite apparaît sur une autre icône, avec Denis de Thessalonique qui était, lui, un dendrite : il émerge du feuillage d’un arbre. Le culte des saints prédécesseurs, modèles d’ascétisme parfois extrême, était fort ; celui des pères de l’Eglise aussi, une icône rassemble Basile de Césarée, Grégoire de Naziance, Jean Chrysostome, revêtus de la belle chape qu’on voit aux hiérarques : blanches à semis de larges croix noires.

    Saint Athanase apparaît sur les icônes, sur les manuscrits, sur les fresques (remarquable tête sur une fresque de 1447, monastère Saint-Paul). C’est le plus vénéré : il est le « père » du mont Athos. Il y introduisit la vie cénobitique, y établit le premier monastère : la Grande Laure. Les ermites ne virent pas cela d’un bon œil, et Athanase aurait sans doute échoué s’il n’avait eu le soutien de Nicéphore II puis de Jean 1er Trizmiskès, lequel s’entremit et fit signer à tous les partis le Typicon (972), qui réglait la vie monacale de la région. Par la suite l’intervention impériale est constante : le mont Athos conserve les chrysobulles, ainsi nommées parce que scellées d’or, qui confirment les monastères dans leurs droits, leurs propriétés, leurs exemptions fiscales. Quels documents que ces chartes signées de l’Empereur des Romains ! (Autocrator Rhomaiôn – les mots « empereur byzantin » sont modernes.)

    En 1424, six ans avant l’invasion de la Thessalonique, trente ans avant la chute de Constantinople, la fédération des monastères fit allégeance aux Ottomans. Rompus aux rapports avec les puissants, habiles à préserver leurs intérêts, les moines ne faisaient pas un mauvais calcul : ils gardaient leur indépendance moyennant impôt et restaient à l’écart des soubresauts de l’Empire agonisant.

    Préservé de l’histoire, le Mont Athos est un conservatoire unique de l’art byzantin. La majeure partie des trésors sont des donations impériales ou de la haute société, qui, on le sait, était pieuse et s’adonnait volontiers à la théologie : luxueux ouvrages, icônes pour garnir les iconostases, vases sacrés, encolpia (bijoux pectoraux), etc. Jean VI Cantacuzène (XIVe) projetait de se retirer dans le monastère de Vatopédi. Il prépara sa venue par le don de vingt-six manuscrits, de quatre grandes icônes et d’un splendide tissu liturgique brodé d’or et d’argent : le Christ mort, quatre anges en diacre. Deux frères, Alexis le Grand et Jean le Grand Primicier fondent le monastère de Pantocrator, d’où provient une grande croix peinte. Au sommet, une scène particulière aux orthodoxes : le trône vide dans l’attente de la Résurrection, devant lequel se prosternent Adam et Eve.

    Les icônes, qu’elles fussent peintes ou se présentassent sous forme de mosaïques portatives (constituées de minuscules tesselles sur bois), ont influencé la peinture occidentale, sans en modifier l’expression artistique propre. Dans le monde des icônes, le Christ, la Vierge, les saints, les anges (le plus aimé est Gabriel, ill.), sont des apparitions, la matérialisation d’un être spirituel au milieu d’un or immatériel, alors qu’en Occident le fond d’or ni l’hiératisme n’empêchent l’humanité de s’exprimer, la narration de se déployer, la spiritualité d’être transcrite.

    Après la chute, la production artistique se transport de Constantinople en Crète. Au XVIe siècle, la peinture byzantine brille de ses derniers feux (icône de saint Jean-Baptiste, église du Protaton). Dans les siècles suivants, des moines peintres s’installent au mont Athos. Les icônes du XIXe ne sont que répétition ; un manque d’intérêt pour le Réel explique ce dépérissement pictural.

    Samuel

    Le Mont Athos et l’Empire byzantin, Trésors de la sainte montagne,

    jusqu’au 5 juillet 2009, Musée du Petit Palais

    illustration : L’archange Gabriel, début du XIVe siècle. Attribué à Georges Kalliergis © Monastère de Vatopédi


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  • Au musée du Luxembourg

    Les Lippi
    Présent du 18 avril 2009


    La cité de Prato souffrit de dépendre de Pistoia sur le plan religieux – elle ne devint évêché qu’au XVIIe siècle –, et de Florence, dont elle est séparée par quinze petits kilomètres, sur le plan politique. Elle ne pouvait échapper à son attraction mais ne fut jamais éclipsée. Elle refléta une part de l’éclat florentin. La prise de contrôle, effective au milieu du XIVe siècle, fut d’abord fiscale, puis artistique. Les Médicis imposèrent leurs hommes sur les chantiers. Ainsi la surélévation des voûtes de Santo Stefano fut-elle confiée en 1368 aux architectes qui avaient travaillé auparavant à Santa Maria Dei Fiori. Passèrent ensuite Giovanni Da Milano, Paolo Ucello, Donatello, Della Robia, Settignano… Tous ont laissé, qui une fresque, qui une sculpture ; nul n’a marqué Prato autant que les Lippi, père et fils, et leurs nombreux suiveurs.

    Fra Filippo Lippi, né à Florence en 1406, séjourna à Prato de 1452 à 1466 où on l’appelait pour peindre les fresques consacrées aux vies de saint Etienne et saint Jean-Baptiste dans la cathédrale qui conserve deux reliques, deux pierres : l’une qui servit lors de la lapidation du proto-martyr, l’autre sur laquelle fut décapité le Baptiste. A cette date, Filippo a allégé sa manière : l’espace n’est plus encombré de figurants, de surnuméraires juxtaposés tels qu’ils apparaissent dans les tableaux des années 1440-1450 (Le Couronnement de la Vierge, Florence).

    La relique la plus insigne de Prato, sa fierté, est la Ceinture de la Vierge, tombée du ciel pour convaincre saint Thomas de la réalité de l’Assomption, acquise plus tard à Jérusalem par un marchand qui la rapporta dans sa cité natale. L’histoire a été racontée sur une prédelle par B. Daddi, en fresques par A. Gaddi (cf. Présent du 11 avril). Le couvent Santa Margherita commanda à Fra Filippo Lippi un tableau reprenant l’histoire de la Sainte Ceinture (illustration) mais ce frère Carme à la vie peu régulière enleva, avant d’avoir achevé le tableau, une des religieuses. Les historiens pensent que Lucrezia Buti est représentée en sainte Marguerite (à gauche dans le tableau). Le scandale fut grand, il fallut tout l’entregent de Cosme l’Ancien, protecteur du peintre, pour stopper l’action judiciaire et obtenir du pape que soient relevés de leurs vœux les fautifs qui eurent deux bambins, Filippino et Alessandra, mais ne se marièrent pas : Filippo abandonna sa maîtresse pour partir à Spolète où il mourut en 1469. Sur son tombeau il figure en moine. L’épitaphe est un lieu commun de l’époque : « Ci-gis-je, moi Philippe, gloire de la peinture. (…) Sous mes doigts les couleurs s’animèrent et les gens, trompés, s’attendirent à les voir parler. La nature même s’étonna en voyant mes personnages et me reconnut son égal. »

    Parmi les autres œuvres de Filippo : des Vierges à l’Enfant où affleure la joliesse, du lot sort l’étonnante Vierge à l’Enfant emmailloté, jeune fille aux cheveux blonds cendrés ; la belle Annonciation avec saint Julien, d’une coloration expressive, et de grands panneaux (Nativité avec saint Georges et saint Vincent Ferrier). Filippo a eut comme collaborateur Domenico Zanobi et Fra Diamante, dont la Nativité (Louvre) montre son assimilation du style Lippi. Mais peut-être Fra Diamante a-t-il été, pour le père comme pour le fils, puisqu’il prit le jeune Filippino sous son aile, le dénominateur commun de stabilité de ces talents irréguliers.

    Filippino Lippi (1457-1504) et Fra Diamante collaborent à une prédelle (1470, église Santa Margherita), dont la Présentation au temple reprend la grande version peinte auparavant par Filippo et Fra Diamante pour l’église Santo Spirito. De la même époque, la Mise au tombeau de Filippino est une merveille, toute fluide, presque aquarellée, les quatre personnages inscrits dans un arc en tiers point.

    Sa carrière fut ensuite romaine (la chapelle Carafa à Sainte-Marie-Minerve) puis florentine. Il revint à Prato pour peindre une Vierge à l’Enfant entourée de saint Etienne et saint Jean-Baptiste, destinée à la salle de l’Audience. La technique employée ? Une détrempe grasse sur bois. La matière est laide, dure, les couleurs inharmonieuses. On est loin de l’élégance dorée du même sujet traité par son père en 1453. En fin de compte, les œuvres de Filippino présentées ne donnent qu’une image imparfaite de son talent. Celles du Louvre, la Vierge à la grenade en particulier, n’auraient-elles pas pu être déplacées ? Ou les peintures de la vie de Virginie, de la vie d’Esther ? Une grâce s’y manifeste, la grâce de Botticelli, qui après s’être formé auprès de Filippo eut son fils comme élève.

    Samuel

    Filippo et Filippino Lippi, la Renaissance à Prato,

    jusqu’au 2 août 2009, Musée du Luxembourg

    illustration : Filippo Lippi et Fra Diamante, Vierge à la Ceinture, 1456-1460 © Archivio Museo Civico di Prato


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