• Au Grand Palais

    Claude Monet

    Présent du 13 novembre 2010

     

    Adolescent, Monet se fit connaître dans sa ville natale du Havre par des caricatures. Eugène Boudin, que les paysages ruraux et maritimes attiraient régulièrement dans la région, remarqua ces dessins. Il conseilla à Monet d’étudier la nature. Bien que l’idée n’enthousiasmât pas le jeune homme, Boudin fit tant qu’il l’accompagna sur le motif. Ce fut une révélation. Ses progrès confirmèrent la juste intuition de Boudin. Monet fit bientôt connaissance d’un second paysagiste solitaire : Jongkind, dont il dira qu’il avait achevé l’éducation de son œil.

     

    L’impressionnisme ne naît pas ex nihilo. Fruit de l’école de Barbizon, et, par la bande, du réalisme de Courbet, il fait ses classes dans la nature – l’école buissonnière. L’art se recrée au contact du réel, bien loin de l’« idéalisme d’atelier » que l’art officiel, fort de ses organismes (Institut, Beaux-Arts, Salon), promeut et défend comme seul un système organisé sait le faire : par la promotion de la médiocrité.

     

    La contestation a été grassement rémunératrice au XXe siècle, devenue partie intégrante de ce système. En 1860, rien de tel. Refuser l’art officiel revenait à se priver de carrière, de notoriété, de commandes. Le système des Beaux-Arts fonctionne alors comme la Sécurité sociale : hors de lui, la survie. Les peintres de Barbizon et les impressionnistes – et les générations suivantes – connurent les vaches maigres. Il est utile de rappeler les sacrifices consentis par ces artistes, que leur victoire posthume fait oublier ou relativiser.

     

    Les toiles de Monet des années 1860, en forêt de Fontainebleau (Le pavé de Chailly, 1865) et en Normandie, sont marquées par le travail. La lourdeur de l’étude est sensible dans certaines : La pointe de la Hève à marée basse ; La plage de Sainte-Adresse, temps gris. Puis le travail paye, dès avant 1870, et l’aisance est merveilleuse : L’entrée du port de Trouville, avec la voile saumon dans cette atmosphère grise, les vues du port du Havre, de jour (Le bassin du Commerce) ou de nuit.

     

    La pie (1869), paysage neigeux et ensoleillé, résume les recherches impressionnistes : les variations de la couleur dans la lumière et dans l’ombre. La couleur était victime d’une longue tradition de clair-obscur fondée sur l’idée vincienne que, de l’éclairé à l’inéclairé, une couleur se dégrade du blanc au noir. Idée fausse, farfelue, qui revient à éteindre la couleur. En réalité la couleur se modifie en une autre couleur, et dans la lumière, et dans l’ombre. Un paysage neigeux permettait d’observer une ombre bleutée. Partant de là, d’analyser et de comprendre les ombres en tant que couleurs. La contribution des impressionnistes est dans cette plénitude retrouvée de la couleur, sur toute la surface du tableau, véritable rupture avec la routine de ces trous d’ombre où la couleur et la forme disparaissaient.

     

    Les lumières de la Seine à Bougival, à Argenteuil, les champs de coquelicots… le charme opère. Le Signal, une « vue » de Saint-Lazare (1877, illustration), illustre sa maîtrise à transformer une impression en tableau, à Paris comme en campagne : Soleil couchant sur la Seine, effet d’hiver (1880). Monet hésite entre une touche fluide et une touche sèche, frottée ou posée en virgule. Certaines compositions sont doublées, dans l’un et l’autre genre (La gare Saint-Lazare, 1877 ; La Seine à Lavacourt, 1878 et 1880). On préfère largement la manière fluide, qui s’accompagne d’une franchise de coloris, tandis que la touche virgule porte des tons disgracieux.

     

    Cependant la touche filasse devient envahissante. Les toiles normandes et méditerranéennes des années 1880 pallient-elles le manque d’inspiration par ce biais ? A la fin du siècle Monet se détourne de la lumière et de la couleur, à la recherche de la luminosité : le blanc souille tout. Un aveuglement. Les études de meules, de la façade de la cathédrale de Rouen – devant lesquelles il est convenu de s’extasier – sont tuées au blanc. Comparez les vues de Varengeville : celle de 1882 est colorée, celles de 1897 décolorées. Dans cette dissolution générale de la couleur, la dissolution de la forme suit. Au final, seule reste palpable la signature. Monet est le plus grand des impressionnistes, qualités et défauts compris : « Ils cherchent autour de l'œil, et non au centre mystérieux de la pensée », dira d’eux Gauguin.

     

    D’autres aspects de Monet : les figures, avec les études du Déjeuner sur l’herbe, et les fragments de cette grande toile inaboutie (1865-1866) ; les natures mortes – il convainc plus en peintre de fleurs (Les chrysanthèmes rouges, 1881, enlevés) ; et des intérieurs, qui sont après tout des sortes de paysages.

    Samuel

    A voir également:

    Claude Monet (1840 – 1926). Jusqu’au 24 janvier 2011, Grand Palais.

     

    illustration : La gare Saint-Lazare à l’extérieur (le signal), 1877 © Niedersächsisches Landesmuseum, Hanover

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    Au musée Maillol

    La famille Médicis

    Présent du 6 novembre 2010

    On connaît tous des Médicis, mais leur généalogie ? La part qui revient aux principaux d’entre eux dans le mécénat, véritable estampille familiale ? Ils eurent cela dans le sang et l’analyse que propose le musée Maillol retrace quatre siècles d’une histoire extraordinaire.<o:p></o:p>

    L’aura des Médicis commence avec Cosme l’Ancien (1389-1464), banquier des papes et des rois. Il collectionne les antiques, commande un retable à Fra Angelico, en piété pour son saint patron. La prédelle représente la sépulture de Côme et Damien et de leurs trois frères, tous décapités. Un dromadaire y parle par phylactère. L’explication se trouve dans la Légende dorée. Côme avait déclaré ne pas vouloir être enterré avec Damien parce qu’il avait accepté de l’argent d’une malade. Après leur martyre, au moment de les enterrer, les chrétiens étaient dans l’embarras : fallait-il se conformer au vœu de Côme ? C’est alors qu’arriva un camélidé qui cria « d’une voix humaine » : « Ensevelissez-les tous en un même lieu. » La scène est baignée d’une luminosité irréelle, à la fois douce et pimentée.<o:p></o:p>

    Le petit-fils de Cosme, Laurent le Magnifique (1449-1492), est un banquier médiocre mais un poète talentueux. Il collectionne les vases chinois, les camées antiques. Il protège le jeune Michel-Ange, commande une Adoration des Mages à Botticelli. Nulle emphase dans cette peinture qui rassemble autour de la crèche la famille Médicis et leurs proches (le sulfureux Pic de la Mirandole, le lettré Politien…). Les personnages perdent la gracilité gothique et gagnent en épaisseur. Bien des teintes sont identiques à celle du Fra Angelico : mais, comme dans deux recettes, les proportions des ingrédients sont différentes, et combien plus l’occupation de l’espace.<o:p></o:p>

    Au XVIe siècle, Cosme Ier (1519-1574) accroît la collection d’antiques et édifie les Offices pour l’y abriter. Il crée un cabinet de curiosités, la mode de l’époque maniériste, visible dans l’art qu’il soutient : distant portrait de son épouse par Bronzino (1543, illustration) – épouse qu’il fera empoisonner, la soupçonnant d’infidélité, raconte Brantôme –, bas-relief de Persée et Andromède (1545) par Cellini, qui manque d’unité mais où Andromède est splendidement modelée.<o:p></o:p>

    Ses fils, François Ier de Médicis et Ferdinand Ier, agissent dans la même ambiance maniériste : goût pour les fêtes magnifiques avec costumes exubérants et effets spéciaux, amour des roches étonnantes, des perles et des coquillages, goût pour la science – pas encore distinguée de l’alchimie – et les mathématiques (Galilée est leur protégé).<o:p></o:p>

    La gloire de ces grands-ducs est éclipsée par leurs cousins contemporains qui accèdent au pontificat. Le fils de Laurent le magnifique devient pape sous le nom de Léon X (pape de 1513 à 1521). Son mécénat donne du travail à Del Sarto, à Raphaël, mais le pape se heurte à Michel-Ange. Il collectionne les manuscrits. Sa crosse est exposée, avec sa volute tressée au milieu de laquelle se tient saint Laurent.<o:p></o:p>

    Après l’intermède d’un pape néerlandais, un cousin de Léon X devient pape à son tour (Clément VII, 1523-1534). Il a la douleur de voir Rome mise à sac par les troupes impériales. La gloire de son règne est d’avoir pris sous sa coupe Michel-Ange. Clément VII marie sa petite-nièce Catherine à Henri II. Reine de France, elle prolonge l’italianisme qu’a favorisé François Ier.<o:p></o:p>

    C’est ensuite une petite-fille du grand-duc François qui devient reine de France en épousant Henri IV en 1600. Avec les grands travaux du palais du Luxembourg dans les années 1620, arrivent à Paris des Italiens comme Gentileschi (un possible maître des Le Nain), des Flamands : François II de Pourbus, qui peint son portrait tout emperlé, Rubens, présent au mariage à Florence en tant qu’ambassadeur, qui peint la série de 24 tableaux qui raconte de la naissance de la reine à sa réconciliation avec Louis XIII, et bien d’autres toiles (cf. l’exposition du musée Jacquemart-André, Présent du 30 octobre).<o:p></o:p>

    Le XVIIe siècle connaît encore deux Médicis intéressants. Cosme II donne sa place à la peinture caravagesque, pousse les murs pour mieux organiser les collections. Son frère le cardinal Léopold réorganise la considérable bibliothèque et commence une collection d’autoportraits : Cortone, Giordano, Dolci… La famille a depuis longtemps soutenu Galilée dans ses recherches. Lors de ses ennuis avec l’Inquisition, Ferdinand II (fils de Cosme II), défend encore le savant.<o:p></o:p>

    Le sang est épuisé : Cosme III est un pâle grand-duc. Il a la dévotion triste et l’alimentation cafarde : cinq fruits et légumes par jour, de l’eau. Il règne si longtemps que son fils aîné, mélomane et esthète, meurt avant d’être duc. Le fils cadet lui succède, Jean-Gaston, figure de débauché mélancolique toujours entre deux cuites. Sa sœur lègue le trésor à la ville de Florence : les Médicis quittent l’histoire et entrent dans la légende.<o:p></o:p>

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    Samuel<o:p></o:p>

    Trésor des Médicis. Jusqu’au 31 janvier 2011, musée Maillol.

    Prolongation jusqu'au 13 février 2011

    illustration : Agnolo Bronzino, Portait d’Eléonore de Tolède

    © Narodni Galerie, Prague,Czech Republic/ Giraudon/ The Bridgeman Art Library<o:p></o:p>


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    Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

     

    Le grand XVIIe<o:p></o:p>

    Présent du 30 octobre 2010<o:p></o:p>

    Difficile de ne pas céder au charme de cette exposition consacrée aux peintures flamande et française du XVIIe siècle. Elle rend à l’une et l’autre les honneurs dus et atteint son but, qui est de montrer l’influence flamande (baroque) sur la peinture française, puis l’influence française (classique) sur la peinture flamande.<o:p></o:p>

    Depuis des siècles, le Nord irrigue régulièrement la peinture européenne. Les Flamands, les Hollandais, en allant à Rome, s’arrêtent en route, pour une année ou pour la vie. Ce qui n’était qu’une étape devient résidence, Paris, Lyon, Avignon ont leur petite communauté de peintres du Nord. On devine parfois, derrière le nom francisé, le patronyme d’origine. La majorité d’entre eux est restée obscure, mais ils ont été des maîtres, ont transmis aux Français un métier.<o:p></o:p>

    S’ajoutent les Flamands célèbres, sollicités eux par le pouvoir. Marie de Médicis, reine puis régente, fait venir par exemple Rubens à Paris. Celui-ci emprunte à la reine son visage lorsqu’il peint une Allégorie du bon gouvernement. Aidé d’élèves comme Van Thulden qui peint la vie de Jean de Matha pour le couvent des Mathurins, Rubens peint la grande série de toiles aujourd’hui au Louvre. Van Dyck peint également le portrait de la reine. François II Pourbus peint Louis XIII enfant (1614), Philippe de Champaigne Louis XIV enfant (1643). Juste d’Egmont « sert » sous les deux rois. Il collabore avec Vouet et est l’un des douze anciens lors de la fondation de l’Académie en 1648.<o:p></o:p>

    Présents lors de la fondation, des Français inspirés par les Flamands : La Hyre, Antoine et Louis Le Nain. La Hyre s’inspire de Snyders avec ses Deux chiens dans un paysage (1632). Deux bêtes qui n’ont pas grand intérêt, pas plus que celles de Snyders, mais l’oiseau sur la branche, au milieu en haut, est d’une bonne venue. Les frères Le Nain reprennent le concept des scènes de genre flamandes. On voit ici des soldats au café, des musiciens : Le concert (Laon), œuvre de jeunesse collaborative ou œuvre tardive de Mathieu, Les joueurs de cartes (Avignon) jadis attribué à Sébastien Bourdon, et Les tricheurs (Louvre), désormais donné à un « Maître des jeux ». Ces incertitudes d’attribution et de date font partie du brouillard qui entoure les œuvres et les vies des trois Le Nain. Heureusement qu’ils n’étaient pas sept ! Nous ne discuterons pas ici de la justesse d’être « tuilliériste » ou « rosenbergien ». Le Nain ou pas, et sans être des meilleurs Le Nain, ce sont de très bonnes toiles.<o:p></o:p>

    Lubin Baugin est l’auteur d’une nature morte « aux abricots ». La table et la coupe sont froides, les abricots une merveille. Le petit bout de branche encore accroché à l’abricot du premier plan annonce la branche de cerisiers de Van Gogh : s’y lit la même allégresse du pinceau.<o:p></o:p>

    Les Le Nain s’écartent tout de suite du trivial auquel ont succombé tant de scènes flamandes. Ils haussent le ton comme, de leur côté, La Hyre, Champaigne. Le classicisme, cette peinture exigeante, touche l’histoire biblique (La Hyre : Le jugement de Salomon), l’allégorie (Le Sueur : Allégorie du ministre parfait), le paysage : Pierre Patel l’Ancien peint des vues idéales paisibles. Cohabitent des ruines antiques, des bergers ou la Sainte Famille, des chèvres, et une nature où herbes, eaux et roches sont suggérées avec une légèreté admirable.<o:p></o:p>

    Poussin connaît la même évolution, mais à Rome, comme le Lorrain. Vénus pleurant Adonis est une toile très abîmée. Mercure, Hersé et Aglaure, ou Midas à la source du fleuve Pactole, sont mieux conservées. Elles n’ont pas le caractère appuyé de toiles plus tardives comme Coriolan : on peut les préférer. <o:p></o:p>

    Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les peintres flamands viennent encore à Paris, mais s’y instruire, parachever leur formation. L’influence française sur les peintres liégeois est décisive. C’est le cas de Bertholet Flemal, qui s’arrête à Paris au retour de Rome, avant de rentrer à Liège où il fut peut-être empoisonné par la Brinvilliers, une amie. Sa peinture n’est pas emballante, ni celle de Gérard Douffet, si dure. Dur aussi le Christ aux enfants de Jean-Guillaume Carlier, dont on préférera largement l’autoportrait saisissant.<o:p></o:p>

    De tous ces peintres, c’est un possible élève de Flemal, Gérard de Lairesse, qu’on retiendra. Il mérita d’être surnommé « le Poussin de sa Nation ». L’à-peu-près d’un surnom. Sa Fête de Vénus n’a pas le dessin rigoureux du maître franco-romain. On se délectera de huit toiles qui racontent le Triomphe de Paul Emile, esquisses pour un plus grand décor. Relecture des Triomphes de Mantegna ? Le dessin est enlevé, sa composition claire, et l’harmonie générale merveilleuse, des tons ocre rose que font chanter des éclats d’or sur les armures noires.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Rubens, Poussin et les peintres du XVIIe siècle.

    Jusqu’au 24 janvier 2011, Musée Jacquemart-André.

    illustration : Frères Le Nain, Les Joueurs de cartes © Musée Granet, Aix-en-Provence<o:p></o:p>


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    Au musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    Russes et romantiques<o:p></o:p>

    Présent du 23 octobre 2010<o:p></o:p>

    L’exposition « Sainte Russie » (Louvre) nous avait laissés aux abords du règne de Pierre le Grand, à la fin du XVIIe. Le musée de la Vie romantique nous emmène dans la première moitié du XIXe. Que s’est-il passé pendant ce laps de temps ?<o:p></o:p>

    L’influence de la France a été forte. Nombreux ont été les artistes français à partir travailler en Russie, nombreux les Russes à voyager en Europe occidentale. Le XVIIIe russe découvre l’art profane. La peinture n’est plus limitée aux icônes, la musique aux cérémonies. Elargissement pour une part naturel, pour une autre lié aux Lumières. Cependant la violence de la Révolution écorne cet idéal de progrès et la campagne napoléonienne met fin à l’amitié franco-russe. Désormais les artistes s’arrêteront plutôt à Rome, Alexandre Brioullov y est envoyé en 1822 (il a 21 ans) par la Société d’encouragement aux Artistes, Chtchédrine y séjourne, ainsi qu’à Naples, etc.<o:p></o:p>

    Le romantisme russe ne saurait ressembler exactement au romantisme européen : celui-ci se construisit en opposition partielle au néoclassicisme, tandis que la Russie n’avait pas une assez vieille tradition picturale outre qu’iconique pour rompre, déjà, avec quelque chose. Aussi ce romantisme garde-t-il des aspects du « classicisme » étranger qui l’a précédé. L’art russe gagne en maturation. Il ne marche pas du même pas que la littérature : en ces années 1820-1840 Pouchkine et Gogol donnent des chefs-d’œuvre.<o:p></o:p>

    Gogol s’intéresse de près à la peinture. Dans deux nouvelles, des questions sont posées : la confrontation de l’idéal et du réel (La perspective Nevsky : le peintre Piskariov, incapable de les concilier, se suicide), la vocation (Le portrait : le peintre Tchartkov, qui a réussi en prostituant son art, en vient, le jour où il se rend compte de ce fourvoiement, à acheter de belles œuvres pour la satisfaction de les lacérer). Fedor Moller est l’auteur, au début des années 1840, d’un des trois portraits de Gogol, peint à Rome. Une figure tout en finesse, où se lit la malice si présente dans les œuvres de jeunesse de l’écrivain. <o:p></o:p>

    Bien d’autres portraits témoignent des amitiés entre peintres et écrivains. Oreste Kiprenski peint celui de Pouchkine. Kiprenski est un fort bon portraitiste, à l’huile (le poète Jakowski, jeune homme modestement échevelé), aux crayons : le comte Comarovsky (1823, illustration). Ce comte, cavalier de la Garde, s’occupait de philosophie de l’histoire et se montrait, d’après les témoignages, « perpétuellement insatisfait de la triste réalité ». Un brin de ce refus transparaît dans ces yeux enfoncés, au regard levé. Roman Volkov peint le fabuliste Krylov, dans son épaisse robe de chambre à la Balzac. Vladimir Borovikoski peint un portrait présumé de Madame de Staël, pas flatté pour deux sous.<o:p></o:p>

    D’autres portraits : Vassili Tropinine possède une large touche pour peindre un guitariste, une comtesse. Aquarelliste, Petr Sokolov est un portraitiste minutieux mais sensible.<o:p></o:p>

    Chez les frères Karl et Alexandre Brioullov, la minutie existe sans la sensibilité. Celle-là a-t-elle tué celle-ci ? Prétendrait-elle la remplacer ? Dessins, huiles, aquarelles techniquement corrects mais superficiels. Du même tonneau, l’art méticuleux de Fedor Tolstoï produit des médaillons en plâtre froids et guindés, des études de groseilles où ne manque pas un pépin, des narcisses qui n’éveillent aucun écho, des trompe-l’œil : que peut-il se passer dans l’esprit d’un artiste pour qu’il imagine un jour de pignocher un Paysage urbain sous un papier transparent (sic, et flûte !). L’intention d’une chose pareille est déjà un péché, alors le passage à l’acte ! Une grappe de raisins, à la rigueur, respire la nature.<o:p></o:p>

    L’époque romantique aime les intérieurs, autre expérience d’intimité après le portrait. Dans la chambre (1854), d’Alexandre Khroutski, est un bel intérieur avec deux enfants qui regardent un livre d’images. Il est par endroit chargé, mais la luminosité lui donne sa valeur. L’autoportrait de Sofia Vassilievna Soukhovo-Kobyline, peint à Rome vers 1847, nous montre une charmante jeune femme devant son chevalet, avec sa palette, ses brosses, son guide-main.<o:p></o:p>

    Terminons par les extérieurs. Il y a des clairs de lune à Naples (Chtchédrine, 1828), à Gallipoli (Rabus, vers 1820), une nuit d’automne à Saint-Pétersbourg (Vorobiev, 1835), un crépuscule sur le Dniepr (Ivanov, 1845)… Les peintres y paraissent embarrassés à traduire l’absence ou la particularité de la lumière à ces heures. Le plus beau paysage est romain, Le château Saint-Ange par Chtchédrine, avec le pont Saint-Ange et Saint-Pierre dans le lointain. Le père des paysagistes russes s’y montre maître de la luminosité.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    La Russie romantique, à l’époque de Gogol et Pouchkine – Chefs-d’œuvre de la galerie Tretiakiov.

    Jusqu’au 16 janvier 2011, Musée de la Vie romantique.

    illustration : Oreste A. Kiprensky, Portrait du comte Egor E. Komarovsky © Galerie Tretiakov, Moscou<o:p></o:p>


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    Au musée de Cluny<o:p></o:p>

    Sculptures en Haute-Hongrie<o:p></o:p>

    Présent du 16 octobre 2010<o:p></o:p>

    Au XVe siècle régna en Hongrie un grand roi, Mathias Corvin, qui dégaina contre les Habsbourg à l’ouest et les Ottomans à l’est. Cette « terreur du monde » une fois morte (tels sont les termes de son épitaphe), les Habsbourg fédérèrent la région dans la lutte contre les Turcs, contenus à grand-peine : Pest, soumise à la pression ottomane, perdit son rang de capitale en 1536 au profit de Presbourg, plus sûre (l’actuelle Bratislava).<o:p></o:p>

    Pest tomba en 1541, et la Hongrie centrale. Pas le Nord du royaume, qui correspond à l’actuelle Slovaquie. Province riche en vins, en textiles, en métaux précieux, au moyen âge nombreux sont les marchands allemands qui y font affaire avec une bourgeoisie en grande partie d’origine saxonne et germanophone, tandis que les paysans parlent slave et l’aristocratie magyar. Cette aristocratie pèse peu dans la vie artistique : si Mathias Corvin a encouragé l’italianisme, l’élite bourgeoise favorise un art sous influence germanique, celle des ateliers de Nuremberg, de Vienne, de Salzbourg…<o:p></o:p>

    La ville de Levotsa, ville libre de marchands, est représentative de l’activité artistique, qui se manifeste par une floraison de retables, non sans gigantisme. L’église Saint-Jacques se voit dotée d’une dizaine de retables, dont le plus haut atteint 18,6 mètres. Le centre de la ville a été inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2009 : bien des choses sont restées dans leur jus. Une partie des œuvres prêtées au musée de Cluny demeure dans les églises et non dans des musées, par une grâce particulière à cette région où la Réforme a été modérée, et donc aussi les destructions ; que la Contre-réforme a frôlée plus que marquée.<o:p></o:p>

    Comme souvent, l’orfèvrerie a souffert : nombreux ont été les vases sacrés à être fondus pour financer la lutte contre les Ottomans. Ce qui demeure est éblouissant : calices et ostensoirs sont œuvres d’orfèvres hors pair. Deux ostensoirs, l’un de 110 cm de haut, l’autre de 117, sont de véritables architectures gothiques tout ajourées, à niches, à pinacles, le métal décuplant les possibilités. Les deux ostensoirs datent des années 1500-1520. La Vierge à l’Enfant y figure, et sur le plus haut les anges portant les instruments de la Passion, ainsi que saint Ladislas et saint Etienne, les deux saints dynastiques hongrois : deux rois du XIe siècle canonisés.<o:p></o:p>

    Les voici en bois, en armure à la mode du XVe siècle, avec un manteau. Ils ont une trogne émaciée, une barbe refouillée, deux indices de l’influence germanique, lointaine manière d’après Sluter, expressionniste.<o:p></o:p>

    Autre saint envers qui la dévotion était grande, saint Nicolas. Même face barbue pour cet évêque efflanqué, à l’habit taillé à grands pans. La plupart des sculptures sont en tilleul, bois tendre entre tous, qui a favorisé une taille des drapés extrêmement creusée, les plis venant en tranche, perpendiculairement au regard. Cela donne des ombres marquées. Saint Nicolas apparaît dans les retables peints. Le salut des trois soldats et l’apparition en songe à Constantin sont deux bonnes œuvres de l’évêque de Myre, interventions en faveur d’hommes emprisonnés ou condamnés à mort sans raison. Elles sont racontées dans la Légende dorée, où ne figure pas l’histoire du saloir.<o:p></o:p>

    Les peintures sont moins impressionnantes que les sculptures. Notons un Portement de croix (provenant d’Allemagne du Sud), aux personnages maladroits mais expressifs, riches en coloris ; un Martyre de saint Jean, dont l’évangéliste réchappa : l’empereur Domitien l’ayant mis à bouillir dans une cuve d’huile sans résultat, il l’envoya à Patmos en exil. Le plus beau panneau provient du musée des beaux-arts de Lille : une Adoration des mages, d’un maître signant « MS ». L’artiste a opposé l’or des rois qui ruisselle sur leurs manteaux à la simplicité de la Vierge et à la nudité de l’Enfant.<o:p></o:p>

    Hommage est rendu à maître Paul, dit « de Levotsa », où il travailla et vécut la majeure partie de sa vie. Né vers 1470, il meurt vers 1540. Ses œuvres sont présentes dans tout l’Est de la Slovaquie. Le grand crucifix (2 mètres de haut, illustration) frappe par la puissance. Lorsqu’il sculpte un petit crucifix (56 cm), la même puissance se constate. A la rigoureuse équerre que forme le corps – telle l’instrument de mesure de l’Amour de Dieu dont parle saint Paul –, le perizonium dansant apporte une note baroque (la dorure l’est, à l’origine il était peint en brun). Le bois est peint, les veines sont indiquées, le sang coule, mais décapée l’œuvre n’y perdrait rien tant le modelé est concentré, tant la forme est à sa plénitude. Maître Paul est le contemporain de Veit Stoss, actif à Cracovie, à Nuremberg, il est aussi le frère slovaque du maître de Chaource et du rémois Pierre Jacques.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    D’or et de feu, l’art en Slovaquie à la fin du Moyen Age.<o:p></o:p>

    Jusqu’au 10 janvier 2011, musée de Cluny.<o:p></o:p>

    illustration : Maître Paul de Levotsa, Crucifix (Kezmarok, église catholique Sainte-Croix)<o:p></o:p>


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