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A l’Institut du Monde Arabe<o:p></o:p>
Les Phéniciens,
commerce et alphabet<o:p></o:p>
Présent du 22 décembre 07<o:p></o:p>
Le peuple phénicien est un peuple sémite occupant à l’origine un ensemble de cités (Byblos, Tyr, Sidon…) de l’actuel Liban, cités qui furent dans l’orbite des empires régionaux successifs, égyptien, assyrien, babylonien, perse, avant de se diluer dans l’hellénisme au IIIe siècle. Une grande liberté leur demeura toujours car elles assuraient l’activité commerciale dans toute la Méditerranée : les Phéniciens ont fondé de nombreux comptoirs et colonies. <o:p></o:p>
Contre la plus célèbre de ces colonies, Carthage, Rome mena trois guerres. Cités cherchant chacune à accroître son empire commercial et militaire, Rome et Carthage ne pouvaient coexister. « Il y eut peut-être des deux côtés, écrit Tite-Live, plus de haines encore que de forces engagées dans la lutte. » Cette haine explique que la troisième guerre punique vit la destruction totale de Carthage.<o:p></o:p>
La main mise sur la Sicile avait été l’occasion de la première. La deuxième, celle contre Hannibal, fut selon Tite-Live « la plus mémorable des guerres ». Le récit de l’historien est en partie perdu, mais la portion la plus intéressante, jusqu’à la terrible défaite romaine de Cannes en Apulie, est intacte. La progression inéluctable d’Hannibal depuis l’Espagne, sa traversée des Alpes accompagné d’éléphants sous les yeux ébahis des montagnards gaulois, les prodiges constatés en Italie, annonciateurs de bouleversements, les dissensions romaines face à la tactique attentiste de Fabius, etc., tout cela fait des livres XXI et XXII un récit dramatique intense.<o:p></o:p>
Plus haut dans le temps, on est renseigné sur les Phéniciens par la Bible et les annales assyriennes, eux-mêmes ne nous ayant rien laissé d’important sorti de l’épigraphie. Paradoxe d’une civilisation qui est la mère de tous les alphabets ou presque ! <o:p></o:p>
L’alphabet phénicien a émergé de « l’extraordinaire foisonnement d’écritures locales qui est une des caractéristiques du monde syro-palestinien au second millénaire avant J. C. » (James G. Février) Il est apparu vers -1500. Les plus anciennes inscriptions se lisent sur des pointes de flèche en bronze des XI-Xe : « Flèche de Zakarbaal, roi d’Amurru ». Alphabet consonantique apte à noter les langues sémitiques basées sur des racines fixes constituées de consonnes, il sera adopté par les Araméens et deviendra – pour rester simple –alphabet hébreux et arabe. <o:p></o:p>
De leur côté, les Grecs avaient commencé par noter leur langue en écriture syllabique crétoise, fort peu appropriée. Leur intelligence fut, vers -900 environ, de comprendre que la syllabe se décomposait en consonnes et voyelles, et d’utiliser les lettres phéniciennes pour noter les unes et les autres. L’alphabet phénicien est ainsi à l’origine des graphies cyrilliques, arméniennes, étrusques, latines… Il n’y a guère, des écritures encore employées, que le chinois et le japonais à n’être pas issues de l’alphabet phénicien.<o:p></o:p>
L’exposition reproche aux Grecs d’avoir vu les Phéniciens comme des « colporteurs », des « marchands audacieux, retors », des « marins rapaces » (Homère) et montre qu’ils étaient en effet des négociants hors pair qui trafiquaient dans toute la Méditerranée. Elle reproche à Renan d’avoir taxé l’art phénicien d’art d’imitation mais en étale les preuves. Faïence, verre, ivoire, l’artisanat emprunte technique et motifs à l’Egypte, à la Syrie, à la Mésopotamie. Les sarcophages à couvercle anthropoïde, sortes de gisants, sont d’abord de facture égyptienne, puis grecque. Les terres cuites religieuses (Astarté ; orantes ; Dea gravida – ill.) sont ce qu’on nomme, en langage d’atelier, des savonnettes. Certaines ont un corps fabriqué au tour, comme des pieds de lampe, sur lequel est fiché une tête grossièrement modelée. Tout cela n’a rien d’extraordinaire.<o:p></o:p>
Plus originaux sont les œufs d’autruches décorés, sur l’un d’eux figure une série de soldats, peints au pochoirs en réserve, et plus étonnants encore sont les tridacnes, gros coquillages servant de palette à maquillage, gravés sur l’extérieur et/ou sur le bord intérieur, dont l’umbo est sculpté d’une tête (VIIe siècle av. J. C.). On croit voir un être ailé, voilé, flottant entre deux eaux.<o:p></o:p>
Tout récemment, des archéologues, après une fouille du gouffre des Apothètes, ont affirmé que les Spartiates n’y jetaient pas les nouveaux-nés difformes. Les Phéniciens, eux, ont-ils ou non pratiqué le sacrifice de jeunes enfants ? Le Pr Xella admet « la réalité du sacrifice d’enfants… limité en nombre et dont la signification est hautement symbolique ». La tournure est élégante. Notre époque prouve en tout cas que le développement technique n’est pas incompatible avec la barbarie.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage, <o:p></o:p>
jusqu’au 20 avril 2008, Institut du Monde Arabe.<o:p></o:p>
illustration : Dea Gravida. Terre cuite, 44x14,2 cm © Musée de l’université américaine de Beyrouth<o:p></o:p>
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Au musée Rodin<o:p></o:p>
L’album photos
du Maître<o:p></o:p>
Présent du 15 décembre 07<o:p></o:p>
On pense volontiers que les artistes se sont méfiés de la photographie lors de son apparition ; c’est faux. Eugène Delacroix, les Gustave (Courbet, Moreau) par exemple l’ont utilisée pour garder des poses qu’ils voulaient travailler. Né en 1840, Auguste Rodin est un contemporain de la photographie. Le nombre de clichés conservés dans ses archives, sept mille, est éloquent. Deux cents de ces clichés ont été sélectionnés afin de définir les liens entre Rodin et la photographie, entre ses sculptures et les photographes. <o:p></o:p>
Dans un premier temps (les années 1880), Rodin ouvre son atelier à des photographes restés inconnus : Bodmer, Pannelier, Feuler. Leurs clichés gardent la trace d’une étape de la création : terre en cours, tirage, etc. Photographies sans prétention, mais émouvantes car nous pénétrons dans l’atelier sans que rien n’ait été rangé. Rodin s’est servi de ces clichés comme de croquis : il corrige une courbe ou une masse sur le cliché, à la plume ou au crayon. Coups d’œil objectifs, ils permettent la distanciation et le regard critique. <o:p></o:p>
Certaines photographies de Victor Pannelier vont connaître une utilisation qui se développera par la suite : elles illustrent un article de T. H. Barlett sur Rodin, paru en 1889 dans American Architect & Building New. La célébrité arrivant, les journaux demandèrent toujours plus de reproductions. Rodin travailla alors avec deux types de photographes : l’un chargé de rendre les sculptures comme lui l’entendait, dans un but de monstration publicitaire ; l’autre, laissé libre d’interpréter, dans une démarche purement artistique. La deuxième manière ne produit pas toujours les plus belles photos, ni la première les plus fidèles : la personnalité de l’opérateur est primordiale.<o:p></o:p>
Eugène Druet (1867-1916) est un cafetier qui s’ennuie. Il devient le photographe de Rodin de 1896 à 1900. Il suit la volonté du sculpteur, mais sa collaboration est réelle, donc décisive. Ses clichés (épreuves gélatino-argentiques) sont remarquables : contrastés, ils montrent l’aspect charnel des sculptures. Cependant l’entente entre les deux hommes devint de plus en plus difficile et, les clichés de Druet ayant été imposés à la presse pendant quatre ans, un renouvellement s’imposait.<o:p></o:p>
Jacques-Ernest Bulloz (1838-1942) prit sa suite, jusqu’à la mort de Rodin en 1917. Très professionnel, il obtint un contrat d’exclusivité et géra la diffusion des photographies. La demande de reproductions, accrue avec la gloire, exigeait cette approche moderne, d’agent de presse déjà. Il réalisa un folio commercial de cent photos, dans des teintes sépia, orange, bleu, vert. L’ensemble est fade : sans être trahie, la sculpture tend au douceâtre. Sacrifice au goût du temps ? D’autres tirages de lui ont plus de caractère.<o:p></o:p>
Les autres photographes à qui l’atelier était ouvert opéraient en toute liberté, sans consigne. La plupart appartiennent au courant pictorialiste, à prétentions esthétiques.<o:p></o:p>
Edward Steichen s’éprend, depuis les Amériques, du Balzac. Venu à Paris, il se lie d’amitié avec Rodin et réalise, entre autres, les clichés de nuit du Balzac placé dans le jardin de Meudon. Mêlant plusieurs techniques, il obtient des effets fantomatiques. C’est à lui qu’on doit également cette célèbre composition qui rassemble Rodin de profil à contre-jour, le monument à Victor Hugo en pleine lumière et Le penseur à droite.<o:p></o:p>
Deux jeunes Anglais, Stephen Haweis et Henry Coles, travaillent en 1903-1904. Leur travail est aussi basé sur la lumière, limite du genre : à se complaire dans l’appréhension de la silhouette des sculptures plus que dans leur masse, ils passent à côté de l’essentiel. <o:p></o:p>
C’est Jean Limet qui, avec des tirages à la gomme bichromatée, donne la vision la plus originale. Peintre et graveur à l’origine, il se tourne vers la patine et travaille pour Rodin. Les étranges teintes des tirages révèlent ses préoccupations de coloriste qui rejoignent celles de ses amis Jeanneney et Carriès (cf. Présent du 8 décembre). Les effets sont étonnants. Avec lui, la fidélité à l’œuvre de Rodin et la création personnelle s’équilibrent parfaitement.<o:p></o:p>
La belle tête de l’artiste a aussi inspiré les photographes. Les portraits pris par Nadar (non exposés) apparaissent convenus, plats, par rapport aux forts portraits par Gertrude Käsebier, par Alvin Langdon Coburn : Auguste Rodin coiffé d’une toque noire (illustration).<o:p></o:p>
Cette judicieuse sélection de clichés montre que les photographes se sont montrés dignes des sculptures, inspirés. Et quelle merveilleuse diversité de techniques ! Nos petits pixels font pâle figure face à ces procédés d’alchimistes qui se nommaient aristotype, bichromates alcalins ou collodion humide, et qui permettaient d’obtenir des tirages si riches. <o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Rodin et la photographie, <o:p></o:p>
jusqu’au 2 mars 2008, Musée Rodin<o:p></o:p>
Illustration : Portrait de Rodin, A. L. Coburn, avril 1906 © musée Rodin
voir également
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Chantant et aveyronnais: "J'aime la saucisse avec de l'aligot, j'te défonce ton frigo..."
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Au Petit Palais<o:p></o:p>
Les curieuses patines
de J. Carriès<o:p></o:p>
Présent du 8 décembre 07<o:p></o:p>
Avez-vous déjà essayé d’interroger la nature même de l’architecture ? C’est ce que font trois meules de foin dans le hall du Petit Palais, enfermées dans du plexiglas pour les protéger, je suppose, de l’appétit du conservateur en chef.<o:p></o:p>
Visitez plutôt l’exposition consacrée à Jean Carriès (1855-1894), modeleur mineur et original. Il n’a rien interrogé, ni personne, mais a travaillé l’argile avec passion.<o:p></o:p>
A la mort de leurs parents tuberculeux en 1863, les quatre enfants Carriès eurent pour veiller sur eux une auguste religieuse, Mère Callamand, Supérieure des Filles de la Charité de Lyon. Ayant remarqué les dispositions artistiques du jeune Jean, elle le plaça en apprentissage dans l’atelier de Pierre Vermare, qui taillait du néo-gothique près de la cathédrale Saint-Jean. <o:p></o:p>
Il n’avait que treize ans, et les sculptures médiévales le marquèrent à vie, celles de Lyon comme celles de Bourgogne. Son œuvre n’est pourtant pas religieuse. Le martyre de saint Fidèle est dramatique et anecdotique. Elle relève plus, pour une bonne part, du romantisme de la gargouille, de la grimace du modillon, des personnages costumés d’époque : L’évêque, Le guerrier (Don Quichotte ?), Loyse Labé, Tête de Charles 1er. Univers proche de celui de Gaspard de la Nuit, mais autant Aloysius Bertrand fut, avec son romantisme noir, en accord avec son époque, autant Carriès, à prolonger cette veine dans la seconde moitié du XIXe, apparaît nostalgique. <o:p></o:p>
Plus moderne, plus personnelle, est la série de têtes dite Les Désolés ou Les Désespérés : Epave au bonnet, Epave de théâtre ; Le vieux comédien dit aussi Le notaire, a un air de Paul Léautaud. On est proche de l’esprit décadent, fin de siècle, des Névroses de Maurice Rollinat (1883), dont il a réalisé un net profil. Léon Bloy, qui connaissait l’un et l’autre (un des contes du recueil Sueur de sang est dédié à Carriès), relève dans les chansons de Rollinat« l’épouvante de la mort, l’épouvante suprême de ce qui la précède, de ce qui l’accompagne et de ce qui la suit ». La mort obsède autant l’orphelin Carriès. La figure de fantaisie laisse la place au buste posthume : celui de sa sœur Agnès morte à 19 ans (La novice), celui de la Mère Callamand décédée en 1892, celui, voilé d’un suaire, du sculpteur Eugène Allard. Lui-même se savait condamné. Il mourut de pleurésie à 39 ans.<o:p></o:p>
Moins attiré par les bustes de commande, il s’en sort pourtant remarquablement bien. Il y en a de fort réussis, celui d’une femme quelque peu hautaine, à la chevelure joliment œuvrée, un plâtre patiné à l’aspect cuir ; celui d’un jeune homme, Francis Ormond, avec une patine tons d’automne. Les commanditaires appartenaient à la riche bourgeoisie lyonnaise du carnet d’adresse de Mère Callamand qui veillait sur son poulain. Le succès de l’exposition, en 1888, chez ses mécènes les Ménard-Dorian marque un tournant : lui qui s’est toujours vu comme un imagier et non un artiste quitte les Salons et installe un atelier de poterie dans la Nièvre où il mène toutes sortes de recherches. Son activité de potier – le Gauguin céramiste est actif à la même époque – est féconde, marquée autant par les poteries japonaises que par les grès allemands des XV-XVIIe. <o:p></o:p>
La poterie lui permit de vivre quand il se lança dans la réalisation qui allait occuper ses dernières années. La Porte monumentale était destinée à l’hôtel parisien de Mlle Winaretta Singer, la future princesse de Polignac qui commandera Renard à Stravinsky, Socrate à Erik Satie... Il ne reste qu’une maquette à échelle réduite et quelques unes des six cents plaques émaillées qui devaient composer cette porte. Dessinées par Eugène Grasset, les contre-courbes sont plus modern’ style que gothiques. Les sculptures eurent été exclusivement faces grimaçantes et animaux chimériques : ce n’aurait pas été du meilleur Carriès.<o:p></o:p>
Les aléas de la cuisson (nuances de l’émail jamais identiques, rétractions de la terre incontrôlables) rendaient l’ajustage des plaques impossibles, obligeaient à multiplier des essais coûteux. Le commanditaire, indisposée par les grimaces obsédantes, s’impatienta. La mort de l’artiste mit fin au projet.<o:p></o:p>
Projet trop ambitieux ? Ou technique inappropriée ? La commande convenait à un tailleur et non à un modeleur. Handicap ici, la technique propre à Carriès est pour le reste séduisante. Artisan ennemi du tirage industriel, amoureux des expérimentations, il utilise la cire sur plaque de bois, sur âme de plâtre, tire en plâtre, en bronze, en grès (illustration). Les patines le passionnent, toujours réinventées. Sa sculpture tomba rapidement dans l’oubli ; par contre, à Saint-Amand-en-Puysaie tout un groupe de potiers continua ses recherches. Parmi eux citons Paul Jeanneney, qu’on retrouvera patinant ou émaillant les œuvres de Rodin.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Matière de l’étrange – Jean Carriès 1855-1894, <o:p></o:p>
jusqu’au 28 janvier 2008, Musée du Petit Palais<o:p></o:p>
illustration : Tête de faune, grès émaillé © Patrick Pierrain / Petit Palais/ Roger-Viollet
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