• Les Trésors de Claude Farrère

    par Xavier Soleil

    Frédéric-Charles Bargone alias Claude Farrère est né à Lyon le 27 avril 1876. Fils d’un colonel d’infanterie coloniale, il entre en 1894 à l’École Navale ; à la sortie de l’école, il est affecté à l’escadre du Levant où il sera, pendant deux ans, sous les ordres du commandant Julien Viaud - autrement dit Pierre Loti - à qui il vouera, par la suite, une affection, voire un culte, sans bornes.

    Pierre Loti était né à Rochefort en 1850. Il était un officier de marine et, surtout, un écrivain déjà mythique, lorsque Farrère, jeune aspirant, le retrouve en 1903 comme pacha du Vautour, principal stationnaire de France à Constantinople. Azyadé, Le Roman d’un Spahi, Trois journées de guerre en Annam, qui lui valut d’être mis en disponibilité par le gouvernement de Jules Ferry, Pêcheur d’Islande, Les Derniers jours de Pékin, ont fait de lui le héros de toute une génération

    1 ; c’est en 1891, à quarante et un ans, qu’il a été élu à l’Académie française contre émile Zola, de dix ans son aîné.

    Pour comprendre cette époque où le cosmopolitisme du xviii

    e siècle n’avait pas encore entièrement disparu, il est nécessaire d’ouvrir un atlas historique et de constater, par exemple, que, de 1792 à 1877, date du traité de Berlin, et malgré de nombreux soubresauts, la Turquie d’Europe occupait une superficie sensiblement équivalente à celle de l’Autriche-Hongrie.

    La lecture de l’avant-propos de L’extraordinaire aventure d’Achmet Pacha Djemaleddine pirate, amiral, grand d’Espagne et marquis, avec six autres singulières histoires, livre publié par Farrère en 1921 permettrait peut-être d’expliquer l’engouement de toute une partie de cette génération pour la Turquie. Bien sûr, il y avait eu Loti ! Mais que des hommes aussi différents que notre officier de marine écrivain, édouard Herriot, Anatole de Monzie, Paul de Cassagnac aient vu dans la défaite turque face à la Grèce, soutenue par l’Angleterre, « un recul de la civilisation » mérite d’être souligné.

    Les raisons exposées sont très claires, mais il est difficile non pas de les comprendre, ni mê- me de les accepter, mais de les transposer hors de leur contexte historique : alors le peuple turc considérait la France «comme l’unique nation qui fut toujours son alliée contre tous ses ennemis successifs, depuis le temps de François Ier jusqu’au temps de Napoléon III… Dans tout le Proche-Orient, ajoute Farrère, les intérêts français sont liés, et mieux que liés : mêlés, enchevêtrés, confondus, avec les intérêts turcs. Chaque pas perdu par la Turquie fut toujours un pas perdu par la France. Chaque progrès des Bulgares, des Serbes ou des Grecs fut un recul pour nous Français. » L’alliance allemande, en 1914, fut, pour la Turquie, une alliance contre-nature. N’en fut-il pas de même pour la France de l’alliance russe ?

    2.

    Claude Farrère a écrit et publié ses Souvenirs en 1953, mais avant d’ouvrir ce charmant ouvrage, il convient de glaner quelques pages intéressantes dans le recueil qu’il a consacré à l’auteur de Madame Chrysanthème et de Propos d’Exil. « … Ni Corneille, ni Musset, ni Hugo, ni Flaubert, avoue-t-il, ne m’ont laissé d’aussi despotiques sensations. »

    « Chacun sait, écrit-il, qu’autrefois édouard Lockroy, au temps qu’il commençait de ruiner la marine française en s’imaginant la rajeunir, avait mis à la retraite un certain nombre de bons marins, dont Loti. Le Conseil d’état cassa cette imbécillité illégale. » (note du 20 septembre 1903). Et, quelques pages plus loin : « Depuis fort longtemps sévit sur la marine française un ministre qui s’appelle Camille Pelletan. Et, certes, la marine française n’en n’est plus à compter ceux de ses ministres qui furent totalement incapables. Mais je n’ai connu personne encore qui dépassât Camille Pelletan en incapacité. » (note du 25 février 1904).

    Deux ans avant sa mort, en 1921, Pierre Loti recevait un émouvant témoignage de reconnaissance des autorités turques, et Claude Farrère, qui l’assistait à cette occasion note : « La Turquie, pour Loti, c’est la jeunesse d’abord, c’est l’amour ensuite, c’est la patrie, enfin… la seconde patrie, sans doute, mais tellement meurtrie, et avec tant d’iniquité qu’elle est devenue la première. Ainsi les hommes justes se révoltent désespérément contre l’injustice. Et Loti, juste entre les plus justes, s’est révolté jusqu’à en mourir. Ce n’est pas sa vieillesse qui le tue; il n’a pas soixante-douze ans; et, tant que la guerre dura, il s’est battu, et la fatigue glissait sur lui comme sur les jeunes hommes. Mais, la victoire remportée, ce grand cœur, qui avait cru lutter pour le droit contre la force, s’est écroulé tout à coup de voir la force, ni plus ni moins que jadis, primer le droit, et Wilson, et Lloyd George, et d’autres, épargnant la forte Allemagne pour fouler la faible Autriche et la faible Turquie, faire ni plus ni moins comme avait fait Bismarck. »

    3.

    Evoquant, dans ses Souvenirs, l’écriture de La Bataille, Farrère remarque qu’il s’agit d’un roman « entièrement inventé » dont il a forgé les personnages « de toutes pièces. Je craignais même, ajoute-t-il, ayant écrit les Civilisés, l’Homme qui assassina et Mademoiselle Dax, jeune fille, en copiant des êtres vivants, que la Bataille n’offrit au public qu’un texte artificiel et froid. Car, à proprement parler, le seul personnage que j’avais copié d’après nature était le Japon ». Or, trente ans après la publication de ce livre, en 1938, l’auteur est abordé dans une rue de Tokyo « par un Japonais fort élégant, qui me salua bien bas, avant de m’aborder en ces termes :

    - J’ai l’honneur de parler à monsieur Claude Farrère? Je suis monsieur Yorisaka, le vrai, le vivant.

    Et comme je me confondais en excuses pour avoir ainsi abusé, sans le savoir, d’un nom véritable, il me répondit avec vivacité :

    - Aucune excuse, Monsieur ! Je viens au contraire vous remercier au nom de tous ceux qui portent mon nom, d’avoir choisi pour votre livre ce nom, le nôtre ; pour montrer au public d’Europe ce qu’est un véritable gentilhomme japonais. Merci donc ! »

    Et Farrère de conclure : « Je n’étais donc pas oublié au Japon. Non plus que l’Homme qui assassina ne fut oublié en Turquie. Dans les deux pays, la population entière me garde une reconnaissance profonde, à mon avis fort exagérée, car je n’avais fait que dire la vérité sur les Turcs comme sur les Nippons. Il est vrai que la Turquie et le Japon avaient subi de l’Europe les plus cruelles injustices et j’étais peut-être le premier, après Loti (pour la Turquie) à redresser l’opinion universelle ».

    Quel retour sur lui-même ou quel sentiment de modestie lui fit rédiger l’envoi manuscrit que nous avons trouvé sur le faux-titre d’un exemplaire de l’édition illustrée de La Bataille et dont voici le texte :

    pour Pascal Marzotti, ce roman, le quatrième de ceux que j’ai écrits. J’avais trente-deux ans. ç’a été un très grand succès. On dut tirer à peu près un million d’exemplaires. Et pourtant, il n’y a là-dedans ni sincérité, ni émotion. Il y a le Japon, et encore !… un Japon assez conventionnel. Page 170, j’ai écrit que les Japonais étaient asiatiques. C’est faux. Ils sont océaniens… En toute sympathie.

    Claude Farrère, 1945

    Nul n’a mieux défini cette œuvre qui a les dimensions d’une tragédie que le maréchal Juin dans sa réponse au discours de réception à l’Académie du successeur de Farrère, Henri Troyat : une « admirable fresque où l’on ne voit que des ressorts tendus par une interrogation anxieuse sur le destin de la Patrie, et des personnages hors série qui savent se décider et se sacrifier tout en demeurant profondément humains ». Et le maréchal d’ajouter, continuant son analyse par un éloge appuyé : « Tout Claude Farrère est dans cette individualisation du courage généreux et désintéressé chez des êtres d’exception. Et c’est bien par ce côté que son œuvre a séduit et enflammé en France des légions de futurs combattants avant l’heure des grands holocaustes, prolongeant ainsi sur le plan de l’énergie individuelle l’effort entrepris par Barrès sur celui de l’énergie nationale ». [...]

    Lisez l'intégralité de cet article dans lovendrin n°21.


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  • Au musée Carnavalet<o:p></o:p>

    Les gris de Paris<o:p></o:p>

    Présent du 12 janvier 08<o:p></o:p>

    Parcourant les rues de la capitale, Des Esseintes était assailli par « l’aversion du ciel en boue jaune, des nuages en macadam ». Cette seule remarque aurait suffi à me rendre le héros de A rebours, et son auteur, antipathiques. Primo, il m’a toujours paru curieux de laisser son humeur se dégrader à mesure qu’épaississent les nuages : une humeur hydrosoluble, ce n’est pas très sérieux. Mais on vit l’époque du tout-soleil ; bientôt des associations réclameront le droit opposable à l’ensoleillement, des comédiens se déplaceront pour soutenir les populations des régions pluvieuses. <o:p></o:p>

    Deuzio, la sensibilité d’artiste de Jean des E. et de Joris-Karl H., rétive aux gris de Paris, s’avère de carton, raffinement décadent de toc. J’écoutais il y a peu un « peintre spécialiste du symbolisme des couleurs » – l’homme était ainsi présenté – qui expliquait aux auditeurs que le gris, mélange de noir et de blanc, est une couleur neutre. Quel genre de peintre est-ce pour avoir l’idée de mélanger du noir et du blanc, idée aussi théorique qu’est faible son symbolisme à la noix ? Dans la réalité, qui est aussi celle de la palette, tous les gris sont à base de couleur, et tous sont colorés. Les ciels les plus plombés, de Paris ou d’ailleurs, sont dignes d’intérêt, plus riches que bien des ciels bleus.<o:p></o:p>

    Long préambule à la trentaine d’œuvres de Pierre-Jacques Pelletier (1867-1931) exposée au musée Carnavalet, peintre et pastelliste qui a goûté et rendu toutes les nuances des gris de Paris. Installé à Montmartre, il en est souvent descendu pour travailler sur les quais, qu’ils soient d’Austerlitz, des Grands Augustins, de la Râpée, Henri IV, de la Tournelle… là où les eaux et les ciels rivalisent de reflets. Même sur la Butte il cherche l’eau : tel pastel de la rue Norvins montre un pavé mouillé qui est autant un ruisseau. <o:p></o:p>

    Pastelliste supérieur, il l’est par sa touche légère, appuyée quand il faut souligner un détail qui anime et permet d’identifier les masses (immeubles, péniches…). Les compositions sont structurées, dans de rares cas les lignes se fondent totalement : Le pont d’Austerlitz vu du quai de la Râpée où eau, neige, ciel, bâtiments lointains se déclinent en gris frais et subtils, que renforcent le noir des troncs et le brun foncé d’une péniche. D’ordinaire les ponts affirment leurs lignes : un fusain aquarellé représente le Pont Marie avec la légèreté qui sied à l’un des plus beaux ponts de Paris, aux cinq arches dissemblables.<o:p></o:p>

    Artiste de race (oups !), P.-J. Pelletier s’est formé auprès de Charles Beauverie (1839-1923), élève de l’Ecole Impériale des Beaux-Arts de Lyon, paysagiste qui a travaillé dans la forêt de Fontainebleau et sur les bords de l’Oise, et qui s’est trouvé un maître en la personne de Charles Daubigny (1817-1878), paysagiste qui n’est plus guère qu’un nom, lui nourri de Corot et de Courbet, au contact duquel Cézanne, Manet affinèrent leur vision de la peinture telle qu’ils la voulaient rénover. <o:p></o:p>

    Pelletier est donc un petit-fils de l’Ecole de Barbizon, un neveu des Impressionnistes. Bon exemple de l’importance des filiations artistiques, de la transmission du métier (l’œil et la main) – être un maillon de la chaîne, disait à peu près Cézanne. Cela n’a jamais empêché les personnalités de se développer, et semble même nécessaire à leur développement : on constate la stérilité générale des arts, la domestication des talents depuis que chacun a cru trouver en soi-même son propre maître. <o:p></o:p>

    Les temps gris, pluvieux, neigeux, ceux que craignent les héliomanes, faisaient donc sortir Pelletier de l’atelier. Voici une très belle vue du canal Saint-Martin au niveau du quai de Valmy enneigé ; une jolie lumière sur le pont des Arts et les guichets du Carrousel ; le quai des Célestins (illustration), enneigé aussi, où se devine un peu de ciel bleu. Car le ciel d’après la pluie, le premier soleil qui joue dans des traînées de nuages est une autre magie de Paris que l’artiste ne pouvait dédaigner. <o:p></o:p>

    Ce goût pour les variations de luminosité apparaît dans les études d’un même lieu sous deux ambiances : l’Impasse Albert Lécuyer (Saint-Ouen) vue dans la journée puis au soleil couchant ; deux vues de Saint-Ouen par ciel gris et dans les brumes.<o:p></o:p>

    P.-J. Pelletier a mené une carrière discrète, exposant très régulièrement au Salon des Artistes français et aux Indépendants. Il laisse une œuvre qui mérite notre respect. Dans ses paysages, l’homme est absent, ou n’est que silhouette. Cela pourrait donner des décors de théâtre, vides, déserts, où on a l’impression, comme disait un vieux manuel de peinture, que la peste est passée par là ; mais on y sent tellement l’intensité et la sensibilité du regard de l’artiste que ces paysages sont pleins d’humanité.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les nuances de Paris, Pierre-Jacques Pelletier, <o:p></o:p>

    jusqu’au 16 mars, Musée Carnavalet<o:p></o:p>

    illustration : Quai des Célestins, pastel, coll. privée © Nicole Reinhardt<o:p></o:p>


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  • Au musée Delacroix<o:p></o:p>

    Une jeunesse romantique<o:p></o:p>

    Présent du 5 janvier 08<o:p></o:p>

    La mort, la mésentente : Eugène Delacroix a tôt vu sa famille se désagréger. L’amitié n’en a que plus compté. Ses amis de jeunesse seront ceux de sa maturité, ceux rencontrés plus tard seront tout autant à l’image du peintre : probes, fidèles, exigeants. Ces compagnons et amis des années 1822-1830 sont à l’honneur dans une exposition fort bien ficelée.<o:p></o:p>

    Les lettres de Delacroix adolescent, son journal de jeune homme tenu entre 1822 et 1824 reflètent le romantisme ambiant. Il aime fréquenter l’église à moitié ruinée de l’abbaye de Valmont, où chantent la chouette et le vent ; de passage chez son frère en Touraine près de Montbazon, il médite auprès de l’étang sous la pleine lune. Nulle pose cependant : Delacroix réfléchit sur son métier, sur les gens. Nature droite, il ne se charge d’aucune chimère. <o:p></o:p>

    La rectitude de sa vocation, son travail persévérant tranchent avec son indécision sentimentale. Il s’éprend de Lisette, qui ravaude les chemises, soupire après Sidonie, la camériste de Mme de Puységur, espère de Fanny, sa grisette de voisine ; écrit à une certaine J., confie ses déboires à son journal quand il n’a pu voir Mme de Conflans sans son mari.<o:p></o:p>

    Delacroix se lie avec de nombreux artistes qui deviennent des amis : Paul Huet, paysagiste de qualité (Intérieur de la forêt de Compiègne, Vue de la vallée de Coucy), Antoine-Louis Barye avec qui il dessine au Jardin des Plantes, tous deux font même des croquis anatomiques lors de la dissection d’un lion ; il se plaît en compagnie d’Anglais, Bonington à qui on doit des scènes où prime le pittoresque (François 1er et la duchesse d’Etampes, Anne d’Autriche et Mazarin), les frères Fielding. Fréquentations qui renforcent son anglomanie, née de l’apprentissage de l’aquarelle, technique encore peu répandue en France, et de la langue grâce à son ami J.-B. Soulier, ainsi que de la lecture assidue de Byron, Walter Scott et Shakespeare. Si Dante est une référence pour le peintre, qui goûte la profondeur de vue et la hauteur de son imagination, la littérature du Nord l’attire décidément. Il y trouve l’inspiration pour des pochades (Autoportrait en Hamlet), de grandes toiles (Dante et Virgile), illustre le Faust de Goethe, dessine les costumes pour l’adaptation, par Victor Hugo, d’une pièce de Scott (Amy Robsart). <o:p></o:p>

    L’influence de Constable fut décisive : ayant vu de ses paysages chez un marchand parisien, Delacroix, touché par le rendu de la lumière, modifia in extremis le ciel des Scènes des massacres de Scio qu’il s’apprêtait à exposer au Salon (1824). Ce premier chef-d’œuvre fit de lui le maître de la jeune peinture romantique, le remplaçant de Géricault décédé l’année précédente des suites d’une chute de cheval alors qu’il jouissait déjà d’une admiration unanime. Les liens entre Géricault et Delacroix furent plus professionnels qu’intimes. Ils s’étaient rencontrés dans l’atelier de Guérin. Delacroix avait posé pour un des personnages du Radeau de la Méduse, dont on voit ici une esquisse. Il avait servi de nègre pour peindre une Vierge du Sacré-Cœur qui ennuyait Géricault et qui, au vu des nombreuses esquisses, ennuya aussi Delacroix. Prévu pour la cathédrale de Nantes, le tableau aboutit dans celle d’Ajaccio. Lors de la vente après décès du fonds d’atelier de Géricault, Delacroix désargenté acheva de se ruiner pour acheter divers dessins et lithographies. <o:p></o:p>

    Le manque d’argent empêcha Delacroix de faire le traditionnel voyage d’Italie. Il fit celui d’Angleterre en 1825. Reçu par ses amis, il rencontra également les peintres Thomas Lawrence (le plein d’aisance Portrait de Charles William Bell), William Etty (remarquable Femme nue vue de dos). Il y apprit l’utilisation du vernis de copal qui fluidifie l’huile, ce qui lui permit de pousser sa recherche d’une touche toujours plus expressive.<o:p></o:p>

    L’incertitude de la vie de bohème céda peu à peu la place à la régularité d’une vie de labeur assurée par les commandes. Sa fréquentation du salon du peintre & baron Gérard lui fit rencontrer Thiers, Mérimée, Stendhal, protections utiles pour sa carrière. On pense que le soutien de Talleyrand, son éventuel père, fut aussi pour quelque chose dans les premières commandes officielles. Mais il y eut toujours un parti d’anti-Delacroix, composés de ceux qui appréciaient la facture ingresque. Trente années plus tard, quand la maturité sera là, et les rivalités, et les défaillances de la santé, Delacroix se réfèrera aux années dix-huit cent vingt comme aux années d’une joie de vivre sans mélange, dont témoigne tel lavis négligemment peint lors d’un réveillon (illustration) : une guitare, de la boisson, des amis au coin du feu, une scène tout droit sortie d’un conte d’Hoffmann où des jeunes gens épris d’art dissertent autour d’un punch brûlant.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Delacroix et les compagnons de sa jeunesse, <o:p></o:p>

    jusqu’au 25 février, Musée Eugène Delacroix<o:p></o:p>

    Illustration : Réveillon de Saint-Sylvestre, lavis, DR.


    Voir également


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  • Le lovendrin n°21 vient de paraître...

    Les trésors de Claude Farrère, par Xavier Soleil;

    Remarques sur la langue de Courbet, par Amédée Schwa;

    Hiérarchie d'un sanctuaire roman (St-Rémy-la-Varenne), par Samuel, illustré de 22 photos.

    Idées & Langages, par G. Lindenberger.

    Prix du n°: 2,20 €

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  • Au Muséum d’Histoire naturelle<o:p></o:p>

    Créatures & bestioles des abysses<o:p></o:p>

    Présent du 29 décembre 07<o:p></o:p>

    « Et Léviathan, le pêches-tu à l’hameçon ? Avec une corde comprimes-tu sa langue ?... Quand il se dresse, les flots prennent peur et les vagues de la mer se retirent. » Léviathan, monstre du Chaos primitif survivant dans la mer, est assimilé dans le livre de Job, par une sorte de naturalisme ou d’évhémérisme, à un formidable crocodile. Le texte grec ne donne pas son nom mais l’appelle drakôn, ce qui le décrit, bête tout à la fois dragon, poisson et serpent. Or les scientifiques remontent des profondeurs des bêtes qui sont cela peu ou prou.<o:p></o:p>

    L’exploration des grands fonds est à peine plus ancienne que celle de l’espace. Entre eux sont des similitudes, à commencer par l’hostilité du milieu. Auguste Piccard – un modèle possible du Pr Tournesol – s’est attaqué aux deux. En 1932 il est monté en ballon à 16200 mètres, exploit à la Hans Pfaal ; en 1948 il a expérimenté le premier bathyscaphe qui évoluait sans être relié par un câble à un bateau et est descendu à 10916 mètres, record inégalé. Que les Russes aient baptisé leur bathyscaphe Mir n’est pas un hasard, et qu’en août dernier ils aient planté leur drapeau à la verticale du pôle Nord par 4261 mètres de fond, non plus.<o:p></o:p>

    La science de la faune des profondeurs commença en 1872, quand Sir Ch. Wyville Thomson dragua à 5200 mètres et remonta plus de 4000 espèces, démontrant que la théorie selon laquelle la vie au-delà de -600 mètres serait impossible était fausse, et donnant raison à Jules Verne qui avait publié en 1869 Vingt mille lieues sous les mers, où sont décrits entre autres des calamars géants.<o:p></o:p>

    Dans sa hâte à fouler les fonds marins (l’espace benthique), l’homme dédaigna l’entre-deux-eaux angoissant (l’espace pélagique), objet d’études depuis les années 1980 seulement. Y évoluent des créatures gélatineuses de toutes tailles et transparentes, comme la Cystisoma ou le Calamar à yeux globuleux qui figure sur l’affiche. Dans cette zone, le peu de lumière qui parvient encore vous dénonce à vos ennemis, aussi la transparence est-elle le meilleur des camouflages. Plus bas, quand l’obscurité est totale, le rouge est de rigueur car, pour une question de longueur d’ondes, cette couleur est imperceptible dans l’eau. De nombreux animaux sont équipés de loupiottes. Cette bioluminescence a des aspects pratiques mais attire les prédateurs ; certains lâchent des leurres lumineux.<o:p></o:p>

    Les bêtes des profondeurs ne survivent pas sorties de leur milieu. Les conserver dans l’alcool les abîmerait rapidement. Les taxidermistes du Muséum ont mis au point une méthode adaptée (à base de formol et de résine), qui permet de présenter de nombreux spécimens magnifiquement naturalisés. Films, photographies et animaux naturalisés constituent un ensemble remarquable qui passionnera grands et petits.<o:p></o:p>

    Le Sagre commun est une manière de requin de voyage, l’Isopode géant un acarien de la taille d’un rat adulte. L’Empereur a une peau transparente qui laisse deviner une structure alvéolée. Ne cherchez pas la tête ou l’abdomen de cette araignée, elle n’est qu’une tuyauterie, une plomberie de trente centimètres d’empan. <o:p></o:p>

    Au rayon des bizarreries, la Grande Rouge, méduse d’un mètre de diamètre, a entre quatre et sept bras ; le Calamar Bijou a un œil gauche hypertrophié tourné vers le haut, un œil droit petit et enfoncé. Il eût intéressé Roger Caillois qui, dans un essai sur la dissymétrie (id est, la symétrie dépassée), a étudié quelques animaux notoirement différenciés.<o:p></o:p>

    Parmi les êtres qui pourraient peupler vos cauchemars, on relève la présence du Vampire des Abysses, mi-pieuvre, mi-calamar, et du Diable noir qui n’est qu’une bouche dentée, effrayante mais ridicule aussi. <o:p></o:p>

    Je n’en dirais pas autant du Rhinochimère, indescriptible composé comme son nom l’indique. Les sculpteurs romans qui ont imaginé tant de monstres ou diables chimériques seraient bien aises de voir que leurs créations n’étaient pas si déraisonnables, et ils auraient trouvés dans d’autres animaux comme la Chondrocladia, construction purement géométrique, des motifs ornementaux. La vie foisonnante, exubérante, des chapiteaux a des analogies avec cette diversité abyssale. Une vie qui se développe même dans des milieux a priori hostiles si on s’en tient aux mécanismes chimiques ordinaires. A divers endroits la croûte terrestre immergée dégage des gaz toxiques, brûlants, comme par exemple dans la dorsale des Galapagos à -2500 mètres. Il se trouve qu’une bactérie y œuvre à transformer en matière organique le méthane et le sulfure d’hydrogène, d’où une abondance de mutants de crabes et de crevettes... De quoi composer un surprenant plateau de fruits de mer pour votre Saint-Sylvestre. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Abysses, jusqu’au 8 mai 2008, <o:p></o:p>

    Muséum national d’Histoire naturelle, Galerie de Géologie et de Minéralogie.<o:p></o:p>


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