• Au musée de l’Assistance Publique<o:p></o:p>

    Géronte pensionnaire<o:p></o:p>

    Présent du 16 février 08<o:p></o:p>

    Le musée de l’AP-HP occupe une partie de l’Hôtel de Miramion, sur la paroisse de Saint-Nicolas du Chardonnet, où Mme de Miramion (1629-1696), célèbre d’abord pour avoir été, sans dommage pour son honneur, enlevée par Bussy-Rabutin, installa sa communauté de filles enseignantes et soignantes. On sait l’essor au XVIIe des congrégations aux services des pauvres, des malades, et des plus vulnérables vieillards. Ceux-ci, depuis le Moyen Age, n’avaient guère que les monastères pour abriter leurs dernières années, mais le XVIIe se caractérise par la tentative d’établir une aide plus rationnelle.<o:p></o:p>

    En 1789 la notion d’assistance remplaça celle de charité et un Comité de mendicité fut chargé de l’organiser. Le musée de l’AP-HP revient sur les deux siècles d’accueil des personnes âgées à Paris qui ont suivi. <o:p></o:p>

    L’hébergement des personnes âgées défavorisées ne fut pas uniforme, car dès la période révolutionnaire l’énormité de la tâche empêcha la nationalisation des moyens d’accueil et délégua ceux-ci à la responsabilité des municipalités, tandis qu’au XIXe reprenaient les initiatives religieuses (Petites sœurs des pauvres de Jeanne Jugan – 1839) et laïques (fondation Rossini, par sa veuve, pour accueillir les vieux chanteurs – 1889).<o:p></o:p>

    Pour s’en tenir à l’assistance officielle, trois photographies parlantes : à Sainte-Périne, où sont accueillis les fonctionnaires retraités en difficulté, chambres individuelles meublées ; à la Salpêtrière (et Bicêtre) dortoir de deux rangées de lit à courtines avec chaises et table personnelles ; à Nanterre, dortoir à quatre rangées de lit sans rideau. C’est à Nanterre qu’échouaient les pensionnaires renvoyés d’autres établissements pour alcoolisme ou mauvais comportement. <o:p></o:p>

    A conditions distinctes, rations de vin différentes : 52 cl de vin quotidien à Sainte-Périne, 32 cl à Bicêtre et 25 cl à Nanterre. La ration de vin et de tabac a toujours été codifiée par l’administration. C’était un sujet sensible, objet de contestation de la part des pensionnaires, qui n’hésitaient pas, dans ce domaine comme dans d’autres, à réclamer par voie de pétition. Imaginer des personnes âgées hébergées dans des conditions déplorables, sous la férule d’une administration omnipotente est une erreur. La cruauté du système, bien intentionné, apparaît surtout dans la séparation des conjoints indigents ou incurables, placés dans deux hospices différents.<o:p></o:p>

    Globalement la vie quotidienne n’était pas noire. La corvée d’épluchage, par exemple, n’est pas à considérer comme une exploitation mais à replacer dans le cadre du travail en général (imprimerie, artisanat…) organisé à titre d’hygiène de vie, de maintien de vie sociale. Obligatoire jusqu’en 1897, elle devint ensuite volontaire et rémunérée (illustration). Dans le domaine des loisirs, la qualité et la variété des programmes musicaux et théâtraux proposés surprennent, ainsi que leur fréquence. <o:p></o:p>

    Un repère important des hospices et maisons de retraite était la chapelle, où messes et instructions religieuses étaient fréquentes. La fête patronale de l’établissement était l’occasion de cérémonies qui dépassaient largement le cadre de l’institution. Un carton à la typographie surannée invite ainsi à la fête de l’Asile des Cinq Plaies de Notre-Seigneur, « asile pour les femmes incurables et les jeunes filles idiotes » (1883).<o:p></o:p>

    Pratiques religieuses inexistantes ou presque, de nos jours. Les plaquettes présentant telle ou telle résidence placent la messe occasionnelle à la rubrique Animations, entre le karaoké et le macramé, ou après la coiffeuse et l’esthéticienne. Révélatrice, la disparition, dans le vocabulaire du personnel de maisons de retraite, des mots « agonie » et « mort ». L’expression « fin de vie » les remplace tous deux. « Mme Untel est en fin de vie », « On a eu une fin de vie » sont les tournures correctes qui révèlent un tabou prégnant. Toute préoccupation spirituelle est absente de la gérontologie, qui semble n’être que la version scientifique des mythes de la Fontaine de Jouvence et du Chaudron de régénération : loin sont les ars moriendi. <o:p></o:p>

    L’essai de Simone de Bobeau est lisible (La vieillesse, 1979) mais autrement supérieur est un texte plein d’humanité assaisonnée d’humour : Les derniers jours d’Emmanuel Kant, de Thomas De Quincey, vie imaginaire à la manière de Marcel Schwob (et d’ailleurs traduite par lui, réédition Allia, 2004). Kant nous est dépeint vieillissant, perdant peu à peu ses facultés, mais soutenu par la régularité de sa vie et la délicatesse de ses amis et domestiques. Démonstration de dignité dans le déclin, cette œuvrette est un soin palliatif à l’usage des angoissés du vieillissement.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Voyage du pays de Gérousie, jusqu’au 15 juin,

    Musée de l’Assistance Publique, 47 quai de la Tournelle, Paris Ve.

    illustration : La corvée d’épluchage à l’hospice d’Ivry, vers 1910 © AP-HP/Archives<o:p></o:p>


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  • Au musée d’Orsay<o:p></o:p>

    L’Art nouveau d’A. Charpentier<o:p></o:p>

    Présent du 9 février 08<o:p></o:p>

    Alexandre Charpentier (1856-1909) est un artiste dont les histoires de l’Art nouveau ne mentionnent parfois pas le nom. Le musée d’Orsay expose de façon permanente une salle à manger, boiseries et meubles, créée par lui ; et, pour quelques mois, des sculptures et du mobilier.<o:p></o:p>

    L’Art nouveau est une réaction aux styles néo-quelque chose et composites, bâtards, dans lesquels le XIXe a stagné. Il peut prêter à sourire : la prolifération de courbes contournées et affectées est rapidement nauséeuse. C’est qu’on en juge d’après la période des suiveurs, quand le style était devenu recette. La période créative, exigeante, de l’Art nouveau s’étend sur une quinzaine d’années et culmine à l’Exposition universelle de 1900. Cette période écoulée, les artistes créateurs se retirent pour se libérer des courbes et leur postérité sera l’architecture des années vingt et trente.<o:p></o:p>

    A. Charpentier est sculpteur de formation, de veine naturaliste. Des bustes en terre cuite, sans surprise, font craindre un art sec. Son talent se déploie dans le bas-relief, le profil médaillé, art ingrat pourtant. Il a beaucoup portraituré ses jeunes enfants sous cette forme, avec bonheur.<o:p></o:p>

    La série de médailles la plus originale est celle des acteurs, auteurs et administrateurs du Théâtre libre (dit aussi Théâtre Antoine, du nom de son fondateur). Portraits enlevés, ils dépassent le naturalisme originel du sculpteur, tout comme les programmes et affiches qu’il dessina – la postérité a retenu ceux de ses confrères Vuillard, Signac ou Lautrec. Le Théâtre libre, d’abord voué à la représentation des pièces naturalistes, fut surtout une victoire sur l’ampoulé et le cabotinage ; des auteurs fort éloignés de l’école de Médan, voire opposés, Villiers de l’Isle l’Adam par exemple, y furent joués. Reste que les gens qui œuvrèrent dans ses coulisses et sur scène furent souvent des anarchistes puis des dreyfusards, à commencer par Charpentier dont deux médailles sont explicites : un hommage à Zola, et Prolétaires de tous les pays, etc. <o:p></o:p>

    Cependant l’Art nouveau, en inventant le design, en s’élevant contre la laideur de la production industrielle à destination des masses, en créant des objets, des meubles uniques ou à tirages limités, aboutissait à un art élitiste. Seuls des gens fortunés pouvaient commander l’ameublement et la décoration d’une salle de billard, d’une salle de bains luxueuse. On est loin des acquis sociaux et autres préoccupations « généreuses ».<o:p></o:p>

    Charpentier dessina des serrures, des encriers, des balayettes à miettes. Son premier meuble est une armoire à layette, dont il existe une version en sycomore et une en poirier. Elles sont ornées de bas-reliefs qui reprennent de ses sculptures, dont Jeune mère allaitant son enfant. <o:p></o:p>

    Le meuble le plus étonnant, car il fallait en avoir l’idée, est destiné à ranger les instruments d’un quatuor à cordes. Ils sont placés dans la partie centrale vitrée, laquelle est encadrée de casiers et d’étagères. Il est accompagné de deux remarquables pupitres (illustration – parfois décrits comme lampes !) en charme et bois de tamo. L’amour de la musique explique ce meuble. Charpentier était violoncelliste, suivait les concerts de Vincent d’Indy, Eugène Ysaÿe. Une amitié intime le liait à Debussy, qui lui dédia une pièce des Images pour piano.<o:p></o:p>

    Venons-en aux ensembles, créations ambitieuses. Peu ont résisté aux évolutions du goût : en matière d’ameublement, la mode est impitoyable. Les meubles de la salle de billard, commandés par le baron Vitta pour sa villa d’Evian-les-Bains (1898), sont sobres et de couleurs claires. Le billard lui-même, le porte-queues, la table et les sièges (dont une très belle banquette) prenaient place dans un décor réalisé par Jules Chéret pour les peintures des murs et plafonds, et Félix Bracquemond (lambris, console et miroir). Cette pièce connut une grande gloire, assurément méritée.<o:p></o:p>

    La salle à manger acquise par le musée en 1977 fut installée en 1901 dans la maison d’Adrien Bénard, à Champrosay (Essonne). Adrien Bénard était banquier et fut l’un des promoteurs du Métropolitain. Il manque les vingt-quatre chaises et le lustre, mais restent la table et l’essentiel : les lambris qui habillaient toute la pièce, dans lesquels s’intègrent dressoirs et vitrines. Le végétal est très présent, dans les motifs sculptés mais aussi dans les courbes, typiques de l’Art nouveau, qui sont autant de tiges de fleurs. Ici, elles ne sont pas envahissantes et c’est heureux car l’inclusion, dans l’architecture, de courbes autres que des segments de cercle constitue certainement le point faible de l’Art nouveau : l’œil ni l’esprit n’y trouvent leur compte.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    A. Charpentier – Naturalisme et Art Nouveau,<o:p></o:p>

    jusqu’au 13 avril, Musée d’Orsay<o:p></o:p>

    illustration : Pupitre à musique, musée des Arts décoratifs © Laurent Sully Jaulmes, D.R.<o:p></o:p>


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  • Au musée de l’Homme<o:p></o:p>

    L’Eve actuelle<o:p></o:p>

    Présent du 2 février 08<o:p></o:p>

    Titouan Lamazou (né en 1955 au Maroc) est connu du grand public pour sa carrière nautique : équipier de Tabarly, vainqueur du premier Vendée Globe (1990) et de la Route du Rhum (à consommer avec modération), fondateur avec Florence Arthaud du Trophée Jules Verne.<o:p></o:p>

    C’est comme artiste qu’il se fait un nom désormais. Ayant mis fin à sa carrière de navigateur en 1993, il est revenu à sa première passion, la peinture, qu’il a plus jeune étudiée aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. L’exposition « Femmes du monde » récapitule six années de voyages à travers la planète à dessiner et photographier des femmes, jeunes filles, grands-mères, coiffeuses, religieuses (illustration), danseuses, mères de famille… <o:p></o:p>

    L’œuvre est séduisante. Grands tirages photographiques, croquis au pinceau, gouaches sur papier, etc. : Titouan Lamazou maîtrise ses moyens techniques, pour un résultat souvent plus proche de l’illustration que de la peinture, ce qui en soi n’est pas un défaut mais donne à tous ses visages un caractère répétitif, malgré la diversité des types – écho très affaibli du travail des peintres orientalistes, des artistes des salons coloniaux (1881-1962), qui voyageaient en Afrique noire, au Maghreb, en Asie ; je pense en particulier à Charles Cordier, dont on admira les bustes en 2004 au musée d’Orsay. <o:p></o:p>

    Ce rapprochement sera-t-il du goût de Lamazou ? « Les légendes très succinctes ne font aucune allusion aux pays d’origine de mes modèles. Cela est délibéré de ma part et reflète ma défiance à l’égard de la notion de nation », explique T. Lamazou, qui souhaite présenter chacune de ces femmes « en dehors de son appartenance ethnique, confessionnelle et a fortiori nationale ». Discours convenu, et paradoxal puisque l’ensemble se veut un hymne à la diversité, laquelle est manifestement liée à des appartenances ethniques, confessionnelles et, pour une part difficile à mesurer mais certaine, nationales. <o:p></o:p>

    Les mécènes enfoncent lourdement le clou. Outre l’Unesco, France 5 ou Gallimard, le Musée de l’Homme loue cette manifestation « aux antipodes du refus de l’Autre », mais ces antipodes ne seraient-ils pas le refus de Soi ? La présence d’un mécène tel que L’Oréal semble le corroborer puisqu’on connaît la position de son président Jean-Paul Agon : « aujourd’hui, lorsque nous rencontrons un candidat qui a un prénom d’origine étrangère, il a plus de chance d’être recruté que celui qui porte un prénom français de souche. »<o:p></o:p>

    Titouan Lamazou est donc solidement arrimé à quelques bittes conformes aux normes européennes, ce qui surprend de la part d’un marin, que nous autres du plancher des vaches imaginons épris de liberté.<o:p></o:p>

    Cet hommage aux filles d’Eve, quoi qu’il en soit, est la preuve d’une bonne santé et fait plaisir à voir. Mais l’artiste ayant laissé les femmes dans leur décor quotidien, tout n’est pas que joie : leurs conditions de vie ne sont pas toujours roses.<o:p></o:p>

    Parfois, ab ovo, elles ont du mal à naître. L’Inde et la Chine connaissent des avortements massifs de fœtus féminins. Le déséquilibre créé est affolant : 40 millions d’Indiens et autant de Chinois ne trouveront pas d’épouses. Cela occasionne un commerce matrimonial : achat d’épouse préalablement enlevée, polyandrie… Il est de bon ton, en Occident post-chrétien, de s’émouvoir avec discrétion à ce sujet. Avortements décidés pour des raisons économiques par des couples aisés à qui l’échographie est accessible, ils ne sont qu’une variante de l’avortement de confort tel qu’il se pratique chez nous.<o:p></o:p>

    En Afrique noire, sur une bande Est-Ouest entre le 5e et le 20 parallèle nord et dans des proportions diverses suivant les pays, l’excision menace les fillettes. Titouan Lamazou aborde la question avec des schémas. C’est violent. L’excision se décline sur différents modes, le plus radical et le plus ignoble étant l’infibulation, qui consiste à coudre partiellement les grandes et petites lèvres. Pratique d’origine animiste, l’excision trouve dans les mentalités musulmanes un surcroît de justifications.<o:p></o:p>

    La France, du fait de ses racines animistes ? ne peut ignorer le problème : on estime à 60°000 sur notre territoire le nombre de filles déjà excisées ou menacées de l’être. Les spécialistes de la question, en général des médecins travaillant en PMI, sont peu entendus. Le plan typique consiste à déscolariser les filles en fin d’école primaire, à les envoyer « au pays » où elles sont excisées et mariées, et à les faire revenir en France à 16 ans, domestiquées et traumatisées. Citoyens du monde comme il se doit, vous et moi avons beau nous persuader de la parfaite égalité des pratiques culturelles de tout poil, notre balance interne nous signale de temps à autre un déséquilibre flagrant.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Zoé-Zoé – Femmes du monde, jusqu’au 30 mars, <o:p></o:p>

    Musée de l’Homme, Place du Trocadéro.<o:p></o:p>

    illustration : Rose-Mary © Titouan Lamazou<o:p></o:p>


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  • A la galerie Art France<o:p></o:p>

    Maurice Brianchon,

    sa couleur

    et ses brioches<o:p></o:p>

    Présent du 26 janvier 08<o:p></o:p>

    A l’occasion de la sortie du catalogue de l’œuvre peint de Maurice Brianchon (1899-1979), la galerie Art France nous invite à découvrir un de ces peintres qui ont défendu avec modestie et talent l’art figuratif au cours du vingtième siècle. Brianchon appartient au groupe dit « de la Réalité poétique », groupe informel d’une dizaine d’artistes parmi lesquels R. Oudot, R. Legueult, K. Terechkovitch, plus ou moins issus de l’Ecole de Paris.<o:p></o:p>

    L’appellation « Réalité poétique » fut donnée par une critique d’art en 1949 ; elle fut acceptée par le groupe et s’applique rétroactivement à leur production de l’entre-deux-guerres. Elle exprime avec justesse le figuratif non naturaliste d’une peinture essentiellement contemplative, dénuée de la manie moderne des concepts. <o:p></o:p>

    Maurice Brianchon s’est formé à l’Ecole des Arts décoratifs de Paris. Il y eut comme professeur Eugène Morand, le père de l’écrivain. Une part importante de son activité a consisté en décors et costumes pour des ballets, des opéras. Ami proche de Francis Poulenc, il a ainsi travaillé pour ses créations : Les animaux modèles (1942) ; Aubade (1952) ; Intermezzo, pièce de J. Giraudoux, dont la musique est de Poulenc. J.-L. Barrault et M. Renaud ont souvent fait appel à lui également.<o:p></o:p>

    Dans la même veine décorative des arts appliqués, il a dessiné des cartons de tapisseries pour Aubusson et les Gobelins (pendant l’Occupation) ; a illustré, par exemple, le Théâtre complet d’André Gide (après guerre).<o:p></o:p>

    Nommé professeur à l’Ecole Estienne en 1936, puis aux Beaux-Arts de Paris en 1949, son influence, comme maître ou tout simplement comme peintre, est décelable chez divers artistes comme Andry, René Genis ou François Baron-Renouard qui choisit, lui, la voie non-figurative.<o:p></o:p>

    Coloriste à l’extrême chez qui se sent l’apport de Matisse, Maurice Brianchon s’exprime par une combinaison de tons pastels, de tons sourds et de tons acides ; soit de la douceur, du silence et la pincée de sel qui permet à l’ensemble de se maintenir hors du mièvre et du triste. Nous parlions, il y a quinze jours, des gris colorés : il y en a de fort justes dans les toiles de Brianchon. La Nature morte au figuier et au fond noir explore quant à elle les noirs colorés : l’un regorge de vert émeraude, un autre sent le carmin. Van Gogh dénombrait dans je ne sais plus quelle toile de je ne sais plus quel peintre (pardonnez cette désinvolture) plus de trente noirs différents – bienvenue dans le monde magique de la couleur.<o:p></o:p>

    Il s’est écarté de ces tons dans certains paysages : Les bois de l’Euche, Vue de l’atelier de Truffière, où les verts ont délibérément moins de subtilité. Ils tendent au vert dit salade par commodité de langage offensante pour les salades. Plus sympathiques sont les pochades peintes autour de la gare de Passy-La Muette, la nuit, ou sous la neige.<o:p></o:p>

    Autre trait matissien : le rythme, dans une nature morte ou un tableau, donné par le motif ornant un torchon, un rideau : bandes, quadrillages, etc., ou découpe de feuillages comme dans le Nu assis. Pas de portraits à proprement parler, mais des figures : Le modèle, Figures de femmes sur la plage. Femmes à la tête légèrement penchée, perdues dans leurs pensées.<o:p></o:p>

    Certaines natures mortes sont détaillées, complexes (Nature morte au lierre et au miroir), d’autres tendent à une grande simplification (Nature morte aux cerises). Crainte moderne de l’anecdotique, du descriptif ? Maurice Brianchon a aimé les fleurs, il en a peint beaucoup ; ici il faut se contenter d’un bouquet de marguerites, quelques autres auraient été les bienvenues. <o:p></o:p>

    Je pense qu’il a aimé aussi les brioches, car il en a peint au moins par deux fois (illustration). Vous me direz qu’il hérite d’un thème traité par Chardin (1763) et par Manet (1870). Mais je crois qu’il les a vraiment aimées, au moins autant que les femmes et les fleurs, à la manière dont il les a peintes. Elles sont charnelles, ces brioches, dorées où il faut, moelleuse où il convient, rebondies, la tête de travers éventuellement, qu’on a envie d’arracher d’un coup de dents. Elles sont deux, l’une dont une part a été trop sagement découpée au couteau ; ou six dans une assiette, attendant leur heure. On a envie de brioche, face à ces toiles, comme face au tableau de Chardin ; et seule la crainte d’être déçu par une brioche quelque peu sèche retient de filer chez le boulanger le plus proche, ou peut-être est-ce la peinture qui est elle-même nutritive, comme dans la nouvelle de Marcel Aymé La bonne peinture ? Car celle de Maurice Brianchon est en effet de la très bonne peinture.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Brianchon (1899-1979), jusqu’au 16 février, <o:p></o:p>

    Art France, 36, avenue Matignon, Paris VIIIe.<o:p></o:p>

    illustration : Nature morte à la brioche, 1954.<o:p></o:p>


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  • A la Pinacothèque de Paris<o:p></o:p>

    Chaïm Soutine

    (1893-1943)<o:p></o:p>

    Présent du 19 janvier 08<o:p></o:p>

    « Encore aujourd’hui il ne reste de Soutine que l’image du juif émigré sur qui pèse tous les interdits d’une religion trop contraignante et dont le physique se prête à tous les clichés antisémites. [?] Il est temps qu’une exposition rende hommage à ce grand artiste en mettant fin à tous ces clichés d’un autre âge. » Phrase tirée du communiqué de presse, et qui en est un, de cliché. Quand, au bout d’une filandreuse dissertation, il est conclu que la peinture de Soutine n’est ni juive ni judaïque, on s’interroge : faut-il, en matière d’histoire de l’art, en revenir aux délires d’Elie Faure ?<o:p></o:p>

    « La légende de Soutine est une mise en scène volontaire », écrit Marc Restellini, qui, avec la collaboration de J. Munck, S. Krebs et I. Goldberg, est à l’initiative de cette importante rétrospective (quatre-vingts toiles). « Intelligence, perversion, timidité, mal de vivre ou instinct de survie ? Peut-être un peu de chaque. » Peut-être, également, l’ambiance de l’époque ? Il y a dans l’esprit du Montparnasse de ces années-là quelque chose d’indéniablement frelaté qui empêche de se sentir pleinement en confiance. Si l’Ecole de Paris a compté des artistes dont la vie a réellement pâti de leur engagement artistique, tel Modigliani, elle en a compté d’autres, comme son ami Soutine, qui ont en partie pris la pose. <o:p></o:p>

    Non que sa jeunesse pauvre près de Minsk n’ait été difficile, non que ses premières années à Paris, après des études d’art à Vilnius, où il rencontra Kikoïne et Krémègne, deux noms moindres de l’Ecole de Paris, n’aient été des années de misère souvent ; mais dès 1923 – il a trente ans – jusqu’à sa mort en 1943, il vécut dans l’aisance grâce au Dr Barnes, le collectionneur américain, et aux marchands qui assurèrent successivement son bien-être. Il passa très bien la crise de 29 qui le privait pourtant de la clientèle américaine ; ne manqua pas de protections quand, en pleine occupation, il lui fallut revenir à Paris se faire opérer.<o:p></o:p>

    Appartenir à l’Ecole de Paris définit si peu un style que Soutine est parfois classé parmi les expressionnistes. Il l’est à sa manière, c’est-à-dire à part : il n’y a chez lui aucune des ordinaires revendications révolutionnaires qui furent celles des artistes des mouvements Die Brücke, Der blaue Reiter. Nul message dans la peinture de Soutine : il peint ce qu’il a face à lui. Les genres traditionnels (natures mortes, paysages, portraits) lui ont suffi.<o:p></o:p>

    Les paysages, toujours composés de guingois, forment la manière typique, identifiable, de Soutine. Les toiles du Midi cultivent cette manière (Vue de Céret, Mistral). On dirait d’un Van Gogh qui ne serait pas suicidé en 1890 et qui peindrait encore en 1920 tandis que sa folie aurait suivi son cours… Certaines toiles semblent d’ailleurs des reprises directes de Van Gogh : Les grands arbres bleus, ou Les platanes à Céret ; coïncidence des paysages, et un peu plus ; mais chez Soutine l’horizon bascule totalement. La touche est presque toujours empâtée, manière grasse, qui semble par sa lourdeur écraser la composition, contribuer à l’effondrement de lignes déjà sapées. La touche ne contribue à la compréhension de la forme ; elle la brouillerait plutôt. Cependant à la fin de sa vie les compositions s’apaisent. La façade de la cathédrale de Chartres (1933), référence à Corot, est bien assise.<o:p></o:p>

    Les figures de Soutine des débuts sont mâtinées de Modigliani. Puis elles subissent la violence des paysages, rappellent Munch, annoncent Bacon ; enfin, suivant l’évolution constatée dans les paysages, elles s’apaisent. Du portrait de La folle (ill.) à celui de La jeune polonaise, en bleu et rose, on passe de l’effroi à la rêverie. Soutine a aimé peindre des séries de personnages des petits métiers posant dans leurs costumes : La cuisinière au tablier bleu ; des apprentis pâtissiers, des valets de chambre, des garçons d’étage ; L’enfant de chœur assis, ou debout.<o:p></o:p>

    Les natures mortes des années 1915-1920 comptent parmi ses toiles les plus réussies : aux harengs, à la lampe, à la table ronde. Elles ont presque toujours la stabilité qui fait défaut aux paysages. D’un vase s’élancent des glaïeuls rouges comme des serpents. Des allusions témoignent de ses admirations : une raie renvoie à Chardin, une pièce de bœuf à l’étal, à Rembrandt. Nature morte aux harengs, découpée en noirs, gris et ocre, annoncent les animaux qu’il peindra plus tard (faisans, lapins, lièvres) : tous la tête en bas, occupant la verticalité du tableau, qu’ils soient pendus par les pattes ou étendus sur la table mais vus par au-dessus. On songe aux truites de Courbet. C’est, sans grandiloquence, le mystère de la mort présenté sous l’apparence d’un gibier ou d’une volaille.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Soutine,

    jusqu’au 2 mars, Pinacothèque de Paris<o:p></o:p>

    illustration : La Folle, c 1919, Coll. privée © ADAGP, Paris 2007<o:p></o:p>


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