• Au musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    Un Prix de Rome :

    J.-J. Henner

    (1829-1905)<o:p></o:p>

    Présent du 22 septembre 07<o:p></o:p>

    « Et qu’ont donné depuis cent ans les prix de Rome ? Rien qui marque dans l’histoire de notre art. Il y a pourtant quelques jeunes gens qui entrent dans à l’Ecole avec des dons. Ils les y perdent rapidement s’ils y restent. » Ce constat d’Henri Charlier (L’Art et la Pensée, chapitre « Formation de l’artiste »), le peintre Jean-Jacques Henner l’illustre avec justesse.<o:p></o:p>

    Quel contraste, en effet, entre le portrait qu’il peint en 1945, celui du menuisier Jean Hermann, vieil homme de profil coiffé d’un bonnet blanc, tableau frais, à la touche instinctive, et la composition qui lui obtint le Prix de Rome en 1858 : Adam et Eve trouvant le corps d’Abel, où des personnages cireux et cotonneux bravent le bitume envahissant ! Voilà à quoi aboutissait un peintre après neuf ans de Beaux Arts à Paris (1846-1855) et deux échecs au Prix (en 55 et 57). De nos jours le Prix de Rome n’existe plus ; l’Ecole des Beaux Arts, toujours, avec des résultats équivalents.<o:p></o:p>

    Le Prix lui permit de passer cinq ans à la Villa Médicis et de visiter l’Italie. Il y retrouva la lumière. Ses paysages se ressentent de l’influence bénéfique de Corot. Mais, rentré à Paris, il allait retomber dans la peinture de son époque, non sans avoir eu la possibilité d’en réchapper.<o:p></o:p>

    En 1868 et 1869, influencé par ses amis Degas et Manet, il peint deux nus, La Toilette et La femme au divan noir. La toilette est si décriée qu’il la détruit. Quant à La femme au divan noir, elle soutient – nous dit-on – la comparaison avec les nus de Courbet, Manet et Renoir, jugement auquel objectivement il est impossible de souscrire. Ce contraste dur du corps sur le fond, qu’on retrouvera souvent, ce corps, bien que dur, d’une morbidesse totale, voilà deux raisons de ne pas faire toute une histoire de ce tableau. <o:p></o:p>

    Quoi qu’il en soit, le désir d’honneurs et de reconnaissance lui fit repousser ces influences et adopter une facture plus lisse, qui correspondait au goût du jour.<o:p></o:p>

    Alsacien touché par la perte de sa province, il peignit en 1871 une femme en costume noir, L’Alsace – Elle attend. Cette allégorie offerte par les dames de la ville de Thann à Gambetta connut un grand succès malgré sa maladresse et sa figure cireuse encore. Elle diffère peu des portraits mondains réalisés dans les années 70-80, qui furent loués en leur temps pour rendre si bien l’image de la bourgeoise parisienne type (La femme au parapluie, 1874). De ces portraits, Henner en peignit près de quatre cents : il était à la mode.<o:p></o:p>

    De la fraîcheur surgit inopinément d’un petit portrait à l’huile de Séraphin Henner (1877), qui rappelle le portrait du menuisier, comme une revanche du vrai tempérament du peintre, manifesté aussi dans des paysages alsaciens non conventionnels que l’artiste n’exposa pas. <o:p></o:p>

    Typiques de sa manière agréée du public, les nombreuses rousses (illustration), déclinées en rêveuses ou en nymphes, ou en Madeleine : mais un crâne au pied d’une femme nue suffit-il à faire une Madeleine, et une Madeleine repentante ? Cette peinture qui ne dépasse pas la vague religiosité est encore un trait de l’époque. De son Jésus au tombeau, Jules Claretie (écrivain alors en vue) a écrit qu’il serait un jour « accroché à côté du Christ de Philippe de Champaigne, qu’il écraserait presque par la comparaison ». Emballement d’homme de lettres, jugement déraisonnable par surenchérissement rapporté très sérieusement par les exposants comme une preuve de la grandeur de l’art de J.-J. Henner. C’est une attitude fort regrettable, et qui ne peut que nuire à l’artiste.<o:p></o:p>

    Pourquoi ne pas attribuer sensément à J.-J. Henner sa place dans l’histoire de l’art ? Pourquoi le travestir en romantique, ou en non académique, etc., alors qu’il fut un peintre à la mode dans une époque plutôt médiocre et comme tel représentatif d’une certaine médiocrité ? Il y aurait mérite à assumer cela, et aucun déshonneur. On regarderait ses toiles avec intérêt, avec la juste mesure de ce qu’elles représentent, sans être agacé par des arguments de placier. <o:p></o:p>

    Mort en 1905, Henner eut aussitôt une salle dans le Petit Palais, qui ferma en 1935 quand son heure eut définitivement passé. C’est un peintre officiel du Second Empire et de la IIIe République, avec les faiblesses que cela suppose, ce qui n’empêche pas l’honnêteté : membre influent du jury du Salon, il défendit la peinture de Renoir et de Manet, et celle de Courbet à la fin de sa vie alors que, exilé en Suisse, il était l’objet d’un harcèlement et d’une haine démesurés. Cet aspect sympathique du peintre est d’ailleurs visible dans sa photographie par Nadar (1888) : Henner paraît sorti d’un dessin de Hansi. Son air bonhomme correspond mal à sa peinture.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Face à l’impressionnisme, J.-J. Henner, le dernier des romantiques, <o:p></o:p>

    jusqu’au 13 janvier 2008, Musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    illustration : Rêverie, vers 1904-05 © Musée du Petit Palais / Roger-Viollet<o:p></o:p>


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  • Au musée Guimet<o:p></o:p>

    Un musée en vie<o:p></o:p>

    Présent du 15 septembre 07<o:p></o:p>

    La mort guette tout musée, une mort lente par routine, quand les collections dépérissent dans un environnement vieilli, surveillées par un gardien anémique sous l’œil désabusé du conservateur. Horrible tableau ! que n’offre pas, heureusement, le musée Guimet, dont le dynamisme est indéniable. <o:p></o:p>

    Créé en 1889 pour abriter la collection de l’industriel Emile Guimet (1836-1918), le musée s’est enrichi depuis grâce aux expéditions et fouilles en Extrême-Orient, au transfert dans ses murs du musée indochinois du Trocadéro et de la section des arts asiatiques du Musée du Louvre, mais aussi bien sûr grâce aux dons (en particulier les donations de l’éditeur Michel Calmann, de l’antiquaire Robert Grousset, de Jean et Krishnâ Riboud). Seul un musée vivant donne envie à un passionné de léguer une œuvre.<o:p></o:p>

    Sa bibliothèque et sa photothèque sont un outil de travail apprécié pour la recherche, qu’Emile Guimet lui-même a pratiquée et encouragée en fondant la Revue de l’histoire des religions et les Annales du Musée Guimet, dans lesquelles, par exemple, Georges Dumézil a publié ses deux premières études de mythologie indo-européenne comparée (« Le Festin d’Immortalité » en 1924 et « Le problème des Centaures » en 1929).<o:p></o:p>

    Rénové à la fin des années 90, le musée des Arts asiatiques accroît son fonds en suivant une ligne précise : les collections sont organisées de manière à illustrer la diffusion de l’iconographie religieuse indienne dans l’Asie orientale. Donations généreuses et mécénat d’entreprises ont permis de combler des lacunes importantes. Le musée propose ces mois-ci un parcours dans l’ensemble du musée à la rencontre de quelques deux cents œuvres parmi les six mille acquises en une décennie, repérables par une signalétique propre. <o:p></o:p>

    Les terres concernées, de l’Inde au Japon en passant par la Chine, la Corée, le Népal, l’Asie du Sud-Est et les pays en –stan, la période en jeu, plus de deux millénaires, rendent impossible tout panorama, toute synthèse. Quand on n’est ni un généraliste, ni un expert en art de telle période dans telle région, on en a le tournis. J’ai donc eu le tournis et puissiez-vous l’éprouver aussi car il y a de belles choses à voir.<o:p></o:p>

    En sculpture, trois Bodhisattva retiennent l’attention : un de la fin VIIIe, japonais, et deux du Xe siècle, chinois. La taille est ferme, les volumes jouent bien, les plans sont découpés que c’en est un plaisir pour l’œil. Un Bouddha marchant (bronze), représentatif de l’art thaï du XVIe, dit style sukhothaï, au visage typé, est à l’opposé de ces sculptures : c’est un art de lignes et non de volumes, ce qui apparaît pleinement de profil. Tout cela est supérieur à un Bodhisattva himalayen (X-XIe siècles), où les détails l’emportent sur l’ensemble, trop orné qu’il est, enguirlandé.<o:p></o:p>

    Si l’ensemble est nettement bouddhique, la Chine antérieure se fait remarquer par des sculptures religieuses en bois assez étonnantes (illustration) : remontant aux Ve-IIIe siècles avant J.-C., ce sont des animaux protecteurs des tombes, tous munis plus ou moins à juste titre d’andouillers, comme cet oiseau phénix juché sur un tigre, dont les bois remplacent audacieusement les ailes.<o:p></o:p>

    Les paravents appartiennent à une philosophie de l’ameublement typiquement asiatique, et ici, coréenne. Tous n’ont pas la même inspiration. Poésie picturale d’un paravent joliment coloré, représentant un coq jaune pâle dans un paysage gris anthracite, vert et rouge brun. Ou poésie littéraire de ce paravent au dessin grisé qui rappelle les Chinois, avec les quatre gentilshommes et les trois amis – les quatre gentilshommes sont le bambou, le prunier, l’orchidée et le chrysanthème ; les trois amis le rocher, le pin et le bambou, thèmes chers aux lettrés. La poésie peut aussi être décorative lorsque le paravent simule un autre meuble : des étagères sont représentées en trompe-l’œil, s’y s’empilent livres et objets.<o:p></o:p>

    Restons dans l’ameublement avec des toiles peintes de l’Inde. Il s’en fabriquait de deux sortes : religieuse à l’usage des temples locaux, décorative à destination du Moyen Orient et de l’Europe. En 1686, les importations d’indiennes représentaient les trois quarts des bénéfices de la Compagnie française des Indes orientales ; les fabricants français firent interdire ces importations qui leur étaient nuisibles, et la Compagnie coula.<o:p></o:p>

    Une histoire touchante, pour terminer. Une tête féminine khmer (en grès) est arrivée au musée Guimet grâce à un donateur en 2006. En elle-même elle constituait un beau cadeau, mais le plus beau c’est qu’elle s’est trouvée s’ajuster parfaitement à une autre sculpture du musée, une divinité exhumée sans sa tête en 1935, au Cambodge sur le site de Bakong. (La tête avait été trouvée à proximité quatre ans plus tard.) Que souhaiter de plus au bonheur d’un conservateur ? <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    De l’Inde au Japon, 10 ans d’acquisitions, <o:p></o:p>

    jusqu’au 13 décembre 07, Musée Guimet<o:p></o:p>

    illustration : Grand phénix, Chine du Sud © Thierry Ollivier / RMN<o:p></o:p>


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  • A la tour Jean sans Peur<o:p></o:p>

    B-A-BA médiéval<o:p></o:p>

    Présent du 8 septembre 07<o:p></o:p>

    <st1:personname productid="La Tour Jean">La Tour Jean</st1:personname> sans Peur, dans le deuxième arrondissement de la capitale, est tout ce qui subsiste du corps de bâtiments construit par Jean sans Peur en 1409-1411, auquel elle servait d’escalier général et de distribution. Légèrement fortifiée car l’époque n’était pas sûre : Jean sans Peur, en faisant assassiner son cousin Louis d’Orléans (nov. 1407), avait déclenché la guerre entre Armagnacs et Bourguignons ; lui-même fut assassiné en septembre 1419. <o:p></o:p>

    Extérieurement peu attirante, étouffée entre des murs modernes, c’est à l’intérieur qu’elle révèle ses richesses : son escalier à vis, carré, s’achève au troisième étage sous une voûte gothique sculptée de branches de chêne, de houblon et d’aubépine. Lui succède un petit escalier en colimaçon non moins charmant qui permet d’accéder aux combles qui forment un sixième étage. L’appareillage est préservé. De nombreuses pierres portent des signes lapidaires destinées à identifier, en vue du paiement, les différents tailleurs. La présence des mêmes signes de la base au sommet assure de la construction en une seule campagne.<o:p></o:p>

    <st1:personname productid="la Tour">La Tour</st1:personname> appartient à la municipalité qui en a cédé la gestion à une association. Celle-ci s’est donnée pour tâche de l’animer par des expositions consacrées au Moyen Age. Après l’hygiène, l’animal, la cuisine et le voyage, et avant la santé (l’année prochaine), voici donc l’école au Moyen Age. <o:p></o:p>

    L’instruction primaire à Paris, ce sont plus de soixante écoles en 1380, une centaine au XVe. Plusieurs types d’école existaient : écoles « de cloître » (monastiques ou séculières – cathédrales, paroissiales), « petites écoles » sous la gouverne d’un maître laïc. Les écoles de cloître conduisaient souvent les élèves à la cléricature ou à la prêtrise, tandis que les petites écoles étaient destinées aux enfants qui allaient suivre la voie du commerce et de l’artisanat. Cependant cette distinction ne devait pas, dans les faits, être contraignante, et, que le maître fût religieux ou laïc, l’enseignement était catholique. Tel abécédaire s’intitule « alphabet des chrétiens » : A, amitié ; B, bénévolence ; C, crainte ; D, douceur…<o:p></o:p>

    La durée des études étaient, pour la majorité des enfants, extrêmement brève : comptez quatre mois pour la lecture, deux à quatre mois pour le calcul. L’écriture n’était pas forcément apprise, et se limitait souvent à l’apprentissage du nom. Ecole rudimentaire, diront les esprits chagrins ; mais école dont les enfants sortaient avec les rudiments, avec ce dont ils auraient besoin dans leur vie quotidienne, professionnelle, et que notre Education nationale (cet adjectif possessif étant purement temporel) ne donne qu’à peine en six années de primaire – voyez le récent rapport du HCE, Présent du 29 août. Les instituteurs médiévaux avaient la simplicité d’utiliser la méthode syllabique. <o:p></o:p>

    Beaucoup d’enfants bénéficiaient ensuite d’un apprentissage professionnel, à des âges différents suivant les métiers : à partir de huit ans chez un agriculteur, de dix ans chez un potier. Pour cet apprentissage qui durait plusieurs années, un contrat était passé devant notaire, où était éventuellement spécifié si le maître aurait droit de frapper l’apprenti, lequel devait de toute manière être traité comme son fils.<o:p></o:p>

    Pour ceux qu’on distinguait, que leurs capacités faisaient sortir du lot, la voie était ouverte à des études complètes comprenant les lettres (trivium : grammaire, logique, rhétorique) et les sciences (quadrivium : arithmétique, géométrie, musique, astronomie).<o:p></o:p>

    On entrait à l’université à 16 ans, mais les plus précoces y étaient admis dès… 10 ans. Au bout de trois années d’études, l’étudiant obtenait sa licence d’enseigner et pouvait ouvrir une école. Le monde des étudiants défrayait la chronique par une vitalité parfois déshonnête. Les bagarres étaient fréquentes, violentes. La débauche écartait plus d’un étudiant du droit chemin. Rutebeuf (XIIIe siècle), dans Le Dit de l’université de Paris, déplore les violences et le mode de vie des étudiants : tel pauvre paysan se sacrifie en vain pour son fils qui traîne dans la rue en quête d’aventure. François Villon, au XVe, licencié es lettres, s’attarde dans les tavernes et dans l’une d’elle poignarde à mort un prêtre. Les maîtres ne se conduisaient pas toujours mieux. La jalousie permettait les moins honorables coups : Abélard fut victime de manigances sordides car sa science attirait les étudiants d’autres maîtres. <o:p></o:p>

    Malgré les reproductions d’enluminures, la présentation de l’exposition est assez austère, accessible aux adultes plus qu’aux enfants. Les organisateurs ne dissimulent pas que le contenu « se veut le plus didactique possible ». On excusera l’austérité pour n’en retenir que le sérieux : l’esprit est bon et mérite d’être soutenu car les vérités sur le Moyen Age sont souvent à redécouvrir et sans cesse à réaffirmer.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’école au Moyen Age, jusqu’au 4 novembre 2007, <o:p></o:p>

    Tour Jean sans Peur, 20 rue Etienne Marcel – Paris 2e<o:p></o:p>

    illustration : Mauvais maître battu par ses élèves (XVe), Paris © BnF<o:p></o:p>


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  • Au musée du Montparnasse<o:p></o:p>

    Un quartier

    effervescent<o:p></o:p>

    Présent du 1er septembre 07<o:p></o:p>

    « Il était deux heures du matin, j’suis entré au Café du Dôme à Montparnasse. Y régnait comme une démence… » (Gabin, dans Le Tatoué) Ce sont ces heures chaudes que le musée du Montparnasse réveille, avec des œuvres, des photographies, des extraits des films réalisés par Jean-Marie Drot, qui associent documents d’époque et interviews (les quatorze émissions sont disponibles en six DVD, Doriane Films, 35€). Cent noms de peintres, de compositeurs, d’écrivains, seraient à citer, des noms aussi différents que Poulenc, Apollinaire, Soutine ou Cendrars…<o:p></o:p>

    Fréquenté par les artistes dès l’extrême fin XIXe, Montparnasse se substitua à Montmartre. La correspondance d’Erik Satie est révélatrice de ce glissement de terrain. Jusqu’à la guerre, le centre est Montmartre ; après, les rendez-vous se donnent à Montparnasse, les artistes y habitent toujours plus nombreux, ou à proximité (6e, 7e arrondissements). <o:p></o:p>

    L’esprit n’est pas le même. <st1:personname productid="La Butte">La Butte</st1:personname> avait un côté famille et une certaine unité, alors que ce quartier Montparnasse sans frontières naturelles, traversé par des boulevards, ouvert aux quatre vents, évoque plus le carrefour que le village. Le cosmopolitisme des années Montparnasse est d’ailleurs frappant. S’y croisaient, selon Léon-Paul Fargue, « des Lithuaniens, faiseurs de vers hirsutes, des Chiliens en chandail qui peignaient avec des fourchettes à escargots, des nègres agrégés, des philosophes abyssins, des réfugiés russes experts dans l’art d’inventer des soporifiques, des loteries ou des maisons de couture. Cette atmosphère de maisons de fous n’était pas toute déplaisante. » (Le Piéton de Paris, 1939) <o:p></o:p>

    Des critiques d’art tourmentés veulent voir dans ce cosmopolitisme une réelle lutte contre le nationalisme de l’époque, lutte magnifiée par la présence importante de peintres juifs. Henry Miller, arrivé d’Amérique en 1928 assoiffé de culture et d’humanisme, confirme leur présence en des termes – comment dire – démodés (au chapitre I de Tropique du Cancer, par exemple). Mais faire de l’Ecole de Paris (vocable sans raison d’être sinon géographique, qui rassemble une peinture disparate) un symbole de la lutte contre le fascisme, le racisme, etc., c’est un anachronisme et ça sent Caton l’Ancien et la ritournelle du Carthago.<o:p></o:p>

    Plus sérieusement, Fargue distingue deux Montparnasse : celui « où s’étale tout le déchet – et parfois l’élite – de l’Europe ‘intellectuelle et artistique’ », et celui que hantaient ceux « pour qui la vie en marge des institutions et coutumes bourgeoises n’était pas une affectation mais une nécessité en quelque sorte congénitale. Le véritable état-major de Montparnasse se composait de Moréas, de Whistler, de Jarry, de Cremnitz, de Derain, de Picasso, de Salmon, de Max Jacob… » <o:p></o:p>

    Est sorti de Montparnasse le meilleur et le pire, le médiocre et le génial, l’authentique et le chiqué. Ce que nous propose le musée du Montparnasse est un choix honnête. On glane un grand portrait à l’huile par Picabia, Medina (1931), tout en jus ; de Foujita, La dompteuse et le lion ; les toiles d’un peintre méconnu, Maurice Loutreuil : un autoportrait et des nus féminins.<o:p></o:p>

    Les femmes ont pris une part active, comme artistes et comme muses : Marie Laurencin, amante un temps d’Apollinaire, Fernande Olivier, maîtresse de Picasso sur lequel elle a laissé des souvenirs mi-figue mi-raisin, ici dessinée par Van Dongen. La célèbre Kiki, élue reine de Montparnasse en mai 1929, posa pour les peintres et souvent pour Man Ray. La postérité n’a pas retenu la peinture de Jeanne Hébuterne (on voit d’elle un intéressant autoportrait aux tons mats) : elle restera comme le modèle et la compagne de Modigliani, dont elle eut une fille. <o:p></o:p>

    Modigliani (1884-1920) est le plus talentueux des Montparnos. Les œuvres proposées par le musée, dessins, peintures (illustration) et sculpture (Cariatide, bronze, 1911) ne donnent qu’un faible aperçu de son talent. Modigliani mourut à 36 ans, alcoolique, d’une méningite tuberculeuse, et Jeanne Hébuterne se suicida deux jours après. Histoire qui appartient aux heures froides de Montparnasse. Dom Clément Jacob écrit dans L’Art et la Grâce : « Demandez au poète en quel miroir il se reconnaît : les désordres de sa vie ou la partie préservée de son œuvre ?... » Avant de devenir bénédictin à En Calcat, ce compositeur juif avait bien connu les milieux de Montparnasse, et nous devons faire nôtres son indulgence et sa compréhension.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les heures chaudes de Montparnasse,<o:p></o:p>

    jusqu’au 6 janvier 2008, Musée du Montparnasse<o:p></o:p>

    Illustration : Modigliani, Portrait de femme, Coll. part. DR<o:p></o:p>


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  • Au Musée du Louvre<o:p></o:p>

    Traits espagnols

    Présent du 25 août 07<o:p></o:p>

    Le Louvre en août a un aspect « Châtelet-Les Halles à 18 heures » : hall grouillant, escaliers bondés, couloirs embouteillés. On y voit toutes sortes de scènes insolites, comme des femmes voilées être photographiées devant La Nymphe de Fontainebleau. Les salles des dessins espagnols, par lesquelles transitent les visiteurs pour la Joconde, ne sont pas à l’abri de l’agitation. <o:p></o:p>

    Est-ce la turbulence qui gâte l’exposition ? Celle-ci veut nous convaincre que le désintérêt et le mépris pour le dessin espagnol qui ont cours chez les historiens de l’art ne sont pas justifiés. Le fait est que, hormis les dessins de Goya, l’ensemble n’excite pas l’enthousiasme. Troisième session sur le sujet, les dessins espagnols ayant déjà été présentés par le Louvre en 1991 et 2002, une quatrième sera peut-être nécessaire.<o:p></o:p>

    Deux salles : une pour le XVIIe, une pour le XVIIIe, « les incertitudes du savoir et l’absence de fondement de la notion d’école ne permettant pas de division moins sommaire. » Mais les dessins de Goya n’appartiennent-ils pas, en plein, au XIXe ? <o:p></o:p>

    Bien sûr, on aime la série des Anges de <st1:personname productid="la Passion">la Passion</st1:personname> de Murillo (1617-1682), presque complète (le Louvre possède dix dessins). Chacun porte un ou plusieurs des instruments de <st1:personname productid="la Passion">la Passion</st1:personname>, jusqu’à la lanterne des gardes venus arrêter le Christ, jusqu’au sabre ayant servi à saint Pierre pour trancher l’oreille de Malchus. La délicatesse du modelé au lavis est remarquable. Autrement dure et contrastée est <st1:personname productid="la Derni│re">la Dernière</st1:personname> communion d’un moine moribond (artiste anonyme).<o:p></o:p>

    Six études de tête de vieillards par Del Castillo (1616-1668), à la plume, évoquent tout à fait les études de vieillards de Jordaens. Les Anciens aimaient les têtes de vieillards, souvent études préparatoires à des apôtres ou des philosophes. En voici huit autres, non signées et inférieures à celles de Del Castillo : la plume n’ose pas s’affirmer, elle picore le papier au lieu de le sabrer. Reproche qu’on ne saurait faire à De Ribera (1591-1652), dont un croquis, Vieillard les mains liées derrière le dos, rappelle Rembrandt par la sûreté du trait.<o:p></o:p>

    Puis vient Goya (1756-1828). Sa seule présence justifie une visite (ill.). Après une formation traditionnelle, un voyage en Italie, une abondante production de cartons pour les tapisseries royales et la gravure des œuvres de Vélasquez à qui il vouait un respect profond, il fut nommé peintre du Roi en 1786. Une grande carrière semblait s’annoncer mais Goya fut éloigné de la cour en 1790 à cause de ses liens avec les ilustrados, intellectuels marqués par les idées des Lumières, dont s’inquiétait le pouvoir royal au vu de <st1:personname productid="la R←volution">la Révolution</st1:personname> française. <o:p></o:p>

    En 1792, une maladie (vraisemblablement une méningite) le laissa sourd et affaibli. Apparurent alors les dessins noirs, tourmentés, puis les gravures : la série des Caprices, où grotesque préromantique et satire anti-cléricale se mélangent fut publiée en 1799 mais, jugée scandaleuse, aussitôt retirée de la vente. <o:p></o:p>

    L’invasion française de 1808, avec ses exactions, donna Les désastres de la guerre ; au-delà de la dénonciation, ces gravures exprimaient une désillusion politique personnelle, les guerres napoléoniennes étant le prolongement de cette Révolution dont Goya avait cru qu’elle apporterait la liberté. L’expédition française de 1823, réactionnaire cette fois, et le rétablissement de Ferdinand VII qui s’ensuivit le poussèrent à s’exiler à Bordeaux, lieu de refuge des libéraux espagnols, où il mourut en 1828. <o:p></o:p>

    Ces tourments expliquent assez, même s’ils n’épuisent pas l’interprétation, la violence et le ricanement des dessins de Goya. Les psychanalystes s’épuisent à comprendre ces dessins de sarcasme et de malédiction, et la lecture de leurs analyses nous épuisent aussi : « On  assiste à l’émergence conjointe du non-sens et du non-être, du faux-semblant d’être et du trop d’être ; la béance s’y donne comme être du désordre ». Quelle chanson !<o:p></o:p>

    La mairie du Ve arrondissement avait donné, l’été dernier, une quasi intégrale des gravures du maître : Les Caprices, Les Désastres de la guerre, <st1:personname productid="La Tauromachie">La Tauromachie</st1:personname> et Les Disparates. Les dessins que possède le Louvre en sont une annonce, un écho. Quelques mots négligemment écrits permettent d’identifier le sujet sans pour autant ôter tout mystère à la caricature et au cauchemar : Mauvaise femme, La petite vieille qui pense au mariage, Ils coupent la vieille, L’enfant difforme… Le portefaix (illustration), est plus qu’un croquis de métier, il dépasse toute observation sur le vif et devient l’expression d’un accablement tragique. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Siècle d’Or, Siècle des Lumières, dessins espagnols,<o:p></o:p>

     jusqu’au 15 octobre, Musée du Louvre<o:p></o:p>

    illustration : Goya, Le Portefaix, Louvre © RMN / M. Bellot<o:p></o:p>


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