• Au musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    Romantiques allemands<o:p></o:p>

    Présent du 22 mars 08<o:p></o:p>

    Après Bandinelli et Saint-Aubin (Présent des 8 et 15 mars), encore des dessinateurs : ceux de l’époque de Goethe, au nombre de soixante moins un. Pléthore explicable. Le goût des idées, l’exigence intellectuelle du premier romantisme trouvèrent dans le dessin un moyen dépouillé de s’exprimer ; « Le contour est la délimitation de l’idée de l’artiste », disait C. A. Käster. La découverte, par les Romantiques, de l’art allemand ancien – une réaction aux Lumières françaises imposées par Frédéric II –, remit Dürer à l’honneur et fit considérer le dessin comme un art national.<o:p></o:p>

    Les articles et ouvrages d’histoire de l’art de Wilhelm Heinrich Wackenroder ont joué un rôle important dans cette découverte. Trouvant dans le gothique une entente quasi-parfaite entre l’art et la foi, et dans le baroque, spécificité du Sud de l’Allemagne, un concours de tous les arts au service de la liturgie, il en vint à hausser l’art au niveau de la religion. L’effusion de l’artiste est alors primordiale et non sa technique, à l’image du piétisme où l’âme s’épanche en Dieu sans le recours à une prière déterminée. L’artiste est un grand prêtre, l’œuvre l’objet d’une adoration, dans un musée devenu temple où se recueille une élite initiée. Conception haute, exigeante, mais dont l’origine est une confusion, et les conséquences, d’autres confusions. Wackenroder, dont la vocation fut contrariée par son Prussien de père qui n’imaginait de carrière que militaire ou administrative, cristallisa l’art au-delà du raisonnable. (Sur cet homme, et les romantiques en général, se reporter aux études de Marcel Brion qui n’ont d’autres défauts qu’une empathie parfois lyrique.)<o:p></o:p>

    Marqués par les écrits de Wackenroder, des artistes en rupture avec l’enseignement officiel des académies s’installèrent à Rome et fondèrent la colonie dite « des Nazaréens ». Ils y menèrent une vie communautaire et ascétique au service d’un art lui-même dédié au service de la foi. Le groupe rassembla des catholiques (F. Overbeck, F. Pforr, P. Cornerlius…) mais des protestants tentèrent également l’expérience (J. Schnorr von Carolsfeld). Leurs réalisations ne sont pas à la hauteur de leurs vues : partant de peintres et non du réel, et pas des peintres les plus indiqués en matière d’art religieux (Raphaël en particulier, apprécié pour le sentimentalisme de sa peinture), ils devaient succomber à un raphaëlisme douceâtre, à un dessin rondouillard, gène de mollesse qu’on retrouvera, à peine muté en grâce languide, chez les Pré-raphaëlites anglais, ou chez A. Scheffer et H. Flandrin. <o:p></o:p>

    Le magnifique portrait du peintre C. W. Wach par W. von Schadow (ill.) témoigne du grand art du dessin romantique par sa technique et sa sensibilité mais le portrait n’est pas le genre qu’ont préféré les artistes : c’est dans le paysage qu’ils ont excellé, ce paysage cher à leurs confrères poètes.<o:p></o:p>

    Paysages italiens (une vue de Rome, par Goethe ; les rochers et les maisons d’Olevano par Reinhold), paysages grecs aquarellés de Rottmann, avec des effets de lumières dans les nuées ; paysages allemands de forêts et de montagnes. Les artistes hésitent entre deux tendance : le paysage « idéal », « héroïque » (Koch : Les chutes du Schmadin ; Kobell), lourd, travaillé dans toutes ses parties avec la même application pour obtenir un fini parfait – et ennuyeux – ; le paysage vu et inspiré, non pas construit, où légèreté du faire et ambiance inquiète vont de pair : Koch encore, un sommet vue d’une vallée encaissée ; la montagne et l’eau, éléments puissants, font peser une sourde menace sur le petit homme qui contemple une chute sous un surplomb de rochers (Wolf) ou qui, sur les sommets, s’apprête à redescendre dans le brouillard (Oeser).<o:p></o:p>

    Le romantisme est parfois plus accusé, caricatural : Un moine assis dans la forêt devant une croix funéraire (Blechen), Château fort romantique sur un lac entouré de montagnes (Von Schwind, très « Dürer »), La jeune fille et la mort, Apparition dans la forêt, du même. Sans oublier le grand Carl Friedrich et ce lavis : Chouette au bord d’une tombe. Les paysages de Reinhart sont volontiers tempête, orage ; ils s’apaisent à Rome avec une vue objective, non dramatique, des ruines du Colisée, tandis que l’Antiquité éveille chez Füssli un sentiment d’impuissance : Le désespoir de l’artiste devant la grandeur des ruines antiques. <o:p></o:p>

    Si la musique a été le moyen d’expression chéri de l’Allemagne romantique, et ce qu’elle a laissé de plus durable, le nombre, la variété et la qualité des œuvres présentées prouvent que le dessin était adéquat, également, à transcrire une part des richesses de l’âme allemande.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’âge d’or du romantisme allemand,

    aquarelles et dessins à l’époque de Goethe, <o:p></o:p>

    jusqu’au 15 juin, Musée de la Vie romantique<o:p></o:p>

    Illustration : Portrait du peintre C. W. Wach par W. von Schadow © Museum fûr Kunst, Lübeck<o:p></o:p>


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  • Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Saint-Aubin intra-muros<o:p></o:p>

    Présent du 15 mars 08<o:p></o:p>

    « Il est de ces familles qui vivent d’une industrie tellement rapprochée de l’art, qu’un beau jour les enfants et les petits-enfants sautent à pieds joints par-dessus l’industrie paternelle, et passent à l’art. » On ne saurait mieux parler des Saint-Aubin – ce sont les Goncourt qui parlent. Ces pépinières sont un trait de la société d’ancien régime déjà évoqué dans nos colonnes (les Parrocel, peintres, les Bra, sculpteurs, les Couperin, organistes).<o:p></o:p>

    Des nombreux enfants de Gabriel-Germain, brodeur du Roi, deux restèrent dans les métiers d’art : Charles-Germain fut dessinateur de broderies et dentelles, Louis-Michel fut peintre sur porcelaine à la manufacture de Sèvres.<o:p></o:p>

    Deux fils sautèrent le pas : Augustin fut graveur du Roi, il illustra des livres, des brochures, travailla pour le compte du Duc de Chevreuse à des planches détaillant les richesses de son Cabinet d’Histoire naturelle. Gabriel-Jacques (1724-1780), à qui le nom doit de survivre, se destinait d’abord à la peinture d’histoire, à l’allégorie ; trois échecs à l’Académie (1752, 53 et 54) blessèrent son amour-propre, il abandonna alors tout projet de carrière officielle, rejoignit l’Académie de Saint-Luc. « C’était là une académie au goût de Saint-Aubin : académie irrégulière, suspecte, avec des expositions intermittentes, vivant entre la tolérance et la menace… méprisée et pourtant haïe, tracassée et poursuivie par l’Académie royale. » (Les Goncourt encore.) Changement total de perspective : il renonce au prestige social et à la recherche d’un beau idéal. Il traquera le motif autour de lui, dans les rues de Paris – un Paris ramassé, pas encore accru, grosso modo, des arrondissements 13 à 20. L’essentiel de son œuvre sera dessiné, sa technique informelle, mêlant les crayons, les craies, la plume, le lavis et l’aquarelle, l’artiste les asservissant à l’effet qu’il veut obtenir.<o:p></o:p>

    La grande histoire abandonnée, ses dessins sont d’un chroniqueur : l’incendie de l’Hôtel Dieu en 1772 (illustration – pierre noire, encre de Chine, aquarelle et gouache), Louis XVI posant une première pierre, Louis XVI rétablissant le Parlement, l’interdiction d’enseigner faite aux Jésuites, un cours public au collège royal de Pharmacie en 1779 ou une leçon du chimiste Sage la même année : on connaît le succès de ces cours qui, ouverts à tous, véhiculèrent et vulgarisèrent le matérialisme des Lumières.<o:p></o:p>

    Dans la rue, il attrape au vol un entretien galant, dessine la promenade sur les boulevards ou une boutique de mode. Il est partout chez lui, y compris à Notre-Dame, où il entreprend, pendant un sermon du Vendredi saint, de dessiner le prédicateur – l’anecdote est racontée par son frère. « Les personnes placées près de lui le regardèrent faire ; celles de devant se retournoient, celles de derrière se haussoient sur leurs chaises. Enfin il attira si fort l’attention des auditeurs que le prédicateur suspendant son discours dit : « Quand les yeux seront satisfaits, j’espère qu’on me prêtera l’oreille. »<o:p></o:p>

    Un autre jour il est encore à Notre-Dame, mais pour la dessiner pavoisée des drapeaux pris aux Anglais. Les monuments l’intéressent autant que les gens, pourvu qu’ils soient comme eux parisiens. Il a laissé une œuvre marginale : muni des volumes de la Description de Paris et des environs de Piganiol de la Force, il illustre le texte dans les marges étroites : un lutrin, des voûtes, une perspective, etc. Dessin précis, dessin technique, pointilleux, admirable autant par l’exactitude que par la petitesse. Mais Saint-Aubin ne franchit pas les portes : les marges des volumes consacrés aux alentours de la capitale sont restées vierges.<o:p></o:p>

    Dans la même veine, il illustre de marginalia les catalogues de collections d’art, de ventes de peintures, où les chefs-d’œuvre sont évoqués en format timbre-poste à l’aide de quelques traits, quelques tâches – nouveaux chefs-d’oeuvre. Les ouvrages ainsi illustrés constituent des pièces uniques. <o:p></o:p>

    Saint-Aubin, dit son frère, se faisait remarquer « par sa malpropreté et son talent ». Les deux avaient progressé ensemble. Ne vivant que pour dessiner, il négligea hygiène et santé, devenant peu à peu farouche et asocial. Au moment de sortir, avec une de ses craies blanches il se poudrait les cheveux et frottait ses bas pour les rafraîchir : sa toilette était faite. Utilisation du rehaut qui prouve que Saint-Aubin ne distinguait plus l’art d’avec la vie courante. A sa mort il laissa ses affaires dans le plus grand désordre, linge sale et dessins en vrac dans son logement de la rue des Prouvaires. Un de ses derniers dessins, La chambre de l’artiste – celui-ci y repose malade et condamné –, laisse entrevoir la piété, inattendue, de Saint-Aubin : un Christ en croix et une Madeleine, deux peintures dans le dessin qui sont plus que de simples œuvres.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Gabriel de Saint-Aubin (1724-1780),

    jusqu’au 26 mai, Musée du Louvre, aile Sully.

    illustration : L’incendie de l’Hôtel-Dieu, musée Carnavalet © G. Poncet<o:p></o:p>


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  • Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Un artiste florentin<o:p></o:p>

    Présent du 8 mars 08<o:p></o:p>

    La carrière du sculpteur Baccio Bandinelli (1493 – 1560) est liée à la puissance des Médicis. Né dans la florissante cité, il y réalisa ses premières œuvres, d’emblée influencé par la sculpture antique découverte lors de séjours à Rome et, plus encore, par Michel-Ange alors actif à Florence, de vingt ans son aîné, dont il peignit le portrait en 1522. Cette influence, toute une génération la subit, donnant ce qu’on nomme premier maniérisme, mais Bandinelli eut la prétention de rivaliser avec le maître. Un bloc de marbre servit d’enjeu. D’abord destiné à Michel-Ange pour y tailler un pendant au David placé devant le Palazzo Vecchio, il passa à Bandinelli car Michel-Ange était alors occupé aux travaux de San Lorenzo.<o:p></o:p>

    Les troubles politiques s’en mêlèrent : Bandinelli dut fuir Florence en 1527 lors de l’expulsion des Médicis. Le gouvernement républicain redonna la commande et le bloc à Michel-Ange, chargé en outre des fortifications de la ville. (Il dessina des plans jamais réalisés qui sont, d’après Fr. Hartt, « la plus stupéfiante synthèse entre l’invention stratégique et la beauté artistique ».) Lorsque les Médicis reprirent la ville en 1530, Michel-Ange se cacha un temps car il risquait la mort, tandis que le bloc de marbre revenait à Bandinelli, rentré avec ses protecteurs. Il y tailla le groupe colossal Hercule et Cacus, mis en place en 1534.<o:p></o:p>

    Cette même année, Michel-Ange quitta définitivement Florence pour Rome, où son échine peu souple et son inaptitude aux manœuvres en sous-main allaient continuer à le placer en porte-à-faux avec les autorités. Bandinelli avait lui un autre tempérament, réputé arrogant, fourbe et procédurier. Son rival parti, il domina la vie artistique florentine pendant quinze ans, jusqu’à ce que Benvenuto Cellini et Bartolommeo Ammanati le détrônent. Encore usa-t-il contre le premier de procédés indélicats, ce qui lui vaut l’honneur d’être cité dans La vengeance, mœurs italiennes de la Renaissance de Gabriel Maugain. Il est vrai que cette époque était si fertile en rancunes que Cellini lui-même projeta, en retour, de l’assassiner : mais le rencontrant désarmé, sur un mauvais mulet, accompagné d’un enfant, il n’en fit rien. <o:p></o:p>

    Les contemporains de Bandinelli ne se sont pas gênés pour critiquer ses sculptures, encore visibles en Florence en grand nombre (au Duomo, à Santa Casa de Lorette, au Palazzo Medici, à SS. Annunziata, Piazza della Signoria…). Le groupe Hercule et Cacus fut jugé froid, statique. Comme est loin le stil dolce d’un Desiderio da Settignano, florentin du siècle précédent ! Sculpteur raide, homme détestable, il lui fut beaucoup pardonné pour son talent de dessinateur. Outre son habileté technique, on louait sa capacité à surpasser la nature dans ses dessins, louange caractéristique du maniérisme. Préférer l’invention à l’observation, « améliorer », « magnifier » les beautés de Dame Nature, craindre la spontanéité, autant de choses qui se constatent dans les dessins de Bandinelli.<o:p></o:p>

    Se sent dans les nombreux nus masculins, corps de héros aux poses irréelles, que chaque trait a été pesé. Très beaux dessins, mais si Bandinelli n’était connu que par eux, il nous convaincrait de la froideur de sa mine. Prisonnier de cet idéal, il dessina un Christ mort sans stigmate qui n’était qu’un athlète, ce qui fut jugé peu crédible. La minutie du dessin de Bandinelli est aussi liée à sa formation dans l’atelier de son père orfèvre : un petit format qui rassemble quantité de personnages (Saint Léonard visitant les prisonniers et les renvoyant absous) tient à la fois de la miniature et du bas-relief, genre où il a montré plus de sensibilité qu’en ronde bosse : le Louvre possède une fonte tardive d’une Descente de Croix de qualité.<o:p></o:p>

    D’autres dessins, à la plume, son outil scripteur préféré (adorable terminologie de linguiste), témoignent de plus de vie. La Résurrection de Lazare ou Le Martyre de Saint Laurent montrent le « héros » isolé au milieu d’une foule étagée dans une architecture complexe mais lisible (gradins, plate-forme, arcades, niches…) proche d’un décor scénique, autre conception maniériste, artificielle et séduisante. La plume nous épargne les petits traits soignés, voire compassés, et favorise les hachures, que Bandinelli utilise d’une manière qui trahit le sculpteur puisqu’elles sont là pour modeler vigoureusement. La tête d’Hercule (ill.) avec le modelé du front, le renfoncement de la tempe, en est un bon exemple. <o:p></o:p>

    Un dessin, Hercule tenant la peau du lion de Némée, combine les deux techniques : l’homme est très travaillé alors que la dépouille animale est à grands traits. Ne retrouve-t-on pas, dans cette combinaison de calcul et de violence, le tempérament même de l’artiste ? <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Baccio Bandinelli, Dessins et sculptures du Louvre,<o:p></o:p>

    jusqu’au 26 mai, Musée du Louvre, aile Denon.<o:p></o:p>

    illustration : Hercule, plume et encre brune, Musée du Louvre<o:p></o:p>


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  • Au musée du Luxembourg<o:p></o:p>

    Vlaminck ou les limites de l’instinct<o:p></o:p>

    Présent du 1er mars 08<o:p></o:p>

    Cinquante ans après la mort de Maurice de Vlaminck, et cinquante-deux ans après la dernière grande exposition à lui consacrée, le Musée du Luxembourg ouvre ses salles aux peintures de la période 1900-1915, années durant lesquelles le peintre a donné le meilleur de lui-même.<o:p></o:p>

    Vlaminck en 1900 est un jeune homme au physique de lutteur de foire, qui donne des cours de violon, pédale, canote et peint dans sa banlieue natale qu’il aime par-dessus tout, Chatou, Le Vésinet. Sans un rond, il y mène une vie saine, préférant « la friture de gardons et le petit vin d’Argenteuil » au Pernod et à l’Amer-Picon servis à Montparnasse. « L’atmosphère de la bohème intellectuelle m’accablait et me rendait neurasthénique. Il me fallait le grand air, loin de Paris, des attirances féminines, des amours indigentes et sensuelles, au goût de malheur et de crasse, loin de l’odeur des plumards et des lavabos, des chambres meublées. » (Portraits avant décès, 1943)<o:p></o:p>

    Dans le train Chatou-Paris, Vlaminck fait connaissance de Derain. Ils vont ensemble sur le motif, louent comme atelier une baraque désaffectée ; de cette collaboration naîtra le fauvisme. Vlaminck prône la couleur pure, sortie du tube, et la touche virevoltante. Cette manière doit beaucoup à Van Gogh, dont la peinture lui a été révélée en 1901 à la galerie Bernheim-Jeune. Mélanger les tons ou assagir ses brosses signifieraient marquer un temps de réflexion, raffiner : or Vlaminck veut rendre l’émotion violemment ressentie devant le motif, « extérioriser son sentiment » face à la fraîcheur d’un bord de Seine, « fixer le réalisme romantique » d’un sordide paysage de banlieue. <o:p></o:p>

    Les toiles éclatantes s’accumulent : La Châtaigneraie à Chatou, dont le sol est une juxtaposition de tons purs qui rappellent les bonbons Dragibus ; les célèbres Péniches au Pont de Chatou (illustration)... Couleurs pures, tons vibrionnants : l’harmonie et la force sont indéniables.<o:p></o:p>

    Cependant, passé l’exposition du Salon d’Automne de 1905 où Vlaminck triomphe, entraînant dans son sillage Derain, Matisse, Marquet, Van Dongen, faisant affaire avec le marchand Ambroise Vollard qui achète toute sa production, le fauvisme patine : Vlaminck a atteint les limites de sa technique. La couleur pure, lui disait déjà Derain, « c’est une théorie de teinturier ! » Le fauvisme, souvent présenté comme libérateur, apparaît donc plus comme un aboutissement qu’une naissance. En quelque sorte – si une touche d’anachronisme est permise, mais dans le domaine des idées en est-ce un ? – c’est la victoire des Rubénistes sur les Poussinistes, et l’épuisement du vainqueur. Limite de l’émotion alors que la réflexion aurait permis d’évoluer. Cela, Vlaminck ne voudra jamais l’admettre. Cézanne est pour lui trop intellectuel, la peinture de Gauguin cérébrale, « dépourvue d’émotion naturelle », comme il l’explique la vieillesse venue. Il y a de l’ingratitude dans ce jugement car l’exposition Cézanne de 1907 (le maître était mort l’année précédente) lui avait permis de sortir de l’impasse.<o:p></o:p>

    Déjà dans des études de fleurs de 1905-1906, dans des paysages et des natures mortes, la touche était moins débridée, plus verticale, « tapissière », les couleurs nuancées. L’influence de Cézanne accentua cette évolution. Une série de natures mortes de 1906-1907 montre l’apport fécond du maître d’Aix. Vlaminck peint même des Baigneuses, et une composition savante (L’île Saint-Germain à Boulogne-Billancourt), mais est-ce encore lui ? on l’y cherche. <o:p></o:p>

    S’ensuit une série de paysages mi-cézanniens mi-cubistes, aux lointains en bleus doux (L’église du bourg, 1910), aux lumières d’orage (Bord de rivière, 1909). Vlaminck en demi-teintes, qui l’eût cru ? Le cubisme n’est que frôlé, qu’une tentation, en raison de sa nature hyper-artificielle. Le cubisme, « Picasso en fut l’accoucheur, Guillaume Apollinaire la sage-femme, Princet le parrain ; les assistants : Derain, Max Jacob, Braque, Juan Gris, Salmon et moi-même. » Connaissant le personnage, Vlaminck aura des pages cruelles sur Picasso le truqueur, sur le cubisme des pages justes : « En manière de boutade, on pourrait dire qu’en raison de ses tendances individualistes, libertaires, si quelqu’un avait dû personnifier le Fauvisme, c’eût été Ravachol. De même que le Cubisme, spéculateur et profiteur, l’eût été par Stavisky. »<o:p></o:p>

    Après la Grande guerre, Maurice de Vlaminck n’apporte rien de nouveau, ce qui en soi n’est pas grave ; mais il tourne en rond. André Derain donnera une œuvre plus conséquente, inscrite dans la durée. Le fauvisme n’est qu’un instant de l’histoire de la peinture, mais son éclat ne faiblira pas.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Vlaminck, un instinct fauve,

    jusqu’au 20 juillet, Musée du Luxembourg<o:p></o:p>

    illustration : Les Péniches à Chatou © The Museum of Fine Arts, Houston / ADAGP Paris 2007<o:p></o:p>


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  • Patrimoine<o:p></o:p>

    Une tour chargée d'ans<o:p></o:p>

    Présent du 23 février 08<o:p></o:p>

    La Tour Saint-Jacques, verticale essentielle de l'axe Rivoli entre Hôtel de Ville et Châtelet, émerge peu à peu des bâches. La pose d'échafaudages en 2001 pour protéger les passants a permis l'étude précise des dégâts occasionnés par le temps et les hommes, et sa rénovation qui sera achevée l'automne prochain. S’ensuivra une refonte du square Victoria.<o:p></o:p>

    La tour est le seul vestige de l'église Saint-Jacques le Majeur, dite Saint-Jacques la Boucherie en raison de l'activité du quartier, église signalée au bord de l'importante voie Saint-Martin dès le onzième siècle. L'église d'une paroisse aussi bien située était appelée à se développer, ce qu'elle fit de façon désordonnée, par adjonctions au fil des siècles. <o:p></o:p>

    Le célèbre Nicolas Flamel offrit le financement d'un portail latéral nord en 1389. La légende explique sa richesse prodigieuse par la pratique couronnée de succès de l'alchimie : il aurait acquis un mystérieux manuscrit pour le déchiffrement duquel l'aurait éclairé un médecin juif converti rencontré à Saint-Jacques de Compostelle, aurait été maître du Prieuré de Sion... le cursus habituel de l’hermétiste qui prend sa retraite dans Harry Potter. La fortune de Nicolas Flamel, qu'il utilisa à des œuvres très charitables, est due plus prosaïquement à son activité de libraire et à des opérations immobilières intéressantes. La façade de sa maison, non loin de là, rue de Montmorency, donne une idée de l'architecture civile du début du XVe. Une rue Pernelle, toute proche, garde le souvenir de son épouse. <o:p></o:p>

    La tour qui nous intéresse fut édifiée comme clocher entre 1509 et 1522. Elle est immédiatement postérieure à la chapelle de l’hôtel de Cluny (Présent du 1er déc. 07) et, comme elle, témoigne de la santé du gothique en de certaines mains, quand dans d'autres il dégénérait et alors que la pré-renaissance se dessinait. Sa décoration est d'un flamboiement mesuré. D'une hauteur de cinquante-deux mètres auxquels s'ajoutent les neuf mètres de la statue sommitale et son socle, elle abritait un carillon de douze cloches réputé pour sa musicalité. <o:p></o:p>

    Blaise Pascal y aurait fait des expériences concernant la pesanteur en 1653 – d'où sa statue placée au pied de la tour au XIXe – mais suivant des Parisiens réfléchis ces expériences auraient plutôt eu lieu à Saint-Jacques du Haut-Pas, sa paroisse. (Restons dans la science : en 1891, un service météorologique fut installé au sommet de la tour Saint-Jacques. A l’époque on annonçait un refroidissement climatique inquiétant. Dans une saynète de François Valade, un académicien, Pancrace, explique que le « feu central de la nature se meurt » ; à quoi répond une baronne : « La science dit vrai: quand j'étais jeune fille, je n'avais jamais froid. »)<o:p></o:p>

    Fermée au culte en 1790, l'église fut vendue comme carrière de pierres. Disparaissait alors un vaste édifice riche des ajouts successifs. Le clocher, conservé, fut rapidement entouré de constructions variées. Il servit à un fondeur de plombs de chasse, à qui les cinquante mètres de haut, une fois les planchers d'étages démolis, servaient utilement son activité : les billes de métal fondu étaient lâchées d'en haut et parvenaient refroidies en bas. Deux incendies marquèrent cette période. <o:p></o:p>

    L'avenir de la tour semblait compromis mais en 1836, à l'instigation de François Arago, la Mairie de Paris acheta la tour. Sous Haussmann, le percement de la rue de Rivoli occasionna son dégagement. Le gros œuvre fut repris à la base, les parties basses sont donc récentes tandis que le sommet est ancien ; pour ce genre de construction, l’inverse est plus fréquent. Les abat-son furent remplacés par des vitraux. La sculpture fut restituée : une vingtaine d'artistes travaillèrent à garnir les niches en façade, à restaurer les cinq sculptures du sommet (le tétramorphe et la statue de Saint Jacques). Ces dernières durent être remplacées dès 1912 par des copies, car les conditions climatiques les avaient endommagées ; les chutes de pierres exigèrent la pose d'échafaudage et une restauration. Idem entre 1932 et 1937; travaux en 1968; interventions d'alpinistes en 78, en 90. Il était temps d'enrayer ce cycle  de dégradations et d'interventions de fortune.<o:p></o:p>

    La restauration des murs, des vitraux, des sculptures tant du XVIe que du XIXe a été réalisée à l'aide des techniques les plus traditionnelles assistées des plus modernes (laser, informatique). Il faut espérer qu'une longue période de stabilité s'ouvre pour cette charmante tour. S'il reste peu des sculptures originales, l'essentiel subsiste : une jolie silhouette élégante, fine, dentelée. « Le riche clocher carré de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, avec ses angles tout émoussés de sculptures... » écrivait Victor Hugo, qui voyait dans le tétramorphe du sommet « quatre monstres qui, aujourd'hui encore, perchés aux encoignures de son toit, ont l'air de quatre sphinx qui donnent à deviner au nouveau Paris l'énigme de l'ancien... »<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    illustration: Schwa Ltd, D.R.

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    expo béton Arts & Métiers / donjon de Vincennes /Galerie des moulages

    tours parisiennes / Temple Sainte-Marie / Collège des Bernardins <o:p></o:p>


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