• A la Bibliothèque historique de la Ville de Paris<o:p></o:p>

    Christophe Girard entre en résistance<o:p></o:p>

    Présent du 23 avril 08<o:p></o:p>

    L’exposition Les Parisiens sous l’Occupation présente un bel ensemble de clichés d’André Zucca (1898 – 1973). Photographe de presse reconnu à partir de 1937, il est correspondant de guerre pour France-Soir et Paris Match en 1939, et travaille pour Signal, magazine de propagande allemande, à partir de 1941. Cela lui vaut le privilège de travailler avec des pellicules couleurs et de parcourir Paris en tout sens et toute liberté. A la Libération il perd sa carte de presse et doit se résigner à faire les mariages et les premières communions sous pseudonyme à Dreux.<o:p></o:p>

    Les deux cent cinquante photographies, tirées du fonds de la Bibliothèque Historique, risquent d’être remballées presto avant le 1er juillet, date initialement prévue pour la fermeture : Christophe Girard, adjoint à la Culture, bien que faisant partie du Comité d’Honneur de l’exposition en compagnie de Bertrand Delanoë, vient d’en demander l’arrêt. La découverte des photos lors du vernissage aurait fait vomir cet élu en charge du Patrimoine et de la Mémoire dans le 4e. (Vous pouvez l’invoquer si vous avez perdu vos clés et que vous êtes domicilié dans le Marais. Sinon, voyez saint Antoine.) <o:p></o:p>

    En quoi consiste le caractère émétique du travail d’André Zucca, « dont la valeur propre présente un intérêt historique et artistique incontestable » ? Il « donne à voir un Paris léger, voire insouciant » (communiqué de presse) Rien sur les rafles ni sur la Résistance. Pas bête pour deux sous, Girard a « immédiatement compris la manipulation derrière de prétendues belles images. » (interview au Journal du Dimanche)<o:p></o:p>

    Les Parisiens peuvent en effet découvrir, à travers ces photos, que sous l’Occupation on emmenait les enfants au Guignol, on jouait au loto, à la belote, on allait au cinéma, à la foire du Trône ; que les femmes se maquillaient, achetaient de la lingerie, portaient des chaussures à semelles compensées. Etes-vous bien assis ? A Ménilmontant on mangeait même des cerises… L’obligation d’avoir une lumière vive pour utiliser les pellicules Agfacolor explique l’ambiance ensoleillée, véritable inconvenance en ces heures sombres. La couleur rend les clichés encore plus troublants : la distanciation du noir et blanc n’opérant plus, ces images sont presque celles d’un Paris que nous connaissons.<o:p></o:p>

    Bref, les photographies remarquables d’André Zucca vont à l’encontre de la vulgate, en montrant que sous l’Occupation la vie quotidienne continuait et qu’au printemps les Parisiennes étaient pleines de charme. Des laiderons par temps bas eurent moins gêné Chr. Girard, particulièrement choqué par la photo d’un couple d’amoureux au jardin du Luxembourg, un exemplaire de Signal posé près d’eux. Un couple hétérosexuel, qui plus est. Le regard oblique d’un passant trop honnête ? Les photos relèvent, d’après lui, de la propagande. Les Allemands n’étaient pas de cet avis : aucune ne parut dans Signal. Les Censeurs ont souvent une sensibilité exacerbée.<o:p></o:p>

    La polémique a commencé peu après le vernissage. Désormais, un Avertissement est donné au visiteur pour qu’il n’aille pas conclure à l’inexistence des rafles, des files d’attente, etc. La promotion publicitaire par affichage a été suspendue. Bientôt peut-être des bassines seront-elles distribuées à ceux qui, comme M. Girard, ont l’estomac fragile. L’entrée des enfants même accompagnés sera-t-elle interdite ? J’imagine que notre élu tremble à l’idée que ses enfants tombent sur de telles images car il est Père comme les autres (Hachette, 2006 – comprenez « papa homosexuel »). Cette exposition est tellement inconciliable avec l’enseignement de l’Education nationale ! Des visiteurs bien intentionnés, citoyens fiables, ont d’ailleurs laissé dans le livre d’or des commentaires éloquents, conseillant par exemple aux organisateurs de « retourner à l’école » – pour réviser, sans doute.<o:p></o:p>

    En février dernier, Jean-Marie Le Pen et Camille Galic ont été lourdement condamnés pour une entrevue parue dans Rivarol en janvier 2005, dans laquelle Le Pen déclarait qu’« en France du moins l’occupation allemande n’a pas été particulièrement inhumaine », propos qualifiés d’apologie de crimes de guerre et de contestation de crimes contre l’humanité. Que les photos d’André Zucca puissent illustrer ces quelques mots suffit pour deviner quelles sont les chances de survie de l’exposition. En attendant, le sursaut mémoriel de Chr. Girard a eu pour effet immédiat d’amener de nombreux visiteurs, dont votre serviteur, ravi de pouvoir désormais lire certaines pages de Léautaud avec un œil encore plus averti.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les Parisiens sous l'Occupation: photographies d'André Zucca,<o:p></o:p>

    jusqu’au 1er juillet ?<o:p></o:p>

    Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 22, rue Mahler, 4e. Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 11 h à 19 h. Entrée : 4 euros.<o:p></o:p>


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  • A la Bibliothèque nationale<o:p></o:p>

    Daumier le génie d’un siècle<o:p></o:p>

    Présent du 19 avril 08<o:p></o:p>

    Honoré-Victorin Daumier (1808 – 1879) est l’homme de la lithographie, technique basée sur la répulsion de l’encre et de l’eau, mise au point en 1798 et rapidement répandue dans toute l’Europe. La lithographie va façonner le style de Daumier – on serait bien en peine d’imaginer son œuvre sous une autre forme – comme lui va donner la pleine mesure à cette technique, exploitant toutes ses possibilités. <o:p></o:p>

    Tirée sur du beau papier, une estampe de Daumier offre des nuances infinies, des noirs profonds, des gris variés, de purs blancs. Grâce à l’obligation de dépôt légal on possède quatre mille estampes de Daumier en tirage de valeur. Ce n’est pas le cas des exemplaires arrachés à des journaux, évidemment de qualité inférieure, les pires étant les tirages réalisés par gillotage à partir de 1870, procédé qui facilitait la composition puisqu’il permettait d’inclure l’image au texte chez l’imprimeur, mais un désastre du point de vue artistique car l’estampe offre alors un grisé uniforme et malpropre.<o:p></o:p>

    Les lithos gagnent à être vues avant la lettre, c’est-à-dire avant l’ajout de la légende, la plupart du temps bavarde, accaparant l’attention au détriment de l’image. Faiblesse d’autant plus sensible quand les légendes de Goya vous trottent encore dans la tête (Présent du 12 avril), mais qui n’est pas imputable à Daumier. Celui-ci envoyait une épreuve portant une mention laconique, reconvertie ensuite en légende prolixe par un journaliste de service qui, payé à la ligne, avait tout intérêt à dissimuler son manque d’esprit sous un fatras de points d’exclamation et de suspension. Parfois – témoins, de précieuses épreuves passées entre diverses mains d’une salle de rédaction, annotées – le chargé de légende avouait son incompréhension du dessin et refilait le bébé à un collègue. L’Idée de l’artiste dépassait le simple gag. L’Esprit dépassait la lettre. Indifférence des légendes : certaines estampes existent avec des légendes totalement différentes.<o:p></o:p>

    La Censure (périodes 1835 – 1848 ; 1852 – 1868), à laquelle les planches étaient soumises avant publication, refusait plus souvent la légende que le dessin lui-même ; on la récrivait alors jusqu’à ce qu’elle soit jugée assez inoffensive. Cette censure pouvait être d’ordre commercial (Manière dont on fait à Paris du saucisson de Lyon : en débitant du chien, d’après Daumier).<o:p></o:p>

    La première caricature politique, datée du 22 juillet 1830, s’intitule « Passe ton chemin cochon ». Si N. Sarkozy avait eu des lettres, au Salon de l’Agriculture… En 1831, paraît la litho Gargantua : un Louis-Philippe géant engloutit les biens des Français qu’on hisse à dos d’homme sur une rampe jusqu’à sa bouche. Elle vaudra à l’artiste d’être condamné pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement du roi » à six mois de prison. (Il en fera cinq, à Sainte-Pélagie.) Il suffit de peu pour adapter les dessins de Daumier à notre époque. Le Gargantua ferait une assez belle allégorie du Prélèvement social. Quant aux députés divers qu’il a représentés, ils annoncent ceux que nous connaissons : la vulgarité des uns, la veulerie des autres, nul dépaysement.<o:p></o:p>

    A la Bn Fr. Mitterrand, une exposition annexe présente les « héritiers » de Daumier. Les dessinateurs de presse actuelle se targuent volontiers du patronage de Daumier, dépositaires qu’ils seraient de son courage. Aucun d’eux n’a pourtant tâté de Sainte-Pélagie et, prétendraient-ils que l’expression des idées est libre en France, il serait aisé de leur rétorquer que certaines opinions sont délictuelles et mènent à la case prison (sans toucher 3094,01 euros). Qu’ils s’abstiennent de taquiner le parquet par timidité ou adhésion à la sainte loi de la Halde, ce sont des héritiers au petit pied. <o:p></o:p>

    La censure n’a pas eu que de mauvais aspects : on lui doit les caricatures sociales de Daumier, les séries des mœurs conjugales, des bas-bleus, des artistes, le traitement burlesque de l’Histoire ancienne à la manière du Virgile travesti de Scarron, vieux thèmes auxquels la lithographie donne une nouvelle jeunesse, mais aussi ces produits du temps que sont les bons bourgeois (illustration), les gens de justice, les locataires et les propriétaires – souvenez-vous du terrible Molineux décrit dans César Birotteau, car le rapprochement s’impose : l’image que nous avons du XIXe siècle, nous la devons à une couple de phénomènes, Balzac et Daumier. Ils sont aussi complémentaires que le scanner et la radiographie, l’œil droit et l’œil gauche, et la vision binoculaire, grâce à quoi nous percevons les reliefs, est si parfaite que, malgré la subjectivité de l’un et l’autre, l’objectivité de l’image obtenue ne fait aucun doute.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Daumier,

     jusqu’au 8 juin, BnF Site Richelieu.<o:p></o:p>

    illustration : Recherche infructueuse de la planète Leverrier (1846), BnF, dpt Estampes et photographie<o:p></o:p>


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  • Au Petit Palais<o:p></o:p>

    Un bain d’acide<o:p></o:p>

    Présent du 12 avril 08<o:p></o:p>

    Francisco Goya (1746 – 1828) commença sa carrière de graveur en reproduisant les tableaux de Vélasquez, honneur des collections royales. Ayant fait ses armes dans cet exercice difficile, il s’essaya à des sujets plus personnels, une fuite en Egypte, une espagnolade (un aveugle à la guitare), un garrotté – supplicié qui en annonce d’autres. Il se tourna vers des graveurs : Rembrandt l’influença, et Tiepolo (mort en 1770) qui avait publié une suite de Caprices : des chouettes parmi de vieilles pierres, la Mort qui donne audience annoncent les Caprices de Goya, réalisés à partir de 1797 et publiés en 1799.<o:p></o:p>

    Quelle galerie que ces caprices ! Et déjà quel génie du titre bref, allusif, énigmatique, moqueur, cruel ! Jeune femme prélevant les dents d’un pendu (A la chasse aux dents), galants, jeunes femmes et vieilles maquerelles (Qui se ressemble s’assemble, illustration), parfois occupées à plumer des hommes-poulets syphilitiques (Les voilà déplumés), monstres se taillant les griffes les uns les autres (Ils se pomponnent), vieille qui se farde (Jusqu’à la mort), sorcières au sabbat, âne posant devant un singe peintre… La veine des fantaisies est exploitée avec succès et dépassée. La satire exprime de façon déguisée les opinions du Goya « éclairé », sympathisant des philosophes français, dénonçant une Espagne rétrograde.<o:p></o:p>

    Quand il se remet à la gravure en 1810, la désillusion a marqué sa vie à jamais. Le peintre francophile a vu l’Espagne occupée par les armées napoléoniennes, le peuple et les religieux massacrés par les enfants de la Révolution. Répression menée par Murat à Madrid en 1808, répression à travers tout le pays en 1810, Goya, pour reprendre le titre d’une de ses gravures, a vu cela. On y rencontre des pendus, des fusillés, des garrottés, on y croise des charretées de cadavres (Enterrer et se taire). Les Désastres de la guerre rappellent Les Supplices et Les Misères de la guerre de Jacques Callot mais sont d’une crudité toute moderne. Goya travailla à ces planches entre 1810 et 1820 car après les troubles mêmes les images continuèrent à le hanter. <o:p></o:p>

    La série de la Tauromachie est comme une respiration (1815-1816). La mort est pourtant présente, celle du taureau ou celle du torero (La mort malheureuse de Pepe Hillo). Sur la fin de sa vie, Goya s’essayera à des scènes tauromachiques travaillées sur la pierre lithographique, qui permet d’autres effets, d’autres noirs, d’autres textures. Entre 1816 et 1823, il renoue avec les caprices sous le titre de Disparates, caprices à la puissance dix. Les thèmes traditionnels sont traités avec encore plus de mystères, de fantastique. <o:p></o:p>

    En 1824, âgé de 78 ans, craignant pour sa sécurité, Goya s’exile en France et y finit sa vie discrètement. Ses Caprices ne l’ont pas attendu, ils ont franchi les Pyrénées dans les malles du baron Vivant-Denon et dans celles des officiers, et les romantiques en ont fait immédiatement leur miel : le Faust de Delacroix en porte la marque. Les écrivains s’y intéressent : Baudelaire les goûtent, Mérimée les juge déplaisantes.<o:p></o:p>

    Les Disparates ne sont publiés à Madrid qu’en 1854, Les Désastres qu’en 1863 : leur influence se fait sentir sur la seconde moitié du siècle. Les symbolistes apprécient les images sombres et débridées que Goya n’a dessinées que pour déplorer ce sommeil de la raison qui engendre des monstres, mais avec tant de force, tant d’imagination, que cauchemars et grotesques ont acquis, par son burin, des lettres de noblesse : des symbolistes secondaires s’en inspirent (M. Roux, F. Bulot, F. Chifflart), Odilon Redon publie six planches en hommage à Goya. L’exhumation du corps du peintre à Bordeaux en 1888 est en elle-même un disparate : la tête manque au squelette, vraisemblablement volée par un phrénologiste.<o:p></o:p>

    Dans un registre plus dramatique, Léopold Debrosses (1821-1900), lorsqu’il veut graver les horreurs du siège de Paris, se sert des Désastres (Paris et ses avant-postes pendant le siège de 1870-1871). Inégales eaux-fortes, parmi lesquelles on retient Les fosses de Champigny, digne des fosses madrilènes. Au XXe siècle, Paul Morand s’approprie Goya : chaque chapitre du Flagellant de Séville (1951) a pour titre celui d’une gravure, l’artiste lui-même est un des personnages secondaires, et l’écriture de certains chapitres se veut totalement picturale. L’action, située en Espagne au moment de l’occupation française de 1808-1810, permet d’évoquer des événements récents et douloureux (collaboration, résistance, épuration). Identification d’une œuvre à une autre, d’un créateur à un autre – Paul Morand est exilé en Suisse lorsqu’il écrit ce roman, et lui aussi a vu cela. Cette fécondité des gravures de Goya cent cinquante ans après montre combien elles étaient plus que des œuvres de circonstance.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Goya graveur,<o:p></o:p>

    jusqu’au 8 juin, Musée du Petit Palais<o:p></o:p>

    illustration : Goya, Tal para qual, Caprices © Petit Palais / Roger Viollet<o:p></o:p>


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  • Au musée Cernuschi<o:p></o:p>

    Bronzes du Luristan<o:p></o:p>

    Présent du 5 avril 08<o:p></o:p>

    A quatre cents kilomètres au nord est de Babylone (Présent du 29 mars) se trouve le Luristan, une des trente provinces de l’Iran actuel. Le décor change du tout au tout : à la plaine fertile de l’Euphrate s’opposent les vallées de la chaîne du Zagros, isolées les unes des autres ; à l’urbanisme, la vie semi-nomade ; aux témoins nombreux de l’ère babylonienne, la grande ignorance où nous sommes en ce qui concerne cette contrée, signalée à l’attention moderne dans les années trente quand en parvinrent des bronzes spécifiques. L’engouement que leur arrivée provoqua accéléra le pillage des tombes et encouragea la production de faux. Quelques campagnes archéologiques avant la guerre et surtout à partir des années soixante permirent de fixer des repères géographiques plus sûrs, d’exhumer des objets dûment référencés. La révolution de 1979 mit fin à la malsaine curiosité des Infidèles.<o:p></o:p>

    On ignore tout de la civilisation qui a produits ces objets. Tout au plus sait-on que – Luristan signifiant « terre des Lors » – le peuple des Lors s’installa dans la région au cours des IVe et IIIe millénaires, arrivant probablement de la mer Caspienne. Leur langue, le lori, encore parlée, est d’origine indo-européenne (branche indo-iranienne, comme les langues voisines persanes et kurdes).<o:p></o:p>

    A l’âge du bronze (3100 – 1300) comme à l’âge du fer (1300 – 650), des céramiques et des détails iconographiques montrent qu’il y eut des échanges avec la Mésopotamie au Nord, avec l’Elam au Sud. Quelle était la nature du lien des tribus avec les empires constitués ? Contrôle lointain de la puissance sur une région formant une marche ? Ou raids de montagnards sur la plaine qui, une fois repartis dans leurs montagnes, devenaient difficiles à attraper ?<o:p></o:p>

    L’essentiel des objets, bronzes et céramiques, provient de tombes. D’abord collectives, ce sont des fosses rectangulaires à parois de pierres, fermées par des dalles. Plus tard, les sépultures sont individuelles, sans orientation régulière ; le rectangulaire cède le pas à l’ovale ; elles sont parfois signalées, en surface, par des pierres disposées en cercle. Le site de Surkh Dum a livré les vestiges d’un sanctuaire, dans les murs duquel des dépôts votifs ont été retrouvés.<o:p></o:p>

    Les objets se classent en armes (poignards, lames de haches, manches d’aiguisoirs) ; en mors, qui nous rappellent que le cheval a été domestiqué en Mésopotamie dès la fin du IIIe millénaire ; en épingles à disque, lequel disque est orné ; en « idoles », terme retenue pour son étymologie, au sens large de figures, puisque leur usage n’est pas connu. L’idole du musée de Zürich (illustration) présente des signes de basse époque, excroissances en têtes d’oiseaux, motifs décoratifs sur la robe du personnage, les nombreux modèles s’étalant des plus simples et plus anciens aux plus récents et plus contournés. Celle-ci date de l’Age du fer II, c’est-à-dire 1000 – 800/750 av. J. C., dernière époque de la civilisation du Luristan, qui disparaît sans laisser plus de traces.<o:p></o:p>

    Les lames de haches valent soit par la pureté de leurs lignes, soit par leur décoration. Parfois la lame sort de la gueule d’un fauve, à la manière d’un engoulant. Le collet, du côté opposé à la lame, est souvent orné de quatre digitations, qui peuvent se transformer en têtes d’homme ou de sangliers.<o:p></o:p>

    Le bouquetin apparaît partout, et, moins nombreux, félins, lions, chevaux, serpents.<o:p></o:p>

    Une chimère fréquente : un être composite à tête androcéphale et corps de mammifère ailé. Antérieure aux figures néo-assyriennes du huitième siècle avant J. C., elle semble bien les annoncer. Ôtez-lui la coiffure cornue qu’elle porte, vous obtiendrez la chimère qu’on voit en nombre dans nos églises médiévales – je pense à particulier aux chapiteaux de la cathédrale de Viterbe.<o:p></o:p>

    Autre personnage « connu » : celui qu’on nomme dans l’art de ces contrées le maître des animaux, c’est-à-dire Gilgamesh, héros du IIIe millénaire, considéré comme probable prototype d’Hercule, mais la question est plus complexe : G. Dumézil a montré les points communs à l’Héraklès grec, au Starkadre scandinave, au Sisupâla indien. Ici, au Luristan, qui est-il ? On ne peut que constater la diffusion, et vraisemblablement l’adaptation à des cultures différentes, de ce motif de l’homme encadré de deux lions qu’il maîtrise, scène adoptée par les Chrétiens d’Asie (église d’Agthamar au bord du lac de Van, à 600 km au nord ouest du Luristan) et qu’on retrouvera si souvent dans l’art roman où il est interprété parfois comme Daniel dans la fosse aux lions, ce qui nous ramène à Babylone – Babylone, l’omnipotente et brillante voisine pour laquelle les rudes montagnards Lors devaient éprouver un mélange de mépris, de crainte et d’admiration.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Bronzes du Luristan, énigmes de l’Iran ancien, <o:p></o:p>

    jusqu’au 22 juin, Musée Cernuschi<o:p></o:p>

    illustration : Idole, bronze, H : 18,6 cm, Zürich, musée Rietberg<o:p></o:p>


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  • Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Babylone l’impérissable<o:p></o:p>

    Présent du 29 mars 08<o:p></o:p>

    Toutes les Babylone sont au Louvre : historiques, mythiques, symboliques. De la statue en diorite du roi sumérien Gudea aux aquarelles réalisées par les archéologues allemands sur le site avant la Première Guerre, quarante siècles passent.<o:p></o:p>

    Le premier chapitre de l’Histoire sainte de Daniel-Rops dresse un tableau synthétique de la situation en Mésopotamie au XVIIIe siècle, lorsqu’un nomade entreprit, pour des raisons religieuses en partie, de remonter le cours de l’Euphrate : il s’appelait Abram et n’était encore qu’un anonyme contemporain du puissant roi Hammourabi, lequel appartenait à une dynastie sémitique qui avait fait tomber l’emprise sumérienne sur la région tout en reprenant grand nombre de ses acquis « civilisationnels ».<o:p></o:p>

    Hammourabi unifia les cités éparses de Mésopotamie grâce à l’établissement du dieu Mardouk sur tous les autres et à la promulgation d’un code unique applicable à tout l’empire. La stèle où figure ce code, qui regroupe 280 articles de droit civil, pénal, administratif, est un pain de sucre, un menhir noir, irrégulier, où les cunéiformes qui le recouvrent dessinent comme une dentelle. Grand bâtisseur, Hammourabi donna à Babylone son rang de capitale, et plus : il la proclama centre du cosmos.<o:p></o:p>

    L’empire attira les convoitises des nombreux migrants qui convergeaient dans la région, sémites, asianiques ou indo-européens. Babylone vit passer des rois kassites, chaldéens, assyriens, sumériens, mais l’instabilité politique n’entrava pas la continuité de la culture babylonienne, et, quand l’Assyrie s’effondra, Babylone renaquît : Nabuchodonosor II lui donna sa seconde période de gloire (605 – 562). Il fut un autre Hammourabi, comme lui adorateur de Mardouk, guerrier et bâtisseur. Il édifia trois palais, protégea la ville avec cinq murailles, édifia la porte d’Ishtar, colossale porte de briques émaillées, ornées en relief de lions, dragons et taureaux qui impressionnent par leur qualité et la fraîcheur de leurs couleurs. Jérusalem, vassale rétive, fut prise en 598 et dut l’être de nouveau en 587 : le Temple fut alors détruit et la population déportée. Le psalmiste écrivit le triste et beau Super flumina Babylonis, le prophète Jérémie ses lamentations, tout en prophétisant la ruine future de Babylone.<o:p></o:p>

    En 539 les Perses prirent Babylone, qui passa au troisième siècle sous domination grecque. La culture babylonienne restait vivace : en l’an 0, des mages chaldéens suivent une étoile vers la Judée ; la dernière tablette cunéiforme est datée de 75 après Jésus Christ. A la même époque, elle est nommée dans l’Apocalypse « la grande prostituée ». Le mythe prend forme et s’instille lentement en Occident via la Bible et les historiens grecs.<o:p></o:p>

    Pour les Pères de l’Eglise, Babylone est l’image de la Rome païenne ; pour les Protestants, celle de la Rome papale – Luther considère la construction du nouveau Saint-Pierre comme un chantier orgueilleux, analogue à celui de la Tour de Babel. Dans les quatrains de Nostradamus, Babylone serait Paris, ville corrompue, réceptacle de vices. Au XXe siècle les Rastas considèrent leur situation analogue à celle des Juifs exilés, Babylone représente la civilisation blanche maudite par un Yahvé noir de peau.<o:p></o:p>

    La ville dans les manuscrits médiévaux est souvent représentée entourée d’un serpent, car on lit dans Daniel qu’un serpent vivant y était adoré, bestiole que le prophète fit crever en lui faisant ingérer d’indigestes boulettes. Les artistes ne la représentent pas autrement que sous l’aspect de la ville où ils vivent : elle est tour à tour une ville mozarabe, flamande, allemande ; la Tour est un donjon sur la terrasse duquel poussent deux arbres, idée que se fait l’artiste des jardins suspendus. <o:p></o:p>

    Des diverses peintures du XVIIe où figure la Tour, il n’y a guère que celle de Bruegel l’Ancien qui soit impressionnante : unique motif du tableau, elle écrase la terre sous elle, bouche l’horizon, arrête les nuées ; sa construction hélicoïdale la fait vaciller déjà, et ses couleurs nuancées jusqu’à un rouge brique infernal annoncent sa destruction. <o:p></o:p>

    Cependant Babylone sut aussi faire rêver l’Occident. Dans un roman du XIIe siècle, Floire et Blancheflor, histoire d’amour entre un prince Sarazin et une esclave chrétienne, Babylone est décrite dans toute sa splendeur, en particulier la tour la plus ancienne des sept cents que compte la ville, dite « Tour aux Pucelles » puisque les cent quarante jeunes femmes du harem royal y sont logées. Elle mesure 400 mètres de haut, est couverte de marbre vert. A son sommet brille une pierre précieuse qui suffit à éclairer la ville la nuit. A ses pieds s’étale un riche verger, traversé par l’Euphrate, « fleuve de Paradis »… <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Babylone,

    jusqu’au 2 juin, Musée du Louvre.<o:p></o:p>

    illustration : Bruegel l’Ancien, La petite tour, 1563 © Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam<o:p></o:p>


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