• Au Grand Palais<o:p></o:p>

    Courbet

    d’Ornans

    Présent du 3 novembre 07<o:p></o:p>

    Sous la Commune, nommé président de la Commission des artistes, Courbet mit les œuvres du Louvre ou de Sèvres à l’abri, fit protéger les monuments parisiens. Cependant le 16 mai 1871 la colonne Vendôme fut abattue, sans qu’on puisse démêler exactement la responsabilité de Courbet et celle de la Commune. <o:p></o:p>

    Jugé par un tribunal militaire pour ce fait précis, Courbet fut condamné à une peine très légère. Adolphe Thiers était président, or Courbet avait sauvé l’intégralité de sa collection d’objets d’art lorsque la Commune avait décidé la destruction de son hôtel. Sous le président suivant, Mac-Mahon, il fut décidé de rejuger Courbet, au civil cette fois. Ayant auparavant proposé de remonter la colonne à ses frais, une rodomontade parmi d’autres, il y fut condamné. La reconstruction fut estimée à un montant équivalent, au prix du marché, à quelques deux cents de ses tableaux. Ses biens furent saisis, l’artiste s’exila en Suisse.<o:p></o:p>

    La IIIe République fut donc cruelle à l’égard du républicain Courbet qui avait fait carrière sous un Second Empire favorable. La légende du Courbet révolté, révolutionnaire, n’a plus cours. L’excellente biographie de Michel Ragon (Fayard, 2004) montre comment Courbet se façonna une image d’homme en butte à l’hostilité du pouvoir alors que sa peinture était exposée, achetée. Les toiles qui furent refusées lors de différents Salons ne doivent pas faire oublier celles, plus nombreuses, qui étaient acceptées. <o:p></o:p>

    Exit la révolte. La culture n’ayant pas horreur du vide, l’exposition du Grand Palais essaye de nous refourguer du Courbet transgressif, terme jusque là réservé aux seuls, mais à tous, artistes contemporains. Parlez-en à votre cheval : la tradition, avec laquelle Courbet entretient d’une manière générale « un rapport transgressif », est « transgressée » quand il peint des nus, tout comme il prend « une voie transgressive » avec la représentation historique. Cette cacologie n’est pas grave, car ce n’est pas Courbet qui est ridiculisé, mais elle est significative.<o:p></o:p>

    Cent vingt peintures permettent de saisir les qualités et les défauts d’une peinture inégale. L’inégalité étonne tant, qu’il faut bien en chercher les causes. Courbet est bon, est lui-même, lorsqu’il est proche du sujet. Cette proximité s’entend aussi bien pour les paysages que pour les portraits, à commencer par les autoportraits, genre qu’il a beaucoup pratiqué dans sa jeunesse, et avec quelle aisance, qu’ils soient « au chien noir », « à la pipe », « à la ceinture de cuir » ou sous forme de L’homme blessé (illustration). Ils ont comme autre qualité d’être dénués du contentement de soi et de la fatuité que l’artiste a manifestés de façon outrée par ailleurs, et annoncent les excellents portraits d’amis qui suivront, que ce soit les amis politiques ou les amis d’Ornans. Il y eut des femmes dans la vie de Courbet, mais elles ne comptèrent pas autant que les amis, que ses sœurs, que sa vallée de la Loue.<o:p></o:p>

    Un enterrement à Ornans, malgré ses 7 mètres sur 4 environ, est encore une toile de proximité, frontale par la composition, régionale par les personnages : les gens d’Ornans posèrent, et ceux qui ne posèrent pas furent vexés. Le tollé que suscita cette toile au Salon de 1850, pour laquelle on parla de réalisme ou de socialisme, vint d’abord de l’audace consistant à présenter aux Parisiens une scène de la vie de province sans les travestissements imposés par la hiérarchie des genres. <o:p></o:p>

    Pour les paysages d’Ornans, la proximité affective ne suffit plus. Les horizons lointains, la luminosité ne lui réussissent guère. Toiles maladroites, presque d’amateur parfois ! La proximité spatiale est nécessaire, et la pénombre aussi : voyez les trois toiles du Ruisseau Puits-Noir, dont aucune reproduction ne rendra la subtilité. Le peintre n’est plus à l’extérieur du motif, il est dans le sous-bois, la lumière joue sur la roche, l’eau, le feuillage. Proximité et pénombre lui sont propices : Le combat de cerfs dans la forêt est supérieur à L’hallali du cerf dans la neige aveuglante, dure ; le nu de La source a un moelleux que les autres nus n’ont pas, trop crus de tons. L’artiste est à l’aise en maniant les couleurs terre mais joue faux quand il cherche à éclaircir sa palette pour la moderniser : Les demoiselles des bords de Seine ou les Trois Anglaises à la fenêtre sont désaccordées.<o:p></o:p>

    On peut chanter le peintre socialiste, analyser Un enterrement à Ornans et L’atelier comme des compositions d’inspiration maçonnique, pousser des cris lacaniens devant la stupide Origine du monde (dont le titre, tout de même, est apocryphe), mais on peut aussi considérer Gustave Courbet comme un peintre de l’attachement au sol natal, à ses habitants, à la famille, un peintre de la petite patrie.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Gustave Courbet, jusqu’au 28 janvier 2008,<o:p></o:p>

    Galeries nationales du Grand Palais<o:p></o:p>

    illustration : L’homme blessé, musée d Orsay © Rmn / H. Lewandowski<o:p></o:p>


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  • Au musée Picasso<o:p></o:p>

    Picasso

    Maître cube<o:p></o:p>

    Présent du 27 octobre 07<o:p></o:p>

    Le Musée Picasso revient sur la période cubiste du peintre, sans conteste la plus représentative de toutes, la plus populaire : la peinture n’est plus vraiment figurative, ce qui permet à tout lambda d’éprouver le frisson de la modernité, mais sans inquiétude puisque, solidement béquillée par la géométrie, elle garde un aspect rationnel, lequel aspect est renforcé par un habillage scientifique : la découpe de la période 1906-1923 en sous-périodes aboutit à y distinguer des cubismes ibérique, africain, synthétique, rococo, décoratif… Découpé en petits dés, le cubisme est-il plus digeste ?<o:p></o:p>

    L’évolution de Picasso a trouvé son point de départ dans les primitifs océaniens, africains, byzantins, et chez Cézanne et Gauguin. En retour on fait volontiers de ceux-ci et des artistes exogènes les suppôts de la modernité révolutionnaire. Vision erronée, car les arts primitifs ne sont pas révolutionnaires, ils sont l’expression de croyances et de piétés, pleinement impliqués dans leur société, et donc, du point de vue de la fonction, identiques à ce qu’a été l’art en Europe ou en Asie. Cézanne et Gauguin ne sont pas plus révolutionnaires. Christine Sourgins les a, dans son livre sur l’art contemporain, assimilés aux artistes d’avant-garde mais ils furent des réformateurs, la nuance est d’importance – on doit à Henri Charlier de l’avoir exactement formulée.<o:p></o:p>

    De la force religieuse et plastique de ses modèles, on constate aisément d’ailleurs que Picasso n’a pas retrouvé grand-chose, ou rien gardé. Récupérateur, il est toujours inférieur à sa source d’inspiration. Qu’il regarde Gauguin, Cézanne ou des idoles, il ne produit que des simulacra : des apparences et de fausses idoles. L’aspect est repris, mais sans qu’un quelconque soupçon de l’intériorité de l’original n’apparaisse. N’est-ce pas le drame de Picasso que de n’avoir jamais rien exprimé de profond, qu’il n’ait rien eu à dire ou qu’il ne s’en soit pas soucié ?<o:p></o:p>

    Picasso avait du talent et de la technique. Il maîtrisait la composition, c’est un acquis de la peinture qu’il n’a jamais essayé de subvertir, voulant rester regardable. En matière de couleur, ses harmonies sont souvent séduisantes. Mais il semble que ces moyens n’aient servi à rien. Cette impuissance s’observe dès ses toiles académiques – abominablement académiques –, d’une technique très poussée alors qu’il n’a qu’une quinzaine d’années (années 1895) : La première communion est un tableau sentimental, Sciences et charité, un tableau à la Greuze. Il rompra avec la vision académique, mais sans trouver pour autant le secret de la forme. Il n’aura jamais qu’une approche extérieure du monde. De là, peut-être, cette appétence frénétique à triturer les apparences pour en percer le mystère, que ce soit à la manière cubiste où la géométrie guide les recherches et les bride fatalement puisque la Création n’y est pas réductible, ou à la manière postérieure, quand, ayant constaté l’impuissance de la raison, il débraye et part en roues libres. <o:p></o:p>

    Ce goût de la déconstruction et de la reconstruction, qu’on saisit dans les esquisses, les étapes intermédiaires et les tableaux achevés, ce refus de l’inspiration, qui aboutissent à des œuvres sans profondeur, nous ramènent à Arcimboldo (Présent du 13 oct.). Apollinaire, qui se prit d’amour pour le cubisme (ses articles lyriques sur le sujet font de la peine), avait lui aussi un côté maniériste, qui éclate dans ces jeux de lettrés que sont les calligrammes. <o:p></o:p>

    Certains artistes ne se sont jamais remis du cubisme, comme Albert Gleizes. Il écrivit un traité Du Cubisme et des moyens de le comprendre (1920 – le titre est déjà un aveu), qui comporte des aperçus de bons sens sur la peinture et des énormités sur l’époque « régénératrice » qu’il pensait vivre. Dom Angelico Surchamp et ses frères de l’Atelier de la Pierre-qui-Vire se sont obstinés à peindre des compositions religieuses cubistes fades et insanes jusqu’aux années quatre-vingt-dix. <o:p></o:p>

    Les tout-cubistes sont restés minoritaires. La page a été vite tournée, à commencer par Picasso lui-même. Cependant l’art moderne est fondé sur la révolution cubiste, comme l’a dit des Demoiselles d’Avignon John Richardson : « détonateur principal du mouvement moderne, clef de voûte de l’art au vingtième siècle », sans qu’on puisse engager la responsabilité, je le répète, des arts primitifs, ni celle des réformateurs de la fin du dix-neuvième. De l’impuissance à exprimer l’intériorité, l’art a évolué vers la haine de l’intériorité. L’art moderne est un iconoclasme dans la mesure où il refuse la contemplation. Le musée Picasso, en s’intéressant d’aussi près au cubisme, nous permet de saisir ce moment si important pour la compréhension du non-art du XXe siècle.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Picasso cubiste<o:p></o:p>

    jusqu’au 7 janvier 2008, Musée Picasso<o:p></o:p>

    illustration : Guitare et Mandoline sur cheminée (1915), The Metropolitan Museum of Art, New York © Succession Picasso 2007<o:p></o:p>


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  • Au Musée du Luxembourg<o:p></o:p>

    Arcimboldo,

    ingéniosité

    et maniera<o:p></o:p>

    Présent du 20 octobre 2007<o:p></o:p>

    « Arcimboldo ? Oh, celui-là, avec ses légumes ! » me disait récemment une amie italienne. Il est sûr que ses tableaux vus partout sont devenus indigestes. Les discours extravagants ont contribué à en dégoûter : Roland Barthes s’en est donné à cœur joie sur ce peintre, avec l’aisance qu’on lui connaît à l’analyse invérifiable. L’exposition du Luxembourg, elle, présente toiles et dessins de Giuseppe Arcimboldo (1526-1593) au milieu d’objets tirés du Kunstkammer de Vienne : des moulages sur nature (tourteau en bronze), parfois curieusement associés (une lampe à huile constituée d’un coquillage sur une patte d’aigle), un œuf d’autruche monté en coupe, etc., où se reconnaît le goût pour la merveille, maître mot du maniérisme, courant européen auquel appartient ce peintre et qui l’explique.<o:p></o:p>

    Les artistes postérieurs aux grands Renaissants, lassés de trop de sublime, se laissent aller à ébahir le public dans le but de réveiller des sens épuisés. L’inattendu, le hors norme, l’énigmatique, tout doit piquer la curiosité. La littérature emploie la périphrase et l’oxymore. La peinture cultive l’allégorie, l’emblème. L’architecture se décore sans repos, use du trompe-l’œil et de la mise en abîme.<o:p></o:p>

    Ovide est l’écrivain de cette période qui aime les travestissements et les métamorphoses, surprises que fait la nature, nature avec laquelle le maniérisme va jouer abondamment : grottes artificielles et jeux d’eaux perfectionnés enrichissent les jardins. Les formes de la flore et de la faune intéressent pour elles-mêmes, et c’est la naissance des planches naturalistes qui représentent l’animal sans prétexte narratif, la création des Cabinets des merveilles où sont rassemblées toutes les bizarreries et monstruosités de la nature. Ambroise Paré écrit en 1573 Des monstres et prodiges, manuel de tératologie. En 1560 Pierre Boaistuau avait publié Histoires prodigieuses les plus mémorables qui aient été observées, compilation dans le goût du temps.<o:p></o:p>

    Les automates, autre façon d’imiter la nature, se répandent. L’amour du mécanisme se retrouve au théâtre : machineries et décors se développent, tout peut apparaître sur scène, s’y transformer, en disparaître. Les artistes sont de formidables artisans, de véritables ingénieurs, mais s’opère alors la distinction entre artistes et artisans : l’artiste doit se distinguer du simple ouvrier par son ingéniosité, équivalent du mot médiéval engin qui désigne à la fois l’habileté et la ruse, faculté brillante, d’un autre ordre que le talent et la créativité. L’art maniériste restera un art de fête et de cour : l’émerveillement du convive est le gage de la grandeur du souverain.<o:p></o:p>

    Arcimboldo, fils d’un artiste qui travailla au dôme de la cathédrale de Milan, commença par réaliser des fresques, des cartons de vitraux et de tapisseries. D’une de ces tapisseries, La Dormition de la Vierge, plus que la scène centrale, on remarque le décor qui forme cadre, constitué de mascarons, de guirlandes et de fruits, motifs qui annoncent l’activité maniériste de l’artiste à la cour viennoise des Habsbourg de 1562 à 1587. <o:p></o:p>

    Pour cette cour il peignit les sérieux portraits des filles de Ferdinand 1er. Attribués sans certitude, ils sont convenus et répétitifs. Sa production en matière de fêtes est moins connue et pour cause : elle consistait en éphémères réalisations. Il reste un album de projets de costumes, décors et accessoires, offert à Rodolphe II en 1585, et des témoignages. <o:p></o:p>

    Les planches à l’aquarelle représentant un faucon et un céphalophe sont, on l’a dit, typiques du maniérisme, ainsi que la série des beaux dessins sur la sériciculture (encre et lavis bleus), projet de décoration murale, qui illustrent l’intérêt pour l’association de l’art et de la nature – l’homme et l’animal mettant en commun leur savoir-faire.<o:p></o:p>

    Les portraits « déguisés » firent sa gloire à Vienne et dans le monde. Les Saisons, les Eléments, les Métiers sont basés sur la surprise de la métamorphose. Mais c’est une construction démontable : il n’y a nulle spontanéité, nulle profondeur. Roger Caillois emploie avec raison, au sujet de ces tableaux, les mots de procédé, de stratagème, de prouesse conventionnelle et mécanique. (Cohérences aventureuses, 1976) Les trois portraits réversibles sont d’un ressort analogue. La nature morte devient un visage (illustration ; retournez votre journal), et après ? Equivalent d’un palindrome où le double sens de lecture prime le sens des phrases, le tableau n’est finalement ni un portrait ni une nature morte.<o:p></o:p>

    Replacées dans le contexte du maniérisme européen, les œuvres d’Arcimboldo gagnent en lisibilité et, déchéance pour un maniériste ! surprennent beaucoup moins.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Arcimboldo (1526-1593), <o:p></o:p>

    jusqu’au 13 janvier 2008, Musée du Luxembourg<o:p></o:p>

    illustration : G. Arcimboldo, Nature morte / L’Homme potager, Crémone, Museo Civico Ala Ponzone<o:p></o:p>


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  • A la Monnaie de Paris<o:p></o:p>

    L’or

    de la Colchide<o:p></o:p>

    Présent du 6 octobre 07<o:p></o:p>

    L’expédition de Jason et des Argonautes en Colchide pour en rapporter la Toison d’Or est connue de chacun dans ses grandes lignes, mais les mythes grecs sont plus compliqués que la version scolaire qui laisse de côté épisodes obscurs et variantes. A l’époque d’Hérodote, le récit de l’aller était presque fixé, mais pas encore celui du retour.<o:p></o:p>

    Selon Robert Graves, la complexité du récit de la Toison d’Or s’explique par la fonte, en un seul récit, de deux histoires de voyage : celle d’une quête de l’ambre du côté de l’Adriatique et celle d’une quête de l’or en Colchide, voyages à situer avant la Guerre de Troie, vers le XIIIe siècle avant J. C. D’autres éléments s’y sont greffés, comme les épreuves imposées au héros qui prétend à la main d’une fille de roi, comme le cycle de Médée, que ses philtres et son chaudron de rajeunissement rapprochent des mythes celtes.<o:p></o:p>

    Ce mythe peut se lire comme un récit zodiacal – mais est-ce la trame d’origine, ou le résultat d’une reconstruction ? Les psychanalystes, jamais en reste, y voient des symboles, archétypaux bien sûr, « un périple fantasmatique » à la recherche « du lieu interdit et primordial de l’engendrement »… Cela au mépris d’auteurs grecs (Strabon, Appien) qui avaient noté les éléments vérifiables du mythe, à savoir que, en Colchide, les indigènes ramassaient l’or du fleuve Phase en y tendant des peaux de bêtes. Cet usage s’est pratiqué jusqu’au XXe siècle.<o:p></o:p>

    Les fouilles réalisées depuis cent ans en Géorgie (ex-Colchide, ex-Ibérie, entre Caucase et Arménie), au bord de la mer Noire, ont mis au jour de merveilleux bijoux en or, particulièrement dans la cité sanctuaire de Vani où, entre le VIIIe et le Ier siècle, furent ensevelis des guerriers, des aristocrates et des prêtres. Certaines pièces ont été exhumées tout récemment : la tombe 24, où fut enseveli un noble avec ses serviteurs et plus de mille objets d’or, a été fouillée en 2004.<o:p></o:p>

    Les bijoux se déclinent en diadèmes, bracelets, boucles d’oreilles, broches, pendentifs, boutons, affiquets et parures diverses. Ils se caractérisent par un riche décor animal et ornemental.<o:p></o:p>

    Les motifs ornementaux sont variés : rosettes à neuf pétales, spirales, volutes (illustration), svastikas dextro- ou lévogyres, etc. Au rayon animalerie, nous avons un aigle éployé sur une bague, une série de cent à cent vingt oiseaux à coudre sur un vêtement (on distingue trois trous percés à cet effet), un collier avec trente et une tortues, un sommet de coiffe compliqué : le motif principal, répété des deux côtés, est un cerf entouré de trois biches, le tout surmonté de lions et de rangs d’oiseaux. Le métal est ajouré, et de minuscules billes d’or donnent du relief à l’ensemble.<o:p></o:p>

    Deux diadèmes tirés de la tombe d’une noble dame mériteraient à eux seuls une longue étude. Leur décor est superbe : lion contre taureau, lionne contre sanglier… Ils sortent du même atelier. Sur une belle torsade sont fixés deux losanges coupés chacun en deux registres dans le sens de la grande diagonale, les motifs des registres d’un même losange étant symétriques. Trois losanges utilisent la symétrie axiale, en miroir – une symétrie naturelle –, alors qu’un quatrième est basé sur une symétrie centrale, plus complexe. <o:p></o:p>

    D’autres motifs sont obscurs : un cavalier sur un char que les archéologues analysent comme une référence au culte de la Grande Mère des dieux, ou cette étonnante composition d’un cavalier casqué à cheval suivi d’un oiseau lui-même suivi d’un oison, ornement en quatorze exemplaires.<o:p></o:p>

    Une autre caractéristique de bijoux de la Colchide : la répartition équilibrée, pour un même bijou, du décor et du métal nu. Le plaisir de l’œil et son repos ont été pensés, ce qui n’est pas un mince mérite. C’est une marque de raffinement certain que de laisser brut une partie du métal : la partie ornée n’en ressort que mieux. Ce sens du décor apparaît en particulier dans les bracelets ouverts : chaque extrémité est décorée d’une tête animale tandis que le corps du bijou reste nu – affrontement et symétrie, l’universel moyen décoratif.<o:p></o:p>

    Les échanges avec les cultures scythe, perse et grecque, sont devinables ou explicites (par exemple la tombe du guerrier Dédatos, de la fin du IVe siècle av. J. C., contenait une armure de style grec et une monnaie grecque), mais ces bijoux montrent l’originalité et la qualité d’un art typiquement colchidien en matière de métallurgie et d’orfèvrerie (par repoussage ou à cire perdue), ainsi que dans le domaine de l’ornement, qu’il soit basé sur l’observation de la nature ou sur la réflexion géométrique.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’or de la Toison d’or – Trésors de Géorgie, jusqu’au 7 novembre, <o:p></o:p>

    La Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, Paris VIe<o:p></o:p>

    illustration : Bijoux angulaire avec 68 pendentifs à volutes <o:p></o:p>

    © Musée Nat. de Géorgie Tbilisi<o:p></o:p>


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  • Patrimoine<o:p></o:p>

    Réouverture du Musée des Monuments français<o:p></o:p>

    Présent du 29 septembre 07<o:p></o:p>

    Rebaptisé Galerie des Moulages, le Musée des Monuments français fermé en 1997 est de nouveau accessible au public depuis le 15 septembre, week-end du patrimoine, et c’est bien de patrimoine qu’il s’agit.<o:p></o:p>

    La Cité de l’Architecture et du Patrimoine regroupe désormais au Trocadéro l’Institut français d’architecture, l’école de Chaillot (formation de restaurateurs, d’architectes) et ce musée du patrimoine architectural et statuaire du XIIe siècle à nos jours, dont la Galerie des Moulages, consacrée aux XIIe – XVIe, est la fleur des pois.<o:p></o:p>

    Le premier musée des monuments français remonte à la Révolution. Alexandre Lenoir (1761-1839), choqué par l’iconoclasme révolutionnaire et la disparition d’œuvres d’art qu’allait provoquer la vente des biens d’Eglise aux particuliers, obtint d’être mandaté par la Constituante en 1791 pour sauver tout ce qu’il pourrait de la destruction et de la dispersion. Il ouvrit, dans l’actuelle Ecole des Beaux Arts, le Musée des Monuments français en 1795 mais dut sous la Restauration restituer l’essentiel des œuvres aux propriétaires. Non sans déchirement, suppose-t-on, il s’en était si pieusement occupé. Le peu qui ne fut pas récupéré fut distribué entre le musée de Versailles et le Louvre.<o:p></o:p>

    Alors que l’art médiéval était depuis longtemps déconsidéré, les Révolutionnaires l’avaient pris au sérieux, comme auparavant les Réformés, déjà casseurs. Une seule tête demeure au portail de Charlieu, et souvenons-nous des trois tympans de Notre-Dame de Dijon totalement bûchés pas un apothicaire farouche en 1793. C’était reconnaître à cet art sa signification religieuse et sa beauté sacrée, insupportable pour des esprits bas. Le clergé du XVIIIe ne lui avait témoigné que du mépris : le tympan d’Autun, jugé barbare, fut noyé dans le plâtre en 1766, et ne revit la lumière qu’en 1837 ; en l’occurrence cela le préserva, mais la tête du Christ manquait quand on déplâtra. Nous parlions il y a deux semaines d’une divinité khmère privée de sa tête pendant soixante-dix ans ; le Christ d’Autun ne retrouva la sienne qu’en 1948. <o:p></o:p>

    Le geste d’Alexandre Lenoir marque le début de l’intérêt pour le moyen âge. Il fallut cette déplorable occasion des destructions révolutionnaires pour qu’un homme prît conscience de l’existence de ce patrimoine artistique et religieux. Au fil du XIXe siècle, l’intérêt allait devenir une science grâce à Prosper Mérimée, Alexandre du Sommerard, etc., et principalement Viollet-Le Duc (1814-1879).<o:p></o:p>

    C’est à lui, Viollet-Le Duc, qu’on doit le second musée des monuments français. Développant l’idée d’Alexandre Lenoir, il conçut le projet d’un musée de sculpture comparée. Ce qui restait du premier musée fut rassemblé au Palais du Trocadéro, et – là résidait l’idée géniale de Viollet-Leduc – des campagnes de moulages furent réalisées sur les bâtiments civils et religieux de manière à rassembler des reproductions grandeur nature de sculptures et, magnifique ambition, de portails d’églises entiers.<o:p></o:p>

    Un mot simple comme « moulage » ne doit pas induire en erreur : la technique du moulage est un métier à part entière. Les lectrices qui ont peiné à démouler un kouglof comprendront la prouesse que représente le moulage d’un portail sculpté.<o:p></o:p>

    Dans la nouvelle disposition, aérée, de la Galerie, le roman est classé par régions, le gothique par périodes. Quelques éléments d’architecture civile et militaire, un peu de Renaissance, mais la part la plus importante est médiévale. D’un tympan sculpté, on apprécie l’ensemble puis les détails : celui de Conques où figure pour la première fois le Jugement dernier, celui de Vézelay avec ses êtres étranges (à un pied, à grandes oreilles, à tête de chien) qui sont les peuples lointains appelés au Salut. Dans la grande composition du tympan de Neuilly-en-Donjon (Allier), on remarque la Madeleine essuyant les pieds de Notre Seigneur. <o:p></o:p>

    Le portail gothique de Rouen raconte l’histoire du Baptiste. Salomé dansant est représentée dans la pose donnée habituellement aux acrobates. Elle est bien plus gracieuse sur les chapiteaux toulousains : elle esquisse un pas de danse tandis qu’Hérode lui tient le menton. <o:p></o:p>

    Saint-Gilles, la Porte Miégeville, Saintes, Moissac… Cet art qui allie souvent, sans effort, l’appétit théologique au plaisir de raconter une histoire a beaucoup à nous apprendre. Je ne crois pas m’être trompé en lisant dans les yeux des visiteurs un émerveillement, voire une certaine sidération : la Galerie de moulages manifeste le christianisme de la France et la grandeur de son art, au rebours des déni & dénigrement ordinaires. M. Chirac pourrait venir y méditer sur la nature de nos racines. Au-delà de l’aspect culturel, l’art médiéval, même détaché de son sanctuaire, reste d’une telle force que sa dimension sacrée n’en est pas diminuée : son efficacité est intacte.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Cité de l’architecture et du patrimoine, 1 place du Trocadéro, Paris XVIe<o:p> </o:p>

    illustration : Au fond, moulage du portail de Vézelay ; sur la droite, moulages du portail de l’église Saint-Lazare, Avalon © Cité de l’architecture & du patrimoine/Nicolas Borel

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