• Au musée Carnavalet<o:p></o:p>

    Les gris de Paris<o:p></o:p>

    Présent du 12 janvier 08<o:p></o:p>

    Parcourant les rues de la capitale, Des Esseintes était assailli par « l’aversion du ciel en boue jaune, des nuages en macadam ». Cette seule remarque aurait suffi à me rendre le héros de A rebours, et son auteur, antipathiques. Primo, il m’a toujours paru curieux de laisser son humeur se dégrader à mesure qu’épaississent les nuages : une humeur hydrosoluble, ce n’est pas très sérieux. Mais on vit l’époque du tout-soleil ; bientôt des associations réclameront le droit opposable à l’ensoleillement, des comédiens se déplaceront pour soutenir les populations des régions pluvieuses. <o:p></o:p>

    Deuzio, la sensibilité d’artiste de Jean des E. et de Joris-Karl H., rétive aux gris de Paris, s’avère de carton, raffinement décadent de toc. J’écoutais il y a peu un « peintre spécialiste du symbolisme des couleurs » – l’homme était ainsi présenté – qui expliquait aux auditeurs que le gris, mélange de noir et de blanc, est une couleur neutre. Quel genre de peintre est-ce pour avoir l’idée de mélanger du noir et du blanc, idée aussi théorique qu’est faible son symbolisme à la noix ? Dans la réalité, qui est aussi celle de la palette, tous les gris sont à base de couleur, et tous sont colorés. Les ciels les plus plombés, de Paris ou d’ailleurs, sont dignes d’intérêt, plus riches que bien des ciels bleus.<o:p></o:p>

    Long préambule à la trentaine d’œuvres de Pierre-Jacques Pelletier (1867-1931) exposée au musée Carnavalet, peintre et pastelliste qui a goûté et rendu toutes les nuances des gris de Paris. Installé à Montmartre, il en est souvent descendu pour travailler sur les quais, qu’ils soient d’Austerlitz, des Grands Augustins, de la Râpée, Henri IV, de la Tournelle… là où les eaux et les ciels rivalisent de reflets. Même sur la Butte il cherche l’eau : tel pastel de la rue Norvins montre un pavé mouillé qui est autant un ruisseau. <o:p></o:p>

    Pastelliste supérieur, il l’est par sa touche légère, appuyée quand il faut souligner un détail qui anime et permet d’identifier les masses (immeubles, péniches…). Les compositions sont structurées, dans de rares cas les lignes se fondent totalement : Le pont d’Austerlitz vu du quai de la Râpée où eau, neige, ciel, bâtiments lointains se déclinent en gris frais et subtils, que renforcent le noir des troncs et le brun foncé d’une péniche. D’ordinaire les ponts affirment leurs lignes : un fusain aquarellé représente le Pont Marie avec la légèreté qui sied à l’un des plus beaux ponts de Paris, aux cinq arches dissemblables.<o:p></o:p>

    Artiste de race (oups !), P.-J. Pelletier s’est formé auprès de Charles Beauverie (1839-1923), élève de l’Ecole Impériale des Beaux-Arts de Lyon, paysagiste qui a travaillé dans la forêt de Fontainebleau et sur les bords de l’Oise, et qui s’est trouvé un maître en la personne de Charles Daubigny (1817-1878), paysagiste qui n’est plus guère qu’un nom, lui nourri de Corot et de Courbet, au contact duquel Cézanne, Manet affinèrent leur vision de la peinture telle qu’ils la voulaient rénover. <o:p></o:p>

    Pelletier est donc un petit-fils de l’Ecole de Barbizon, un neveu des Impressionnistes. Bon exemple de l’importance des filiations artistiques, de la transmission du métier (l’œil et la main) – être un maillon de la chaîne, disait à peu près Cézanne. Cela n’a jamais empêché les personnalités de se développer, et semble même nécessaire à leur développement : on constate la stérilité générale des arts, la domestication des talents depuis que chacun a cru trouver en soi-même son propre maître. <o:p></o:p>

    Les temps gris, pluvieux, neigeux, ceux que craignent les héliomanes, faisaient donc sortir Pelletier de l’atelier. Voici une très belle vue du canal Saint-Martin au niveau du quai de Valmy enneigé ; une jolie lumière sur le pont des Arts et les guichets du Carrousel ; le quai des Célestins (illustration), enneigé aussi, où se devine un peu de ciel bleu. Car le ciel d’après la pluie, le premier soleil qui joue dans des traînées de nuages est une autre magie de Paris que l’artiste ne pouvait dédaigner. <o:p></o:p>

    Ce goût pour les variations de luminosité apparaît dans les études d’un même lieu sous deux ambiances : l’Impasse Albert Lécuyer (Saint-Ouen) vue dans la journée puis au soleil couchant ; deux vues de Saint-Ouen par ciel gris et dans les brumes.<o:p></o:p>

    P.-J. Pelletier a mené une carrière discrète, exposant très régulièrement au Salon des Artistes français et aux Indépendants. Il laisse une œuvre qui mérite notre respect. Dans ses paysages, l’homme est absent, ou n’est que silhouette. Cela pourrait donner des décors de théâtre, vides, déserts, où on a l’impression, comme disait un vieux manuel de peinture, que la peste est passée par là ; mais on y sent tellement l’intensité et la sensibilité du regard de l’artiste que ces paysages sont pleins d’humanité.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les nuances de Paris, Pierre-Jacques Pelletier, <o:p></o:p>

    jusqu’au 16 mars, Musée Carnavalet<o:p></o:p>

    illustration : Quai des Célestins, pastel, coll. privée © Nicole Reinhardt<o:p></o:p>


    1 commentaire
  • Au musée Delacroix<o:p></o:p>

    Une jeunesse romantique<o:p></o:p>

    Présent du 5 janvier 08<o:p></o:p>

    La mort, la mésentente : Eugène Delacroix a tôt vu sa famille se désagréger. L’amitié n’en a que plus compté. Ses amis de jeunesse seront ceux de sa maturité, ceux rencontrés plus tard seront tout autant à l’image du peintre : probes, fidèles, exigeants. Ces compagnons et amis des années 1822-1830 sont à l’honneur dans une exposition fort bien ficelée.<o:p></o:p>

    Les lettres de Delacroix adolescent, son journal de jeune homme tenu entre 1822 et 1824 reflètent le romantisme ambiant. Il aime fréquenter l’église à moitié ruinée de l’abbaye de Valmont, où chantent la chouette et le vent ; de passage chez son frère en Touraine près de Montbazon, il médite auprès de l’étang sous la pleine lune. Nulle pose cependant : Delacroix réfléchit sur son métier, sur les gens. Nature droite, il ne se charge d’aucune chimère. <o:p></o:p>

    La rectitude de sa vocation, son travail persévérant tranchent avec son indécision sentimentale. Il s’éprend de Lisette, qui ravaude les chemises, soupire après Sidonie, la camériste de Mme de Puységur, espère de Fanny, sa grisette de voisine ; écrit à une certaine J., confie ses déboires à son journal quand il n’a pu voir Mme de Conflans sans son mari.<o:p></o:p>

    Delacroix se lie avec de nombreux artistes qui deviennent des amis : Paul Huet, paysagiste de qualité (Intérieur de la forêt de Compiègne, Vue de la vallée de Coucy), Antoine-Louis Barye avec qui il dessine au Jardin des Plantes, tous deux font même des croquis anatomiques lors de la dissection d’un lion ; il se plaît en compagnie d’Anglais, Bonington à qui on doit des scènes où prime le pittoresque (François 1er et la duchesse d’Etampes, Anne d’Autriche et Mazarin), les frères Fielding. Fréquentations qui renforcent son anglomanie, née de l’apprentissage de l’aquarelle, technique encore peu répandue en France, et de la langue grâce à son ami J.-B. Soulier, ainsi que de la lecture assidue de Byron, Walter Scott et Shakespeare. Si Dante est une référence pour le peintre, qui goûte la profondeur de vue et la hauteur de son imagination, la littérature du Nord l’attire décidément. Il y trouve l’inspiration pour des pochades (Autoportrait en Hamlet), de grandes toiles (Dante et Virgile), illustre le Faust de Goethe, dessine les costumes pour l’adaptation, par Victor Hugo, d’une pièce de Scott (Amy Robsart). <o:p></o:p>

    L’influence de Constable fut décisive : ayant vu de ses paysages chez un marchand parisien, Delacroix, touché par le rendu de la lumière, modifia in extremis le ciel des Scènes des massacres de Scio qu’il s’apprêtait à exposer au Salon (1824). Ce premier chef-d’œuvre fit de lui le maître de la jeune peinture romantique, le remplaçant de Géricault décédé l’année précédente des suites d’une chute de cheval alors qu’il jouissait déjà d’une admiration unanime. Les liens entre Géricault et Delacroix furent plus professionnels qu’intimes. Ils s’étaient rencontrés dans l’atelier de Guérin. Delacroix avait posé pour un des personnages du Radeau de la Méduse, dont on voit ici une esquisse. Il avait servi de nègre pour peindre une Vierge du Sacré-Cœur qui ennuyait Géricault et qui, au vu des nombreuses esquisses, ennuya aussi Delacroix. Prévu pour la cathédrale de Nantes, le tableau aboutit dans celle d’Ajaccio. Lors de la vente après décès du fonds d’atelier de Géricault, Delacroix désargenté acheva de se ruiner pour acheter divers dessins et lithographies. <o:p></o:p>

    Le manque d’argent empêcha Delacroix de faire le traditionnel voyage d’Italie. Il fit celui d’Angleterre en 1825. Reçu par ses amis, il rencontra également les peintres Thomas Lawrence (le plein d’aisance Portrait de Charles William Bell), William Etty (remarquable Femme nue vue de dos). Il y apprit l’utilisation du vernis de copal qui fluidifie l’huile, ce qui lui permit de pousser sa recherche d’une touche toujours plus expressive.<o:p></o:p>

    L’incertitude de la vie de bohème céda peu à peu la place à la régularité d’une vie de labeur assurée par les commandes. Sa fréquentation du salon du peintre & baron Gérard lui fit rencontrer Thiers, Mérimée, Stendhal, protections utiles pour sa carrière. On pense que le soutien de Talleyrand, son éventuel père, fut aussi pour quelque chose dans les premières commandes officielles. Mais il y eut toujours un parti d’anti-Delacroix, composés de ceux qui appréciaient la facture ingresque. Trente années plus tard, quand la maturité sera là, et les rivalités, et les défaillances de la santé, Delacroix se réfèrera aux années dix-huit cent vingt comme aux années d’une joie de vivre sans mélange, dont témoigne tel lavis négligemment peint lors d’un réveillon (illustration) : une guitare, de la boisson, des amis au coin du feu, une scène tout droit sortie d’un conte d’Hoffmann où des jeunes gens épris d’art dissertent autour d’un punch brûlant.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Delacroix et les compagnons de sa jeunesse, <o:p></o:p>

    jusqu’au 25 février, Musée Eugène Delacroix<o:p></o:p>

    Illustration : Réveillon de Saint-Sylvestre, lavis, DR.


    Voir également


    votre commentaire
  • Au Muséum d’Histoire naturelle<o:p></o:p>

    Créatures & bestioles des abysses<o:p></o:p>

    Présent du 29 décembre 07<o:p></o:p>

    « Et Léviathan, le pêches-tu à l’hameçon ? Avec une corde comprimes-tu sa langue ?... Quand il se dresse, les flots prennent peur et les vagues de la mer se retirent. » Léviathan, monstre du Chaos primitif survivant dans la mer, est assimilé dans le livre de Job, par une sorte de naturalisme ou d’évhémérisme, à un formidable crocodile. Le texte grec ne donne pas son nom mais l’appelle drakôn, ce qui le décrit, bête tout à la fois dragon, poisson et serpent. Or les scientifiques remontent des profondeurs des bêtes qui sont cela peu ou prou.<o:p></o:p>

    L’exploration des grands fonds est à peine plus ancienne que celle de l’espace. Entre eux sont des similitudes, à commencer par l’hostilité du milieu. Auguste Piccard – un modèle possible du Pr Tournesol – s’est attaqué aux deux. En 1932 il est monté en ballon à 16200 mètres, exploit à la Hans Pfaal ; en 1948 il a expérimenté le premier bathyscaphe qui évoluait sans être relié par un câble à un bateau et est descendu à 10916 mètres, record inégalé. Que les Russes aient baptisé leur bathyscaphe Mir n’est pas un hasard, et qu’en août dernier ils aient planté leur drapeau à la verticale du pôle Nord par 4261 mètres de fond, non plus.<o:p></o:p>

    La science de la faune des profondeurs commença en 1872, quand Sir Ch. Wyville Thomson dragua à 5200 mètres et remonta plus de 4000 espèces, démontrant que la théorie selon laquelle la vie au-delà de -600 mètres serait impossible était fausse, et donnant raison à Jules Verne qui avait publié en 1869 Vingt mille lieues sous les mers, où sont décrits entre autres des calamars géants.<o:p></o:p>

    Dans sa hâte à fouler les fonds marins (l’espace benthique), l’homme dédaigna l’entre-deux-eaux angoissant (l’espace pélagique), objet d’études depuis les années 1980 seulement. Y évoluent des créatures gélatineuses de toutes tailles et transparentes, comme la Cystisoma ou le Calamar à yeux globuleux qui figure sur l’affiche. Dans cette zone, le peu de lumière qui parvient encore vous dénonce à vos ennemis, aussi la transparence est-elle le meilleur des camouflages. Plus bas, quand l’obscurité est totale, le rouge est de rigueur car, pour une question de longueur d’ondes, cette couleur est imperceptible dans l’eau. De nombreux animaux sont équipés de loupiottes. Cette bioluminescence a des aspects pratiques mais attire les prédateurs ; certains lâchent des leurres lumineux.<o:p></o:p>

    Les bêtes des profondeurs ne survivent pas sorties de leur milieu. Les conserver dans l’alcool les abîmerait rapidement. Les taxidermistes du Muséum ont mis au point une méthode adaptée (à base de formol et de résine), qui permet de présenter de nombreux spécimens magnifiquement naturalisés. Films, photographies et animaux naturalisés constituent un ensemble remarquable qui passionnera grands et petits.<o:p></o:p>

    Le Sagre commun est une manière de requin de voyage, l’Isopode géant un acarien de la taille d’un rat adulte. L’Empereur a une peau transparente qui laisse deviner une structure alvéolée. Ne cherchez pas la tête ou l’abdomen de cette araignée, elle n’est qu’une tuyauterie, une plomberie de trente centimètres d’empan. <o:p></o:p>

    Au rayon des bizarreries, la Grande Rouge, méduse d’un mètre de diamètre, a entre quatre et sept bras ; le Calamar Bijou a un œil gauche hypertrophié tourné vers le haut, un œil droit petit et enfoncé. Il eût intéressé Roger Caillois qui, dans un essai sur la dissymétrie (id est, la symétrie dépassée), a étudié quelques animaux notoirement différenciés.<o:p></o:p>

    Parmi les êtres qui pourraient peupler vos cauchemars, on relève la présence du Vampire des Abysses, mi-pieuvre, mi-calamar, et du Diable noir qui n’est qu’une bouche dentée, effrayante mais ridicule aussi. <o:p></o:p>

    Je n’en dirais pas autant du Rhinochimère, indescriptible composé comme son nom l’indique. Les sculpteurs romans qui ont imaginé tant de monstres ou diables chimériques seraient bien aises de voir que leurs créations n’étaient pas si déraisonnables, et ils auraient trouvés dans d’autres animaux comme la Chondrocladia, construction purement géométrique, des motifs ornementaux. La vie foisonnante, exubérante, des chapiteaux a des analogies avec cette diversité abyssale. Une vie qui se développe même dans des milieux a priori hostiles si on s’en tient aux mécanismes chimiques ordinaires. A divers endroits la croûte terrestre immergée dégage des gaz toxiques, brûlants, comme par exemple dans la dorsale des Galapagos à -2500 mètres. Il se trouve qu’une bactérie y œuvre à transformer en matière organique le méthane et le sulfure d’hydrogène, d’où une abondance de mutants de crabes et de crevettes... De quoi composer un surprenant plateau de fruits de mer pour votre Saint-Sylvestre. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Abysses, jusqu’au 8 mai 2008, <o:p></o:p>

    Muséum national d’Histoire naturelle, Galerie de Géologie et de Minéralogie.<o:p></o:p>


    2 commentaires
  • A l’Institut du Monde Arabe<o:p></o:p>

    Les Phéniciens,

    commerce et alphabet<o:p></o:p>

    Présent du 22 décembre 07<o:p></o:p>

    Le peuple phénicien est un peuple sémite occupant à l’origine un ensemble de cités (Byblos, Tyr, Sidon…) de l’actuel Liban, cités qui furent dans l’orbite des empires régionaux successifs, égyptien, assyrien, babylonien, perse, avant de se diluer dans l’hellénisme au IIIe siècle. Une grande liberté leur demeura toujours car elles assuraient l’activité commerciale dans toute la Méditerranée : les Phéniciens ont fondé de nombreux comptoirs et colonies. <o:p></o:p>

    Contre la plus célèbre de ces colonies, Carthage, Rome mena trois guerres. Cités cherchant chacune à accroître son empire commercial et militaire, Rome et Carthage ne pouvaient coexister. « Il y eut peut-être des deux côtés, écrit Tite-Live, plus de haines encore que de forces engagées dans la lutte. » Cette haine explique que la troisième guerre punique vit la destruction totale de Carthage.<o:p></o:p>

    La main mise sur la Sicile avait été l’occasion de la première. La deuxième, celle contre Hannibal, fut selon Tite-Live « la plus mémorable des guerres ». Le récit de l’historien est en partie perdu, mais la portion la plus intéressante, jusqu’à la terrible défaite romaine de Cannes en Apulie, est intacte. La progression inéluctable d’Hannibal depuis l’Espagne, sa traversée des Alpes accompagné d’éléphants sous les yeux ébahis des montagnards gaulois, les prodiges constatés en Italie, annonciateurs de bouleversements, les dissensions romaines face à la tactique attentiste de Fabius, etc., tout cela fait des livres XXI et XXII un récit dramatique intense.<o:p></o:p>

    Plus haut dans le temps, on est renseigné sur les Phéniciens par la Bible et les annales assyriennes, eux-mêmes ne nous ayant rien laissé d’important sorti de l’épigraphie. Paradoxe d’une civilisation qui est la mère de tous les alphabets ou presque ! <o:p></o:p>

    L’alphabet phénicien a émergé de « l’extraordinaire foisonnement d’écritures locales qui est une des caractéristiques du monde syro-palestinien au second millénaire avant J. C. » (James G. Février) Il est apparu vers -1500. Les plus anciennes inscriptions se lisent sur des pointes de flèche en bronze des XI-Xe : « Flèche de Zakarbaal, roi d’Amurru ». Alphabet consonantique apte à noter les langues sémitiques basées sur des racines fixes constituées de consonnes, il sera adopté par les Araméens et deviendra – pour rester simple –alphabet hébreux et arabe. <o:p></o:p>

    De leur côté, les Grecs avaient commencé par noter leur langue en écriture syllabique crétoise, fort peu appropriée. Leur intelligence fut, vers -900 environ, de comprendre que la syllabe se décomposait en consonnes et voyelles, et d’utiliser les lettres phéniciennes pour noter les unes et les autres. L’alphabet phénicien est ainsi à l’origine des graphies cyrilliques, arméniennes, étrusques, latines… Il n’y a guère, des écritures encore employées, que le chinois et le japonais à n’être pas issues de l’alphabet phénicien.<o:p></o:p>

    L’exposition reproche aux Grecs d’avoir vu les Phéniciens comme des « colporteurs », des « marchands audacieux, retors », des « marins rapaces » (Homère) et montre qu’ils étaient en effet des négociants hors pair qui trafiquaient dans toute la Méditerranée. Elle reproche à Renan d’avoir taxé l’art phénicien d’art d’imitation mais en étale les preuves. Faïence, verre, ivoire, l’artisanat emprunte technique et motifs à l’Egypte, à la Syrie, à la Mésopotamie. Les sarcophages à couvercle anthropoïde, sortes de gisants, sont d’abord de facture égyptienne, puis grecque. Les terres cuites religieuses (Astarté ; orantes ; Dea gravida – ill.) sont ce qu’on nomme, en langage d’atelier, des savonnettes. Certaines ont un corps fabriqué au tour, comme des pieds de lampe, sur lequel est fiché une tête grossièrement modelée. Tout cela n’a rien d’extraordinaire.<o:p></o:p>

    Plus originaux sont les œufs d’autruches décorés, sur l’un d’eux figure une série de soldats, peints au pochoirs en réserve, et plus étonnants encore sont les tridacnes, gros coquillages servant de palette à maquillage, gravés sur l’extérieur et/ou sur le bord intérieur, dont l’umbo est sculpté d’une tête (VIIe siècle av. J. C.). On croit voir un être ailé, voilé, flottant entre deux eaux.<o:p></o:p>

    Tout récemment, des archéologues, après une fouille du gouffre des Apothètes, ont affirmé que les Spartiates n’y jetaient pas les nouveaux-nés difformes. Les Phéniciens, eux, ont-ils ou non pratiqué le sacrifice de jeunes enfants ? Le Pr Xella admet « la réalité du sacrifice d’enfants… limité en nombre et dont la signification est hautement symbolique ». La tournure est élégante. Notre époque prouve en tout cas que le développement technique n’est pas incompatible avec la barbarie.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage, <o:p></o:p>

    jusqu’au 20 avril 2008, Institut du Monde Arabe.<o:p></o:p>

    illustration : Dea Gravida. Terre cuite, 44x14,2 cm © Musée de l’université américaine de Beyrouth<o:p></o:p>


    1 commentaire
  • Au musée Rodin<o:p></o:p>

    L’album photos

    du Maître<o:p></o:p>

    Présent du 15 décembre 07<o:p></o:p>

    On pense volontiers que les artistes se sont méfiés de la photographie lors de son apparition ; c’est faux. Eugène Delacroix, les Gustave (Courbet, Moreau) par exemple l’ont utilisée pour garder des poses qu’ils voulaient travailler. Né en 1840, Auguste Rodin est un contemporain de la photographie. Le nombre de clichés conservés dans ses archives, sept mille, est éloquent. Deux cents de ces clichés ont été sélectionnés afin de définir les liens entre Rodin et la photographie, entre ses sculptures et les photographes. <o:p></o:p>

    Dans un premier temps (les années 1880), Rodin ouvre son atelier à des photographes restés inconnus : Bodmer, Pannelier, Feuler. Leurs clichés gardent la trace d’une étape de la création : terre en cours, tirage, etc. Photographies sans prétention, mais émouvantes car nous pénétrons dans l’atelier sans que rien n’ait été rangé. Rodin s’est servi de ces clichés comme de croquis : il corrige une courbe ou une masse sur le cliché, à la plume ou au crayon. Coups d’œil objectifs, ils permettent la distanciation et le regard critique. <o:p></o:p>

    Certaines photographies de Victor Pannelier vont connaître une utilisation qui se développera par la suite : elles illustrent un article de T. H. Barlett sur Rodin, paru en 1889 dans American Architect & Building New. La célébrité arrivant, les journaux demandèrent toujours plus de reproductions. Rodin travailla alors avec deux types de photographes : l’un chargé de rendre les sculptures comme lui l’entendait, dans un but de monstration publicitaire ; l’autre, laissé libre d’interpréter, dans une démarche purement artistique. La deuxième manière ne produit pas toujours les plus belles photos, ni la première les plus fidèles : la personnalité de l’opérateur est primordiale.<o:p></o:p>

    Eugène Druet (1867-1916) est un cafetier qui s’ennuie. Il devient le photographe de Rodin de 1896 à 1900. Il suit la volonté du sculpteur, mais sa collaboration est réelle, donc décisive. Ses clichés (épreuves gélatino-argentiques) sont remarquables : contrastés, ils montrent l’aspect charnel des sculptures. Cependant l’entente entre les deux hommes devint de plus en plus difficile et, les clichés de Druet ayant été imposés à la presse pendant quatre ans, un renouvellement s’imposait.<o:p></o:p>

    Jacques-Ernest Bulloz (1838-1942) prit sa suite, jusqu’à la mort de Rodin en 1917. Très professionnel, il obtint un contrat d’exclusivité et géra la diffusion des photographies. La demande de reproductions, accrue avec la gloire, exigeait cette approche moderne, d’agent de presse déjà. Il réalisa un folio commercial de cent photos, dans des teintes sépia, orange, bleu, vert. L’ensemble est fade : sans être trahie, la sculpture tend au douceâtre. Sacrifice au goût du temps ? D’autres tirages de lui ont plus de caractère.<o:p></o:p>

    Les autres photographes à qui l’atelier était ouvert opéraient en toute liberté, sans consigne. La plupart appartiennent au courant pictorialiste, à prétentions esthétiques.<o:p></o:p>

    Edward Steichen s’éprend, depuis les Amériques, du Balzac. Venu à Paris, il se lie d’amitié avec Rodin et réalise, entre autres, les clichés de nuit du Balzac placé dans le jardin de Meudon. Mêlant plusieurs techniques, il obtient des effets fantomatiques. C’est à lui qu’on doit également cette célèbre composition qui rassemble Rodin de profil à contre-jour, le monument à Victor Hugo en pleine lumière et Le penseur à droite.<o:p></o:p>

    Deux jeunes Anglais, Stephen Haweis et Henry Coles, travaillent en 1903-1904. Leur travail est aussi basé sur la lumière, limite du genre : à se complaire dans l’appréhension de la silhouette des sculptures plus que dans leur masse, ils passent à côté de l’essentiel. <o:p></o:p>

    C’est Jean Limet qui, avec des tirages à la gomme bichromatée, donne la vision la plus originale. Peintre et graveur à l’origine, il se tourne vers la patine et travaille pour Rodin. Les étranges teintes des tirages révèlent ses préoccupations de coloriste qui rejoignent celles de ses amis Jeanneney et Carriès (cf. Présent du 8 décembre). Les effets sont étonnants. Avec lui, la fidélité à l’œuvre de Rodin et la création personnelle s’équilibrent parfaitement.<o:p></o:p>

    La belle tête de l’artiste a aussi inspiré les photographes. Les portraits pris par Nadar (non exposés) apparaissent convenus, plats, par rapport aux forts portraits par Gertrude Käsebier, par Alvin Langdon Coburn : Auguste Rodin coiffé d’une toque noire (illustration).<o:p></o:p>

    Cette judicieuse sélection de clichés montre que les photographes se sont montrés dignes des sculptures, inspirés. Et quelle merveilleuse diversité de techniques ! Nos petits pixels font pâle figure face à ces procédés d’alchimistes qui se nommaient aristotype, bichromates alcalins ou collodion humide, et qui permettaient d’obtenir des tirages si riches. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Rodin et la photographie, <o:p></o:p>

    jusqu’au 2 mars 2008, Musée Rodin<o:p></o:p>

    Illustration : Portrait de Rodin, A. L. Coburn, avril 1906 © musée Rodin


    voir également

     


    <o:p></o:p>


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique