• Au Petit Palais<o:p></o:p>

    Les curieuses patines

    de J. Carriès<o:p></o:p>

    Présent du 8 décembre 07<o:p></o:p>

    Avez-vous déjà essayé d’interroger la nature même de l’architecture ? C’est ce que font trois meules de foin dans le hall du Petit Palais, enfermées dans du plexiglas pour les protéger, je suppose, de l’appétit du conservateur en chef.<o:p></o:p>

    Visitez plutôt l’exposition consacrée à Jean Carriès (1855-1894), modeleur mineur et original. Il n’a rien interrogé, ni personne, mais a travaillé l’argile avec passion.<o:p></o:p>

    A la mort de leurs parents tuberculeux en 1863, les quatre enfants Carriès eurent pour veiller sur eux une auguste religieuse, Mère Callamand, Supérieure des Filles de la Charité de Lyon. Ayant remarqué les dispositions artistiques du jeune Jean, elle le plaça en apprentissage dans l’atelier de Pierre Vermare, qui taillait du néo-gothique près de la cathédrale Saint-Jean. <o:p></o:p>

    Il n’avait que treize ans, et les sculptures médiévales le marquèrent à vie, celles de Lyon comme celles de Bourgogne. Son œuvre n’est pourtant pas religieuse. Le martyre de saint Fidèle est dramatique et anecdotique. Elle relève plus, pour une bonne part, du romantisme de la gargouille, de la grimace du modillon, des personnages costumés d’époque : L’évêque, Le guerrier (Don Quichotte ?), Loyse Labé, Tête de Charles 1er. Univers proche de celui de Gaspard de la Nuit, mais autant Aloysius Bertrand fut, avec son romantisme noir, en accord avec son époque, autant Carriès, à prolonger cette veine dans la seconde moitié du XIXe, apparaît nostalgique. <o:p></o:p>

    Plus moderne, plus personnelle, est la série de têtes dite Les Désolés ou Les Désespérés : Epave au bonnet, Epave de théâtre ; Le vieux comédien dit aussi Le notaire, a un air de Paul Léautaud. On est proche de l’esprit décadent, fin de siècle, des Névroses de Maurice Rollinat (1883), dont il a réalisé un net profil. Léon Bloy, qui connaissait l’un et l’autre (un des contes du recueil Sueur de sang est dédié à Carriès), relève dans les chansons de Rollinat« l’épouvante de la mort, l’épouvante suprême de ce qui la précède, de ce qui l’accompagne et de ce qui la suit ». La mort obsède autant l’orphelin Carriès. La figure de fantaisie laisse la place au buste posthume : celui de sa sœur Agnès morte à 19 ans (La novice), celui de la Mère Callamand décédée en 1892, celui, voilé d’un suaire, du sculpteur Eugène Allard. Lui-même se savait condamné. Il mourut de pleurésie à 39 ans.<o:p></o:p>

    Moins attiré par les bustes de commande, il s’en sort pourtant remarquablement bien. Il y en a de fort réussis, celui d’une femme quelque peu hautaine, à la chevelure joliment œuvrée, un plâtre patiné à l’aspect cuir ; celui d’un jeune homme, Francis Ormond, avec une patine tons d’automne. Les commanditaires appartenaient à la riche bourgeoisie lyonnaise du carnet d’adresse de Mère Callamand qui veillait sur son poulain. Le succès de l’exposition, en 1888, chez ses mécènes les Ménard-Dorian marque un tournant : lui qui s’est toujours vu comme un imagier et non un artiste quitte les Salons et installe un atelier de poterie dans la Nièvre où il mène toutes sortes de recherches. Son activité de potier – le Gauguin céramiste est actif à la même époque – est féconde, marquée autant par les poteries japonaises que par les grès allemands des XV-XVIIe. <o:p></o:p>

    La poterie lui permit de vivre quand il se lança dans la réalisation qui allait occuper ses dernières années. La Porte monumentale était destinée à l’hôtel parisien de Mlle Winaretta Singer, la future princesse de Polignac qui commandera Renard à Stravinsky, Socrate à Erik Satie... Il ne reste qu’une maquette à échelle réduite et quelques unes des six cents plaques émaillées qui devaient composer cette porte. Dessinées par Eugène Grasset, les contre-courbes sont plus modern’ style que gothiques. Les sculptures eurent été exclusivement faces grimaçantes et animaux chimériques : ce n’aurait pas été du meilleur Carriès.<o:p></o:p>

    Les aléas de la cuisson (nuances de l’émail jamais identiques, rétractions de la terre incontrôlables) rendaient l’ajustage des plaques impossibles, obligeaient à multiplier des essais coûteux. Le commanditaire, indisposée par les grimaces obsédantes, s’impatienta. La mort de l’artiste mit fin au projet.<o:p></o:p>

    Projet trop ambitieux ? Ou technique inappropriée ? La commande convenait à un tailleur et non à un modeleur. Handicap ici, la technique propre à Carriès est pour le reste séduisante. Artisan ennemi du tirage industriel, amoureux des expérimentations, il utilise la cire sur plaque de bois, sur âme de plâtre, tire en plâtre, en bronze, en grès (illustration). Les patines le passionnent, toujours réinventées. Sa sculpture tomba rapidement dans l’oubli ; par contre, à Saint-Amand-en-Puysaie tout un groupe de potiers continua ses recherches. Parmi eux citons Paul Jeanneney, qu’on retrouvera patinant ou émaillant les œuvres de Rodin.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Matière de l’étrange – Jean Carriès 1855-1894, <o:p></o:p>

    jusqu’au 28 janvier 2008, Musée du Petit Palais<o:p></o:p>

    illustration : Tête de faune, grès émaillé © Patrick Pierrain / Petit Palais/ Roger-Viollet


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  • Aux musées de Cluny

    & d’Ecouen<o:p></o:p>

    Prélats

    et mécènes<o:p></o:p>

    Présent du 1er décembre 07<o:p></o:p>

    En deux volets, l’un au musée du Moyen Age, l’autre au musée de la Renaissance, « L’art des frères d’Amboise », en comparant les chapelles des frères prélats Jacques et Georges, met en évidence la fécondité du gothique et les prémices de la Renaissance à la date charnière de 1500, ainsi que l’implication, dans la vie artistique, d’une riche et puissante famille. Exposition délibérément peu grand public – goûter une nervure ou apprécier un rinceau sont des activités dont la télévision n’a pas jugé utile de tirer une émission de télé-réalité –, elle est l’occasion d’une visite à Cluny et au méconnu château d’Ecouen.<o:p></o:p>

    Une chapelle gothique…<o:p></o:p>

    Avant de devenir évêque de Clermont-Ferrand, Jacques d’Amboise fut abbé de Jumièges puis de Cluny. C’est dans les années 1490 qu’il fit édifier la chapelle de son hôtel, l’actuel musée de Cluny. Vitraux, mobilier et statues ont été détruits en 1790, mais son caractère privé l’a mise à l’abri des remaniements architecturaux.<o:p></o:p>

    De taille modeste, elle est construite sur plan carré avec une abside semi-circulaire. Ses voûtes à ogives, liernes et tiercerons, dont les voûtains sont ornés de flammes, retombent sur un pilier central octogonal (ill.). Dans un coin, l’escalier est délimité par une clôture en pierres ajourée, fermée par une porte sculptée. Les consoles à mi-mur sont ornées de vignes, de feuilles de chêne, avec de petits animaux : oiseaux, chimères, singe enchaîné, lapins. L’ensemble est nettement gothique, seules les peintures de l’abside, deux saintes femmes, sont de style italianisant. On les attribue à Guido Mazzoni, de Ferrare, qui séjourna en France de 1497 à 1516.<o:p></o:p>

    La visite n’est complète qu’en allant voir la chapelle de l’extérieur depuis le jardin. On comprend que l’abside est prise dans la tourelle en encorbellement ; que le rez-de-jardin, lui-même voûté d’ogives retombant sur un pilier central, ouvert sur l’extérieur par deux arches, permettait d’accéder à la chapelle par l’escalier.<o:p></o:p>

    Et une chapelle pré–Renaissance<o:p></o:p>

    Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, fut le principal conseiller de Louis XII et Anne de Bretagne. Son château de Gaillon a été détruit à la Révolution, et le décor de la chapelle dispersé. Les éléments réunis permettent de se faire une idée de cette chapelle, plus ambitieuse que celle de Cluny. <o:p></o:p>

    Signe de la modernité du commanditaire, sa réalisation a fait la part belle à la collaboration entre artistes français et italiens. Ricardo da Carpi et Nicolas Castille ont travaillé aux clôtures du chœur. Andrea Solario a réalisé les peintures (reste une Déploration). Antonio Justi a modelé grandeur nature le Christ et les apôtres (restent le Christ, St. Jacques, une tête – illustration). Michel Colombe, alors octogénaire, a sculpté le beau retable (St. Georges combattant le dragon), encadré de rinceaux dus au ciseau de Jérôme Pacherot, originaire de Fiesole, ramené en France par Charles VIII en même temps que Mazzoni. <o:p></o:p>

    Or on doit à Antonio Justi et à son frère le tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne (1531) ; à Michel Colombe, le tombeau du père de la même Anne, dont Jérôme Pacherot réalisa la décoration (1499, Nantes) ; c’est ce dernier, encore, qui sculpta les rinceaux des tombeaux des enfants de la reine Anne (Tours). Le fonctionnement d’une équipe formée d’artistes spécialisés, habituée à travailler pour des commanditaires réguliers, apparaît pleinement. On devine, active, la présence de Jean Perréal, dit Jean de France, peintre qui se fit agent artistique, intermédiaire, et contribua à acclimater l’art italien. En ce début du seizième siècle, la Renaissance entre par la petite porte, celle des ornements. <o:p></o:p>

    Ces données assez sèches ne doivent pas cacher une dimension essentielle : la dévotion personnelle du cardinal. Dévotion classique pour son saint patron St. Georges (retable, panneau de stalle, bas-relief de l’orgue) ; dévotion plus particulière pour la Vierge de Pitié, qui figurait sur son sceau et qui est le sujet du tableau de Solario, d’un bas-relief de la tribune.<o:p></o:p>

    Le décor perdu des deux chapelles montrait également, par le biais des priants et des armes, la grandeur et la réussite de la famille d’Amboise. Fierté justifiée, puisque les autres frères n’ont pas démérité : Louis, évêque d’Albi, a fait réaliser les sculptures du chœur d’Albi et a orné son château de Combéfa, Pierre, évêque de Poitiers, s’est occupé de son château de Dissay (Vienne) et Charles, gouverneur d’Italie, de son château de Meillant (Cher).<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    L’art des frères d’Amboise, jusqu’au 14 janvier 2008 :<o:p></o:p>

    Musée de Cluny & Musée de la Renaissance, château d’Ecouen

    illustration 1 : Voûtes de la chapelle de l’hôtel de Cluny © Photo RMN / T. Ollivier<o:p></o:p>

    illustration 2 : Antonio Giusto, tête d’apôtre, Louvre © RMN / D. Arnaudet<o:p></o:p>


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  • Au musée du quai Branly<o:p></o:p>

    L’art royal

    du vieux Bénin<o:p></o:p>

    Présent du 24 novembre 07<o:p></o:p>

    Le Royaume du Bénin (XIIe-XIXe) ne correspond pas au pays connu sous ce nom, mais à un territoire du sud de l’actuel Nigeria, à l’ouest du fleuve Niger. L’art qu’il a laissé est un des plus grands d’Afrique noire et le plus accessible à nos yeux européens car il présente des caractéristiques proches de celles de nos arts. Le contact constant avec les Portugais dès 1486 a été proposé comme explication à cette particularité. En réalité, il n’apparaît ni ex nihilo ni ex abrupto. Juste à l’ouest du royaume, les terres cuites de la civilisation d’Ifé (premiers siècles avant notre ère), annoncent celles de la civilisation de Nok (Xe-XIVe), qui pratiqua également la fonte et dont un fondeur, d’après la tradition des Bini, leur en apprit la technique. <o:p></o:p>

    La transmission ne fut pas seulement technique, mais aussi artistique. Les têtes des rois et reines mères (ill.) sont dans la lignée des têtes d’Ifé. Elles servaient autant à commémorer le roi défunt qu’à légitimer son successeur. Figuratives, personnalisées, elles sont dépourvues d’expression psychologique. L’impassibilité du visage exprime la majesté royale et donne à la forme sa plénitude.<o:p></o:p>

    A l’aise dans la ronde bosse – on voit, outre ces têtes, des statuettes en pied, des animaux –, les artistes ont déployé tout leur talent dans les reliefs. Ces plaques en laiton décoraient les colonnes en bois du palais. Elles racontent les rituels de la cour, représentent le Roi, les dignitaires, les guerriers – pas de femmes dans l’art béninois, hormis la Reine Mère et ses suivantes. Le goût de la composition et l’amour du détail en font des œuvres narratives, originalité indéniable par rapport au reste de l’art africain. La composition est frontale, avec des personnages proportionnés à leur fonction ; peut-être parfois la petitesse suggère-t-elle l’éloignement. Seules deux plaques ont une composition spatiale : des Portugais chassant le léopard, une chasse aux oiseaux.<o:p></o:p>

    L’amour du détail, subordonné au tout (la décadence, au cours du XVIIIe, sera marqué par l’envahissement des détails), permet d’apprécier les armes, les objets, les costumes. La confrontation de ces objets avec leurs représentations montre le souci d’exactitude des artistes. Les costumes des dignitaires offrent quantité de motifs : bras, têtes, fleurs, entrelacs, dents de scie, etc. Le palais qu’ornaient ces plaques a disparu, mais on se le représente bien grâce aux représentations du palais sur ces plaques mêmes.<o:p></o:p>

    L’omniprésence des Portugais dans l’art béninois reflète l’amitié entre les deux royaumes (en 1505 le roi Manuel offrit un cheval au roi Esigie), entre les deux peuples. On reconnaît les Portugais à leurs cheveux longs, leur barbe, leur costume, et les objets qui les accompagnent : arbalète, mèche de canonnier, puisque des Portugais participèrent aux campagnes guerrières du Royaume, manilles (volumineux bracelet de métal) qui servaient de monnaie d’échange et permirent, apport considérable de métal, de donner un magnifique développement à l’art royal. <o:p></o:p>

    Les Béninois rapprochèrent les Portugais arrivés par bateau du dieu de la mer qui accorde richesse et fécondité, ce qui se vérifia. Fécondité artistique, richesse grâce aux intenses échanges commerciaux. Le commerce, régulé par le roi, permettait d’exporter esclaves, poivre, ivoire, coton, raphia, et d’importer cauris de l’Océan indien, étoffes européennes et indiennes, coraux, armes à feu, alcool et métaux. <o:p></o:p>

    Cette période faste, profitable aux uns et aux autres, se dégrada lentement avec l’accroissement de la puissance des dignitaires au détriment du pouvoir royal, avec l’effacement des Portugais plus engagés en Amérique du Sud et l’arrivée des concurrents hollandais et anglais. La capitale du royaume tomba aux mains des Anglais le 18 février 1897. Plus de deux mille objets et œuvres furent rapportées en Europe et vendues pour financer les opérations militaires. <o:p></o:p>

    Cet art béninois si différent de l’art africain tel que le connaissaient et tel que l’avaient compris les artistes européens qui y avaient vu une totale remise en cause des principes visuels jusque-là admis en Europe, cet art montrait la faiblesse des théories nouvelles (cf. « Picasso Maître cube », Présent du 25 oct). Elles auraient pu être corrigées, mais, ne pouvant admettre que l’Afrique elle aussi ait commis le crime figuratif – sans que cela signifie que l’art africain autre que béninois ne le soit pas, mais l’idée reçue est qu’il ne l’est que peu –, les cubistes et acolytes décrétèrent que l’art béninois était un art africain dégénéré sous l’influence de l’Europe. L’exposition du Quai Branly, si complète, fait justice de cette bourde de taille, que seule explique la haine de soi, déjà…<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Bénin, cinq siècles d’art royal, <o:p></o:p>

    jusqu’au 6 janvier 2008, Musée du quai Branly<o:p></o:p>

    illustration : Tête d’une Reine Mère, XVIe siècle © Berlin / Martin Franken

    Autres expos d'art africain:

    expo esprits Dapper / expo animal Dapper / expo femmes afrique


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  • Au musée Dapper<o:p></o:p>

    Le bestiaire

    d’Afrique noire<o:p></o:p>

    Présent du 17 novembre 07<o:p></o:p>

    Le thème est dans l’air : tandis qu’au Trocadéro on s’interroge sur la nature de l’homme, à la Villette on redéfinit les relations entre hommes et bêtes avec, au programme, abolition des frontières entre espèces, pendant que sur les ondes la chanteuse Zazie, qui ne se trompe jamais de wagon idéologique, répète à satiété : « Je suis un homme au pied du mur / Comme une erreur de la nature / Je suis un homme et je mesure / Toute l’horreur de ma nature… »<o:p></o:p>

    A ces inquiétudes manipulées, le fin mot de l’histoire étant de renier Genèse 1, 26, – ce que MM. Hulot et Bougrain Dubourg appellent « faire descendre l’homme de son piédestal » –, on préfèrera le bestiaire africain, rassemblé par le Musée Dapper avec la rigueur et le souci d’exhaustivité qu’on lui connaît.<o:p></o:p>

    Chaque civilisation possède un bestiaire, caractéristique par les animaux qui le constituent et leurs rôles (religieux, symbolique, décoratif, narratif…). Notre bestiaire médiéval chrétien, par exemple, est un monde extraordinaire, dans lequel on trouve des animaux très exotiques : lions et singes à foisons, crocodiles, éléphants… originaires d’Asie plus que d’Afrique : ce n’est qu’à la fin du XVe siècle qu’un contact direct s’établit entre l’Afrique noire et l’Europe, grâce aux navigateurs Portugais. <o:p></o:p>

    Pour fournir aux grandes tables l’ivoirerie dont elles avaient besoin, les marchands portugais firent réaliser dès cette époque par les artisans des côtes sierra léonaises et béninoises des objets tels que salières, coupes, cuillères (et, pour la chasse, poires à poudre et oliphants). Modèles et motifs européens qu’une main noire interprète, ainsi en va-t-il d’une scène de chasse avec cerf et sanglier, ornée de torsades typiques de l’architecture manuéline, sculptée en mince relief sur un oliphant.<o:p></o:p>

    Cette coopération, pour intéressante qu’elle soit, reste un aspect mineur de l’art africain. Donner une vue d’ensemble du bestiaire propre au continent est impossible, tant sur le plan artistique qu’ethnographique. Qu’ont en commun un crocodile en or, bijou akan (Ghana, Côte d’Ivoire) et un masque d’éléphant bamiléké en tissu perlé (Cameroun) ? Un appui-tête avec antilope (luba, Congo) et une boîte à divination par les souris (baoulé, Côte d’Ivoire) ? Et je laisse de côté les œuvres de l’ancien royaume du Bénin, dont nous parlerons samedi prochain puisqu’elles sont à l’honneur au Quai Branly.<o:p></o:p>

    A ceux qui prétendent zooïfier l’homme, et qui seront par principe plus sensibles à une cosmogonie exogène que biblique, les bâtons rituels kuyu (Congo), composés d’une figure humaine surmontée d’un animal, racontent la séparation entre homme et animal après la création du monde. Très belles sculptures, variées : homme coiffé d’un singe (illustration), femme aux flancs de laquelle s’accrochent des jumeaux et surmontée d’un éléphant… Les motifs de scarifications ajoutent une note décorative. En même temps qu’il différencie l’homme et l’animal, le bâton kuyu exprime la captation magique, par le chasseur, des pouvoirs de l’animal : on note les similitudes entre la face et la gueule, lèvres retroussées sur des dents agressives, oreilles identiques.<o:p></o:p>

    La triade, si africaine, homme / animal / esprits, explique le fréquent recours religieux aux animaux. La figure dite mbotumbo (baoulé) est celle d’un singe incarnant un esprit, utilisée à des fins divinatoires. L’aspect peut être paisible et esthétiquement élevé (les bâtons kuyu), ou l’esthétique indifférente et l’aspect terrible : les nkisi (de l’ethnie songye, Congo), qui servent à lutter contre les maléfices des sorciers, à désigner des coupables, représentent souvent des chiens ; y sont plantés des clous serrés. De contemporains plasticiens y verraient une violence ‘transgressive’ : que non pas, puisque l’utilisation magique de cet objet avait une dimension sociale.<o:p></o:p>

    Dans les cérémonies d’initiation bamana (Mali), les masques de lion, de hyène ou de singe communiquent aux jeunes garçons les vertus propres à chaque animal, ou du moins les invitent à les pratiquer. Rôle plus social que religieux, tout comme les nombreux cas où l’animal est associé à un rang : le cheval témoigne de la classe de son propriétaire. Les statues équestres dogon (Mali) sont remarquables par leur nombre et leurs qualités artistiques.<o:p></o:p>

    Le catalogue de l’exposition réunit de savantes contributions d’ethnologues et de spécialistes en sciences religieuses, ainsi qu’un texte débile de Patrick Chamoiseau. Particulièrement intéressantes sont les photographies de cérémonies afro-brésiliennes prises par Pierre Verger (1902-1996, initié à divers cultes) : crues, violentes, l’initié buvant le sang de l’animal sacrifié ou en étant aspergé, elles montrent a contrario la spécificité et la hauteur du sacrifice chrétien non sanglant.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Animal, jusqu’au 30 mars 2008, <o:p></o:p>

    Musée Dapper : 35 bis, rue Paul Valéry, Paris XVIe, Métro : Victor Hugo, Étoile.<o:p></o:p>

    illustration : Statue Kuyu (détail) © Musée Dapper – photo Hugues Dubois

     

    Autres exposition d'art africain:

    expo esprits Dapper / expo Bénin/ expo femmes afrique<o:p></o:p>


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  • Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    Fragonard

    peintre d’histoires<o:p></o:p>

    Présent du 10 novembre 07<o:p></o:p>

    Jéroboam sacrifiant aux idoles permit à Fragonard (1732-1806) de remporter le Grand Prix de l’Académie en  1752, après quatre années d’apprentissage chez Chardin puis chez Boucher. Le talent du peintre est déjà défini : touche fluide, fonds pastels... et rien de religieux dans le traitement du sujet, l’intérêt dramatique est privilégié. <st1:personname productid="La Bible">La Bible</st1:personname> considérée comme réserve de sujets, Fragonard n’en a pas abusé, ayant rapidement quitté la carrière publique et ses thèmes prestigieux pour une activité axée sur les commandes privées. Il sera plus à l’aise, plus dans son élément, en s’intéressant aux histoires de la littérature profane.<o:p></o:p>

    Marmontel (Annette et Lubin), Saint-Lambert (Sarah Th…), Mme de Genlis (Les Veillées du château, « cours de morale à l’usage des enfants »), auteurs contemporains de faible envergure inspirent à Fragonard des œuvres sans grande portée. Il n’y a guère, qui sortent du lot, que les dessins illustrant un conte du chevalier de Boufflers, <st1:personname productid="La Reine">La Reine</st1:personname> de Golconde, où sont racontées les amours du séducteur Saint-Phar et de la petite laitière Aline.<o:p></o:p>

    Une laitière antérieure, Perrette, a inspiré au peintre un tableau fort célèbre, plus proche, par son interprétation, des Contes que des Fables. Ces Contes et Nouvelles de <st1:personname productid="La Fontaine">La Fontaine</st1:personname> sont des textes dignes du talent de Fragonard. Le mélange de licence et d’humour lui correspond. Le stade de l’illustration est dépassée : véritables accompagnements du texte, les dessins constituent une œuvre parallèle, la transcription plastique du texte.<o:p></o:p>

    Cette capacité à s’approprier le récit éclate dans sa lecture des romans de chevalerie. Si une toile s’inspire du Tasse (Renaud entre dans la forêt enchantée, 1762), l’essentiel des dessins est tiré de l’Orlando furioso et Don Quichotte.<o:p></o:p>

    Des seize premiers chants de l’Orlando furioso, ouvrage de l’Arioste (1474-1533), Fragonard ne sélectionne pas moins de 180 épisodes. Héros et héroïnes s’aiment, chrétiens et païens se battent, dans la parfaite invraisemblance du genre : il y a un hippogriffe, un bouclier magique, des monstres ; la fille de l’Empereur de Chine se prénomme Angélique et le chevalier sarrasin, Roger (invraisemblance… ou anticipation ? « Les prénoms ont été changés », comme dit la presse pour les faits divers sensibles). <o:p></o:p>

    Accordé au rythme fougueux du récit, le trait tourbillonne. Les mésaventures d’Olympe, abandonnée par son amant, donnent des dessins extraordinaires de violence désespérée. Le trait ne se calme que dans les passages où l’amour est heureux (« Alcine rejoint Roger dans sa chambre »).<o:p></o:p>

    Cette capacité d’adaptation du dessin au récit, non pas asservissement au littéral mais correspondance à l’esprit du texte se retrouve dans la trentaine de dessins de Don Quichotte. Le trait ne tourbillonne plus : il est sec, cruel comme les leçons qu’infligent la réalité au fou qui prétend, en dépit d’elle, vivre son destin de chevalier. Le ton comique du roman donne un graphisme étonnamment moderne, presque de bande dessinée.<o:p></o:p>

    Aux chapitres V et VI, le curé Pedro Perez, le barbier Nicolas et la nièce de l’hidalgo décident de visiter la bibliothèque de celui-ci pour en retirer les néfastes récits de chevalerie qui ont obscurci sa raison (dessin n°65 du catalogue). A la discussion littéraire, puisqu’il faut établir quels livres seront brûlés, s’oppose la hâte de la nièce disposée à tout balancer au feu sans examen. Ce chapitre VI est un des plus drôles. Tandis que le curé et le barbier discutent chaque titre, on voit les bouquins condamnés passer par la fenêtre et s’empiler dans la basse-cour en attente de l’autodafé. <o:p></o:p>

    Pour plus de sûreté, on s’avise de murer la bibliothèque (chapitre VII). Don Quichotte, perplexe, en cherche l’entrée. La gouvernante lui dit que le diable a emporté la pièce, la nièce que c’est le fait d’un enchanteur, ce que Don Quichotte croit plus volontiers. Le dessin de Fragonard (n°66) où l’on voit Don Quichotte palper le mur et se retourner perplexe vers sa nièce qui joue la comédie, tandis qu’un chien lui renifle les bas, est un grand moment, tout  comme celui où il s’apprête à éprouver avec son épée la résistance de son casque, préalablement complété d’une pièce de carton (dessin n°63). Le casque n’ayant pas résisté à l’examen, il le renforça de bandes de fer « et, sans vouloir faire sur lui de nouvelles expériences, il le tint pour un casque à visière de la plus fine trempe. » (chap. I)<o:p></o:p>

    Plus qu’un simple goût pour la littérature, Fragonard montre une profonde compréhension des textes. Il se les approprie, et de son imagination, non limitée mais décuplée, sort une deuxième œuvre, œuvre à part entière. Les portraits d’écrivains, de penseurs, dits « figures de fantaisie », sont un autre aspect de son intérêt, en tant que peintre, pour ceux dont le talent s’exprime par les mots.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Fragonard, les plaisirs d’un siècle,<o:p></o:p>

    jusqu’au 13 janvier 2008, Musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    Illustration : Roger aveugle l’orque, collection privée<o:p></o:p>


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