•  Gerard ter Borch, Intérieur d’estaminet (1636 ?)<o:p></o:p>

    A l’Institut néerlandais
    <o:p></o:p>

    Quelques Maîtres du Nord<o:p></o:p>

    Présent  du 9 janvier 2010<o:p></o:p>

    En complément à l’exposition du musée Jacquemart-André (peinture flamande, qui s’achève ces jours-ci) et à celle de la Pinacothèque (peinture hollandaise, jusqu’au 7 février) (1), l’Institut néerlandais propose un choix d’œuvres tirées du musée des Beaux-Arts de Rouen. A l’origine de la collection nordique de Rouen, il y a Jean-Baptiste Descamps (1714-1791), élève d’Antoine Coypel son oncle et de Nicolas de Largillière. Il écrivit une utile Vie des peintres flamands, allemands et hollandais, que complète le Voyage pittoresque de la Flandre et du Brabant, véritable guide artistique dans lequel les œuvres remarquables sont signalées par un astérisque et les horaires des voitures publiques indiqués.<o:p></o:p>

    C’est pour une église rouennaise (Saint-Patrice) qu’au XVIe siècle l’anversois Maerten de Vos relate en grands panneaux l’histoire de Rebecca. Il y a trop de monde dans ces compositions où paradoxalement chacun semble seul : le manque d’unité est flagrant. La scène de la fontaine, la comparer à la version qu’en donnera Nicolas Poussin au siècle suivant. Si Maerten de Vos y fait figurer les chameaux – on sait qu’il sera reproché à Poussin d’avoir manqué de fidélité au texte biblique en ne les représentant pas –, il est bien loin d’atteindre son intensité. <o:p></o:p>

    Les petits paysages de Jan van Goyen, marines, fleuves, sont pleins de sensibilité. Subtils en bruns, en bleus et blancs, ils paraissent presque monochromes. L’artiste combine les éléments : ici il ajoute un château rhénan escarpé au bord d’une rivière, avec l’observation directe : là des vaches qui vont s’abreuver. De l’ambitieux Enlèvement d’Europe de Hendryck van Minderhout (1680), ce sont les animaux qu’on retiendra : un groupe bien croqué de trois taureaux et deux chèvres, avec leur berger. Minderhout était d’abord un peintre de vaisseaux et de ports. Descamps signale « ses compositions abondantes et toujours avec de grands effets et de belles oppositions », mais aussi sa facilité, ses figures et ses ciels médiocres.<o:p></o:p>

    Entrons dans ces intérieurs tant appréciés. La Proposition de Jan Steen reconstitue le trio de la jeune fille, du niais et de l’entremetteuse ; tandis que Gerard ter Borch place quelques soldats dans un estaminet (illustration). Jan Steen en reste au niveau humoristique, allusif, tandis que Gerard ter Borch, particulièrement avec ce tableautin qui fit partie de la collection personnelle de Descamps, distille un mystère qui a presque la qualité du mystère vermeerien.<o:p></o:p>

    Jacob Ferdinand Voet fut à Rome, en Savoie, à Versailles. C’est en France qu’il peint ce beau portrait d’officier (1680), en cuirasse et jabot de dentelle rose. Est-ce un portrait que la Joueuse de cistre de César van Everdingen ? Sa coiffure, son béret plat de velours rouge, sa poitrine dénudée indiquent la courtisane. On ne saurait mieux peindre une beauté froide, offerte et distante. Buste à l’instrument, elle descend peut-être du Joueur de luth du Caravage. Caravage eut une postérité hollandaise, comme le montre un magnifique Saint Paul écrivant (anonyme, vers 1620), vigoureusement brossé. Les complémentaires sont explosives, habit vert, manteau rouge qui coupe la toile en diagonale. <o:p></o:p>

    Le Saint Jean et le Saint Marc de Lambert Jacob sont loin d’avoir ces qualités. Habits et visages sont abominablement cotonneux et seuls les livres, enlevés, ont leur intérêt. Jacob en eût tiré de belles natures mortes. Dans ce domaine, on aimera Jacob Foppens van Es, qui associe hareng, oignon et verre, plus que Willem Kalf dont la Nature morte aux aiguières et au plat doré est habile mais par trop clinquante. Moins brillante, du même, la Nature morte à la gourde d’argent est tempérée par les fruits et la porcelaine bleue.<o:p></o:p>

    Signalons, pour finir, un panneau du XVIe siècle dont l’iconographie retient l’attention. Il représente un des Quinze signes, préludes au Jugement dernier : « Les pierres s’entrechoqueront ». Oubliés de nos jours, les Quinze signes ont été très en vogue au Moyen Age. Prétendument tirés de saint Jérôme, apparaissant dans le Miroir historique de Vincent de Beauvais et chez divers auteurs, les signes annonciateurs de la fin du monde consistent en raz-de-marée, tremblements de terre, bouleversements du ciel… Nos amis de Copenhague en feraient leur miel. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle que les Quinze signes ont été mis en image. François Villon les mentionne dans son Lais : « Item, je laisse aux Mendiants, / Aux filles Dieu et aux Béguines, / Savoureux morceaux et friands, / Flans, chapons et grasses gélines, / Et puis prêcher les Quinze signes, / Et abattre pain à deux mains. » <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    (1) Cf. Présent des 26/09 et 14/11 de l’année dernière.

    Maîtres du Nord, Tableaux du musée des Beaux-Arts de Rouen.

    Jusqu’au 24 janvier 2010. Institut néerlandais, 121 rue de Lille, Paris VIIe.



    Voir également:


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  • Au musée du Louvre

    Dessins à foison

    Présent, 19 déc. 09


    Un Italien du XVIe siècle

    Né et mort à Venise (1510-1561), Battista Franco est le moins vénitien des Vénitiens, ou d’entre eux le plus romain, le plus florentin. Fils de peintre, il reçoit probablement de son père les premières leçons. Il se forme à Rome où il arrive en 1530, puis à Florence.

    L’influence de Michel-Ange est sur lui considérable, ce qui à l’époque n’a vraiment rien d’original. Il copie les figures du plafond de la chapelle Sixtine ; dessine les allégories du Jour et de la Nuit du tombeau Médicis.

    En 1536 il est chargé de réaliser les décorations à l’occasion de l’entrée triomphale de Charles Quint à Rome. La même année, à Florence, il réalise les décorations pour le mariage d’Alexandre de Médicis avec Marguerite d’Autriche, fille de Charles Quint. Il reste à la cour du duc Côme, où une grande partie de son ouvrage consistera en peintures éphémères, en arcs de triomphe provisoires dressés lors des événements politiques que sont les entrées, les mariages.

    Le 31 octobre 1541, chapelle Sixtine, est dévoilé le Jugement dernier. Battista Franco a fait le déplacement pour assister à ce « vernissage » sans commune mesure. Emerveillé, il dessine la vaste composition. Il reste à Rome, peignant des grotesques pour le palais d’un cardinal donnant sur la place Saint-Pierre (détruit lors de l’édification de la colonnade par le Bernin), ainsi qu’une Arrestation de Jean-Baptiste pour l’Oratoire San Giovanni Decollato. Ce tableau reste celui d’un « suiveur secondaire » (Itinéraires romains) : telle figure est une « transposition littérale et gratuite du michelangélisme ». Vasari, son confrère et biographe, note qu’à cette époque la peinture de Franco est très inférieure à son dessin.

    C’est à Urbino que Battista Franco digère Michel-Ange et s’épanouit (1543-1551). Il est au service du duc Guidobaldo II della Rovere. Là encore, son talent de décorateur est mis à contribution ; ainsi lors du mariage du duc avec Vittoria Farnese (1547), petite-fille d’Alexandre Farnese alors pape (Paul III, 1534-1549), fille du bouillant condottiere Pierre-Louis. L’activité de Franco se diversifie. Il dessine force décors pour la vaisselle en majolique, industrie locale : toute une série sur la guerre de Troie. Dans la cathédrale il entame un vaste cycle de fresques sur les Vies de la Vierge et du Christ. Une partie restera inachevée.

    Viennent d’autres années romaines, entre 1548 et 1552. Décorateur pour le théâtre, pour l’opéra, il est chargé de peindre les armes de Jules III, et obtient une commande prestigieuse : peindre les fresques de la chapelle Gabrielli à Sopra Minerva, qui s’avèrent son chef-d’œuvre. Puis, peut-être à cause de la cherté de la vie romaine, Franco retourne à Venise où il collabore à divers plafonds de divers édifices, tandis que son expérience dans le domaine de la majolique lui sert, appliquée à l’orfèvrerie.

    Plus habile à brosser de grandes peintures festives que doué d’un tempérament de peintre, c’est en dessinateur que Battista Franco se présente devant la postérité. Un dessin précis sans sécheresse (Le Christ parmi les docteurs), vigoureux (Etude pour Cronos), de belles attitudes (une splendide sanguine représentant six hommes). L’Espérance (illustration), est un dessin de la maturité, esquisse pour une peinture du Palais Ducal.

    La collection que possède le Louvre provient en grande partie de celle du banquier allemand Everhard Jabach (1618-1695) vendue à Louis XIV. Il tenait une partie de ses dessins italiens du portefeuille de Vasari lui-même. Sa collection ne se cantonnait pas à Battista Franco, puisque ce furent 5500 pièces qui furent vendues. De ce fonds est né le Cabinet des dessins.

    Des Européens, XVIe-XXe

    Georges Pébereau n’est pas un banquier mais un homme d’affaires français. Il a siégé au Conseil d’Administration du musée de 1996 à 2001, il est désormais administrateur de la Société des Amis. C’est en tant qu’ami qu’il offre au Louvre des dessins qui s’échelonnent du XVIe au XXe siècle, tous azimuts : commencée il y a une trentaine d’années, sa collection se veut éclectique, augmentée par coups de cœur.

    Je ne donnerai pas la liste des artistes, les Italiens du XVIe, les Allemands modernes, les Français. Chacun trouvera, comme G. Pébereau lui-même, son coup de cœur qui peut être l’allégorie de la Tragédie, de grand style, par Vanloo ; l’étude pour saint Protais, par Le Sueur ; Le combat d’un lion et d’un tigre par Delacroix ; une tête de femme par Van Gogh, étude pour ses célèbres Mangeurs de pommes de terre ; Le marchand de poissons, croqué par Géricault à Londres au crayon noir : une scène très Dickens… Et cetera, non inferiora.

    Samuel

    Battista Franco, un artiste vénitien dans les cours d’Italie.

    La collection Georges Pébereau, Maîtres du dessin européen du XVIe au XXe siècle.

    Jusqu’au 22 février 2010, Musée du Louvre.

    illustration : Battista Franco, L’Espérance © RMN / Thierry Le Mage


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  • Au musée d’Orsay

    Un ange du Bizarre

    Présent, 12 déc. 09

    James Ensor est un peintre belge qui a vécu de 1860 à 1949, mais dont la carrière s’arrête dans les années 1900 lorsque, dégoûté par l’incompréhension, il abandonne la pratique de la peinture. La monographie que lui consacre le musée d’Orsay permet d’avoir une idée complète d’une œuvre originale, qui dérouta.

    Belge, Ensor est d’abord d’Ostende. Il y naît, y vit, y meurt. Seules trois années sont bruxelloises, les années d’étude à l’Académie des Beaux Arts (1877-1880). A Ostende, il mène une vie retirée. Son atelier exigu est situé dans la maison familiale. Au rez-de-chaussée, tenue par sa grand-mère puis sa mère, la boutique de curiosités : une accumulation de coquillages, d’animaux marins, de monstres. L’étrangeté des formes, des couleurs, les reflets, marquèrent le jeune Ensor, et l’inspirèrent quand il devint peintre.

    Pour s’aérer, les cieux surmarins d’Ostende, leur immensité, la lumière, qu’avec la présomption de ses vingt ans il crut être le premier à comprendre. Ensor a peint des ciels étonnants dans lesquels l’influence de Turner est mesurable : ciel orageux, explosif, de La tour de Lisseweghe (1890) ; ciel de feu ruisselant jusqu’au sol pour Le domaine d’Arnheim (1890), référence à Edgar Poe, tant aimé des années symbolistes, dont s’est inspiré Ensor pour des dessins liés à la veine gothique de l’écrivain américain (La vengeance de Hop-Frog, dessin).

    De retour de Bruxelles, il abandonne « le travail pondéré et rassis » de l’Académie, « boîte à myopes ». Il peint de grandes toiles, à la matière lourde, mate, des toiles étudiées, construites, qui ont au-delà de ces caractéristiques, une qualité : celle de restituer une ambiance. Parmi autres intérieurs, L’après-midi à Ostende (1881), écho d’Une après-dînée à Ornans de Courbet admirée au musée de Lille : deux femmes prenant le thé dans la pénombre d’un salon chargé. Ce serait presque étouffant si la paix ne prédominait. L’éclairage est indirect, quelques lumières sur un chemisier.

    La mangeuse d’huîtres (1882) appartient à la même veine solide. Ensor y montre qu’il est peintre de scène de genre autant que de nature morte : la table bourgeoisement chargée de vaisselles est prétexte à un déploiement de reflets. Le tableau fut refusé au Salon d’Anvers. De là date la rupture d’Ensor avec tout ce qui se rattache à l’académique. Il participe à la création du groupe des XX, où se rassemblent les artistes en rupture de ban, parmi lesquels Henry de Groux, Félicien Rops, Fernand Khnopff, Léon Spilliaert. (Ce dernier, autre reclus ostendais, de vingt ans le cadet d’Ensor : ils ont en commun l’étrangeté des lumières, les paysages dégagés et angoissants, la passion de l’autoportrait.)

    Avec Les masques scandalisés (1883), Ensor introduit dans son œuvre les masques qui ne la quitteront plus. Ils apportent une note d’étrangeté. C’est l’étrangeté que la critique reproche à Ensor, et celle qu’Ensor ne manque pas de trouver dans l’attitude de ses détracteurs. Les masques appartiennent au folklore ostendais, dont le carnaval est prisé. Ils sont aussi à la mode en cette fin de siècle, mais rares sont les artistes qui l’ont utilisé aussi systématiquement. Dans L’intrigue (1890), un masque ressemble comme deux gouttes d’eau à Mickaël Jackson ; Ensor aux masques (1899) est une réminiscence du Christ aux outrages de Bosch.

    Avec La Mort et les masques (1897), sont associés masques et crâne, autre élément récurrent. Squelettes se disputant un hareng saur (1891, illustration) relève d’une veine goyesque, où l’artiste joue sur son nom, à la façon du langage héraldique. On se souvient d’un crâne fumant une cigarette, par Van Gogh : bizarrerie, mais aussi délassement de rapin, le crâne faisant partie du matériel d’atelier.

    Revenons aux années 1880. Ensor travaille à de petits dessins, des gravures, puis de grands formats qu’il expose au Salon des XX à Bruxelles en 1887 : la série intitulée « Les auréoles du Christ ou les sensibilités à la lumière ». Qu’il s’agisse d’une Crucifixion, d’une Ascension ou de l’Entrée à Jérusalem, le Christ est isolé et lumineux au milieu d’une masse confuse, monstrueuse et moderne. L’Entrée à Jérusalem sera ensuite reprise en Entrée à Bruxelles. Sujets chrétiens ? On connaît le goût de l’art symboliste pour la figure du Christ comme « motif », sa signification sociale plus que religieuse ces années-là, suite aux écrits de Renan. (A rapprocher de l’œuvre de Fernand Pelez, cf. Présent du 28 nov.)

    Hélas pour Ensor, ses dessins ne furent pas compris, pas même par ses confrères des XX, plus intéressés par le Dimanche à la Grande-Jatte de Seurat, invité à l’exposition. Ensor peignit encore une dizaine d’années, se répétant de plus en plus. Sa peinture fut reconnue à partir des années 1910. C’était tardif.

    Samuel

    James Ensor.

    Jusqu’au 4 février 2010, Musée d’Orsay.

    illustration : James Ensor, Squelettes se disputant un hareng saur © MRBAB, Bruxelles © ADAGP, Paris 2009


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  • A l’Ecole des Beaux Arts

    De l’Académie à l’Ecole

    Présent, 5 déc. 09

    L’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts, issue de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, organise dans ses vastes murs deux expositions qui, bien que distinctes, éclairent son histoire. Chacune illustre un sens du mot « académie » : dessin d’une part, « compagnie de gens de lettres, de savants ou d'artistes » d’autre part (Littré).

    Le Brun rassemble quelques artistes à son retour d’Italie en 1644. L’existence de cette académie est reconnue officiellement en 1648. Cela déplaît à la Maîtrise, corporation d’origine médiévale, qui combat pour garder ses prérogatives. Elle se modernise en prenant le nom d’Académie de Saint-Luc. Le rival de Le Brun, Pierre Mignard, en prend la tête. Il y a des essais de fusion, mais les coups bas et les intrigues se multiplient. L’Académie de Le Brun gagne la bataille en 1654 : elle devient « royale ».

    Tous les artistes intéressés par l’Académie naissante sont liés à la cour. Distingués par le Roi, ils trouvent pesant et poussiéreux le système de la Maîtrise basé sur les échelons d’apprenti, de compagnon et de maître. Ils n’acceptent plus d’être confondus avec les artisans et mêlés aux artistes de second plan qui ont leur place dans le système corporatif. Ils aspirent à se retrouver entre artistes reconnus, auprès du trône.

    Côté pouvoir, la création de l’Académie permet de donner au Roi le rang de premier mécène, d’assouvir un besoin d’administrer, en l’espèce de gérer les talents : par l’enseignement basé sur l’antique et le nu, on pense obtenir un rendement maximal.

    Le nu académique

    Cette pratique du nu est si emblématique que le terme d’académie a fini par désigner « une figure entière dessinée d'après le modèle qui est un homme nu, & qui n'est pas destinée à entrer dans la composition d'un tableau ; les figures qui y sont destinées s'appellent études. » Ce sens ne figure pas dans le Dictionnaire de l’Académie de 1694, il apparaît dans l’édition de 1762. La distinction entre académie et étude est assez théorique.

    Les noms de quelques modèles sont restés dans l’histoire. Il y a Saint-Germain père, qui pose de 1664 à 1675, puis Saint-Germain fils ; Francisque, d’origine italienne ; Deschamps, modèle entre 1725 et 1765. Les uns et les autres sont identifiés sur certains dessins.

    Les dessins que conserve l’Ecole des Beaux Arts ont été donnés par les artistes à l’Académie royale, comme les statuts les y obligeaient. Ils avaient donc valeur d’exemples, se devaient d’être très poussés. Les artistes utilisent les ressources du dessin : couleur du papier, rehauts, trois crayons, sanguines, etc. Une quinzaine d’artistes des XVII et XVIIIe sont représentés : Nicolas Mignard (frère de…), Jean-Baptiste de Champaigne (neveu de…), les Coypel père et fils, Boucher, Nattier, Van Loo… Gros et Isabey font le lien entre le XVIIIe et le XIXe. Boucher construira sa carrière sur les nus féminins, mais n’est pas inférieur face à un modèle masculin. Le dessin de Van Loo, une pose moins conventionnelle, est une merveille.

    L’Académie libertaire ?

    La seconde exposition rassemble portraits de fondateurs, morceaux de réception, Grand Prix, concours de torse, autres pratiques caractéristiques de la vie académique. Dans l’ensemble, plus des exercices que des œuvres, à part la partie qui évoque le Salon. L’angle est inattendu : « L’histoire de l’Ecole académique fourmille de personnalités et d’œuvres révolutionnaires en leurs temps et irrévérencieuses envers tous les pouvoirs. »

    Les artistes du XVIIe auraient donc cherché à ridiculiser Louis XIV en le représentant en Hercule, « ce balourd de l’antiquité » (sic, communiqué de presse). Au XVIIIe, ils seraient le fer de lance du libertinage. Il est remarqué que, pour Jéroboam sacrifiant aux idoles (Grand Prix de1752), « le jeune Fragonard met le veau d’or autant en valeur que le prophète Jéroboam ». Veut-on nous faire croire à une audace ? L’audace ici consiste à faire de Jéroboam un prophète. Fragonard, lui, se conforme au texte biblique. Le tableau de Desmarais Horace tue sa sœur Camille (Grand Prix de 1785) est un « exemple de sujet féministe ».

    Le débraillé même d’Hubert Robert serait prérévolutionnaire (illustration). Les modernes ont une telle idée de l’Ancien Régime qu’un rien est interprété comme une provocation alors que ce n’est que la manifestation de la liberté qui régnait alors. D’une façon générale, sont prêtées aux artistes des idées qui sont celles du temps, répandues dans les classes cultivées au XVIIIe : l’exemple même d’un certain conformisme, et non d’un courage.

    Samuel

    L’Ecole de la liberté, être artiste à Paris, 1648-1817. Jusqu’au 10 janvier 2010, ENSBA, 13 rue Malaquais, Paris 6e.

    L’Académie mise à nu, L’Ecole du modèle à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Jusqu’au 29 janvier 2010, ENSBA, 14 rue Bonaparte, Paris 6e.

    illustration : Augustin PAJOU, Buste d’Hubert Robert, 1766.


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  • Au Petit Palais

    F. Pelez

    (1848-1913)

    Présent, 28 nov. 09

    De son vrai nom Ferdinand Pelez de Cordova, Fernand Pelez naît à Paris en 1848 d’un père espagnol et d’une mère française. Le gène artistique est de famille. Le père est illustrateur. Le frère de Fernand Pelez sera connu comme dessinateur satirique dans les années 1880 sous le pseudonyme de « Chalumeau ». Il y a aussi un oncle aquarelliste et un cousin peintre.

    Formé par son père, F. Pelez entre aux Beaux Arts en 1870, où il est élève d’Alexandre Cabanel ; il suit également des cours à l’académie Julian. Il prend la voie sur laquelle le mettent ses études, celle de la « grande peinture », témoins ses premières participations au Salon. Le tableau Adam et Eve (1876) doit beaucoup à une Expulsion du Paradis de Cabanel, mais le fond presque nu, en tout cas plus dépouillé, annonce la manière ultérieure du peintre. Jésus insulté par les soldats (1877), Mort de l’empereur Commode (1879)… Peinture salonnarde et ennuyeuse dont Pelez se détourne, suivant les pas de Jules Bastien-Lepage, autre élève de Cabanel : il expose en 1880 sa première toile personnelle, d’inspiration naturaliste : Au lavoir. Les miséreux de Paris, particulièrement les enfants, la femme du peuple, deviennent ses sujets privilégiés. La belle Blanchisseuse endormie (vers 1880), une famille Sans asile (1883), Le marchand de violettes, Le marchand de citrons, La première cigarette, Un nid de misère…

    En peignant les frères et sœurs de Gavroche, Pelez prend le contre-pied d’une IIIe République qui se présente plus volontiers sous les dehors d’une société épanouie par la pratique des Arts et de l’Industrie. Il est à mille lieues de la facture facile d’un Basile Lemeunier dont les enfants des rues sont aimables et les femmes élégantes et aguicheuses. Sa peinture provoqua des opinions partagées, entre « réalisme répugnant » et « émotion poignante ». Peinture « pour concierge sensible », écrivit un journaliste. En réalité, dépouillée de vulgarité, de voyeurisme et de sensiblerie, elle n’est jamais facile. On y chercherait en vain les manières triviales et les grosses ficelles dont le naturalisme s’est souvent contenté. Il s’est forgé sa touche, empâtée, a trouvé des harmonies austères de tons éteints et jamais sales.

    L’œuvre la plus forte est la parade de saltimbanques sur l’estrade, datée de 1888, composition en long formée de panneaux juxtaposés. Les raccords entre certains panneaux témoignent de repentirs en cours de réalisation. Au centre, un nain sérieux, un clown au regard absent et un bonimenteur vulgaire. A gauche, des enfants en costume de scène. A droite de vieux musiciens. Connu sous le titre Les Saltimbanques, le tableau s’appelle aussi Grimaces et misère ; il y a, avec moins de violence picturale et moins d’expression grotesque, du Rouault là-dedans.

    Cela pourrait aussi s’appeler : les âges de la vie. Les enfants sont rangés par taille croissante, de l’enfant qui pleure à l’adolescente résignée. Trois possibilités d’être adulte : un nain ambivalent, un être vulgaire au regard entendu, un clown hors du monde – figure magnifique que ce clown dans son ample vêtement blanc tatoué d’une grosse grenouille rouge (illustration). La vieillesse est égale : des clochards résignés qui retournent à l’obscurité. Deux perroquets et un singe, attributs de chaque âge, sont liés par une chaîne à leur perchoir. Vous qui entrez ici…

    En 1896, Pelez expose une autre grande composition, L’Humanité, dite aussi Le Christ dans le square. On connaît une photographie de cette peinture qui rassemblait quelques spécimens d’humanité derrière lesquels se dressait un Christ en croix fantomatique. Une autre croix apparaît dans le triptyque La Chapelle, qui rassemble des orphelines en prière devant une morte. Difficile d’attribuer un sens précis à la croix : profession de foi ? Motif symboliste ? Une orientation poétique prend le pas dans sa peinture. La bouchée de pain (1904), commande d’Etat sur le thème de la Charité, n’est connue que par de nombreuses études autonomes : c’est un cortège de clochards d’allure spectrale. Pelez a été académique par formation, naturaliste par la bande. Le moyen d’expression qui lui correspond peut-être le mieux, qu’il finit par trouver, est la parabole. Les danseuses (1909), Les petites figurantes (1911-1913), toiles qu’accompagnent aussi des études, ont l’irréalité des compositions du Puvis de Chavannes.

    La peinture très personnelle de Fernand Pelez ne l’a pas empêché d’être membre du jury du Salon des artistes français entre 1894 et 1912 ; son implication dans la vie montmartroise, d’être promu chevalier de la Légion d’honneur en 1910. Sa carrière illustre la perméabilité des mondes académique et bohême vers 1900, mondes qu’on a l’habitude de considérer comme incompatibles.

    Samuel

    F. Pelez, la parade des humbles.

    Jusqu’au 17 janvier 2010, Petit Palais.

    illustration : F. Pelez, Les Saltimbanques (détail) © Petit Palais / Roger-Viollet


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