• Au Grand Palais

    Renoir

    Présent du 21 novembre 09

    Il est d’autant plus nécessaire de visiter la rétrospective Renoir au Grand Palais que Renoir un des peintres les plus imbuvables qui soient – en reproduction. On ne peut le voir qu’en peinture.

    Autre raison : la période concernée, les vingt-cinq dernières années de sa vie (1894-1919), souvent oubliées, voire méprisées au profit des années impressionnistes. Renoir s’est détourné de l’impressionnisme dans les années 1880. Dans sa maturité, il privilégie la peinture d’atelier. Sa méfiance à l’égard de tout système et son admiration pleine de simplicité pour le monde qui l’entoure le poussent à peindre avec comme unique fin la satisfaction d’avoir saisi une miette de beauté. Son art est pour l’essentiel un art de la figure plus que du portrait, ses baigneuses situent le nu hors du temps. Dans ce début XXe où fleurissent les –ismes, il affirme sa volonté de se maintenir sur un plan décoratif.

    On oublierait facilement, en regardant les toiles de la maturité, que l’artiste était perclus de rhumatismes. Il perdit l’usage de ses jambes, puis de ses mains, la gauche recroquevillée. Renoir apparaît filmé au chevalet, clope au bec. Un assistant lui tourne sa palette, lui met le pinceau en main. Il donne un coup de brosse, rejette le buste en arrière, cligne de l’œil. Le contraste entre le corps meurtri et l’œil vif, est saisissant. Le film est muet mais Renoir a la langue bien pendue. C’est une courte séquence qui correspond à l’image qu’a donnée de son père Jean Renoir, le cinéaste, dans les souvenirs qu’il lui a consacrés (Pierre-Auguste Renoir, mon père, 1962).

    Du peintre, né à Limoges en 1841, le fils a retracé l’enfance dans une des vieilles maisons du XVIe siècle entre Louvres et Tuileries, puis au Marais rue des Gravilliers, autre couloir de maisons tortes. Marqué par cet environnement, Renoir concevra un profond mépris pour Viollet-le-Duc et Hausmann. Son père était tailleur. L’aîné fut mis en apprentissage chez un orfèvre de la rue des Petits-Champs, et lui chez un peintre sur porcelaine rue Vieille du Temple dans les années 1855.

    Suivent les études dans l’atelier de Ch. Gleyre aux Beaux-Arts, la constitution de la bande impressionniste, le combat des années 1870 ; puis, le combat livré, le retour de chacun dans son foyer. Renoir trouve en Aline Charigot une épouse attentive à ce que la vie s’organise pour qu’il puisse peindre en toute quiétude. Entouré de ses enfants, de ceux du voisinage, des bonnes et des modèles, Renoir partage sa vie entre un Montmartre encore populaire, le village d’Essoye (Aube) d’où est originaire sa femme, puis Cagnes où le soleil soulage ses articulations. Il y achète le domaine des Collettes, qui devient un lieu de pèlerinage. Matisse fut un des visiteurs réguliers : « Le grand bénéfice que j’ai tiré de mes visites chez Renoir fut de constater qu’après une longue vie de travail, la curiosité d’un artiste pouvait ne pas être épuisée. Et c’est l’espoir d’un progrès à ajouter à son œuvre qui tenait Renoir en vie. »

    Bien des aspects de la peinture de Renoir sont peu attractifs : la touche savonneuse, les harmonies acides, les tons roses et orangés répétitifs. Cependant certains tableaux ont un goût de revenez-y. En les rassemblant, je constate que ce sont ceux pour lesquels posa Gabrielle. Jeune paysanne d’Essoye, Gabrielle fut engagée pour s’occuper du jeune Jean. Plus tard elle s’occupa du vieux peintre malade. Elle fit partie de la famille Renoir entre 1894 et 1914. Pendant cette période, elle pose pour près de deux cents tableaux : Gabrielle et Jean (1895), Gabrielle à la rose (1899, puis autre version en 1911), Gabrielle lisant ou reprisant (1906)… Encore elle dans La danseuse aux castagnettes (1909) et, je suppose, dans cette femme qui se coiffe (illustration).

    Renoir a eu beaucoup de modèles, mais Gabrielle ne paraît pas avoir été « une parmi d’autres ». La masse de sa chevelure brune constitue une base solide sur laquelle établir une harmonie contrastée, du coup la fadeur qui voile tant de toiles est absente. L’affinité entre un peintre et un modèle n’est pas si courant. De même qu’on associe Raphaël et la Fornarine, Maillol et Dina Vierny, on peut associer Renoir et Gabrielle, pour l’amour de l’art.

    L’œil ingénu de Renoir lui a fait contempler le monde avec un grand bonheur. La crainte de « penser » son art l’a peut-être limité en partie. Il a toujours voulu rester dans les bornes d’un art vécu comme un artisanat. «Moi, du génie ? Quelle blague ! Je ne prends pas de drogues, n’ai jamais eu la syphilis et ne suis pas pédéraste ! Alors ?... » Alors il n’aurait pas fait un bon ministre de la Culture, mais il a été un bon peintre.

    Samuel

    Renoir au XXe siècle.

    Jusqu’au 4 janvier 2010, Galeries nationales du Grand Palais.

    illustration : P.-A. Renoir, La toilette, Musée d'Orsay © Rmn / Hervé Lewandowski


    votre commentaire
  • A la Pinacothèque

    Autour de Vermeer

    Présent du 14 novembre 09

    Dans la file d’attente, une adolescente à son frère plus âgé : « – C’est bien la peine de venir voir des vieux trucs, avec tout ce monde. – Pas grave, on ira au cinéma demain. – Ah non. S’il faut je verrai tout ça en dix minutes, mais on va à la séance de 16 h 40 comme prévu. » Le Rijksmuseum étant fermé pour travaux, une centaine de tableaux du Siècle d’or hollandais a été confiée à la Pinacothèque de Paris : les « vieux trucs » susdits.

    La fécondité artistique du XVIIe siècle hollandais est attribuée tantôt à l’épanouissement commercial, tantôt à la tolérance, parfois aux deux. Que la création serait chose simple ! Un peintre français, Jean Legros (mort suicidé en 1981 par suite de l’incurie des galeristes et des éditeurs), a écrit de fortes lignes sur la peinture bruyante, qui bavarde et provoque des bavards, et la peinture silencieuse qui nourrie d’intériorité la favorise. La peinture hollandaise atteint des sommets parce qu’elle prend assez naturellement le chemin du silence.

    Un tableau de fleurs de Jan Davidsz de Heem manque d’unité, sent la démonstration : c’est un tableau qui bavarde. Du même peintre, une Nature morte avec des livres s’élève au premier ciel. La Nature morte avec un verre de bière de Jan Jansz van de Velde est silencieuse. Elle rassemble, décentrés, un verre mousseux, des citrons, des objets en étain, une porcelaine. Elle montre que le réel est digne de respect ; qu’avec de l’attention on passe per visibilia ad invisibilia. L’intervention mentale et spirituelle – et non intellectuelle – de l’artiste confère une valeur supplémentaire aux choses.

     « Ce qui est le plus abstrait, écrivait J. Legros, est ce qui est le plus mental et si l’on me demandait de désigner ce que je considère comme étant la peinture mentale, je désignerais Vinci, Pierro Della Francesca, Vermeer, et non pas la grande part de la peinture d’aujourd’hui qualifiée d’abstraite sous le prétexte qu’il y a absence d’objets. » Les Hollandais ont aimé les objets, c'est-à-dire ce qu’ils avaient sous les yeux. Ce verre de bière dont nous parlions. Un visage comme celui de la jeune fille dessiné par Leendert van der Cooghen, au regard vert inscrit dans un modelé rigoureux. Un moulin à eau, observé par Van Ruysdael.

    Peu de noms de peintres viennent sous la plume de J. Legros lorsqu’il pense à la peinture du silence. Celui de Vermeer n’y manque jamais. « Une certaine qualité de silence. – Cimabue, Vinci, Vermeer, Georges de La Tour… » Infra : « L’art du silence. – L’art divin : Ravenne – Les verrières de Chartres – Vermeer. » La Pinacothèque peut proclamer naïvement que Rembrandt est « le plus grand peintre de tous les temps », l’unique Vermeer présenté est le centre d’un monde : tous les autres tableaux ont l’air d’être autour de lui. On regarde cette Lettre d’amour de 38 cm sur 44 (illustration) et on a honte pour les autres peintres qui ont pris une toile beaucoup plus grande pour dire beaucoup moins. Jamais peinture ne fut plus silencieuse. Il semble que dans cet intérieur tout y prenne de la qualité. Les bruits doivent y devenir des sons.

    Chaque tableau de Vermeer est baigné de ce silence de qualité. La beauté, disait Angèle de Foligno, nous ferme les lèvres. Quand on pense que même Scarlett Johansson, à qui fut confié le rôle de la « jeune fille à la perle » dans le film de Peter Webber (2003), n’est pas aussi parfaitement belle que la jeune fille de la peinture, on mesure le don de Vermeer.

    D’autres artistes sont dans son orbite. Les fées les ont honorés de dons qui ne sont pas méprisables. Il leur manque tout de même cette once de cosa mentale qui permet à Vermeer de se situer plus haut. L’atelier du tailleur de Quiringh van Brekelenkam organise l’espace à sa manière, mais c’est encore trop une scène de genre. La Jeune fille assise en costume de paysanne de Gerard ter Borch est encore trop un portrait. Le devoir d’une mère de Pieter de Hooch n’a pas la qualité picturale, la touche amoureuse de Vermeer – car au fond la lettre d’amour n’est pas ce bout de papier que tient la jeune femme, ni ces lettres qu’elles lisent ou écrivent dans les autres toiles du Maître, c’est le tableau lui-même, voire son œuvre peint.

    Il arrive qu’un artiste donne une nouvelle vision du monde, de sorte qu’après lui cette dimension supplémentaire, qui ne manquait pas tant qu’elle était ignorée, devient essentielle. Qu’il existe une vision personnelle prouve l’existence d’un monde intérieur, existence que par extension on peut attribuer à chaque être humain même si rarement elle est appelée à être révélée et si plus rarement encore elle est de qualité. A cette théorie proustienne de l’art comme preuve de l’existence de l’âme, l’exemple de Vermeer convient.

    Samuel

    L’Age d’or hollandais, de Rembrandt à Vermeer.

    Jusqu’au 7 février 2010, Pinacothèque de Paris (VIIIe arr.).

    illustration : Johannes Vermeer, La lettre d’amour, c. 1669-1670 © Rijksmuseum Amsterdam 2009


    votre commentaire
  • Au musée Rodin

    Rodin ou Matisse

    Présent du 7 novembre 2009

    En 1899, Matisse a trente ans, il peint depuis une petite dizaine d’années et s’essaye à la sculpture en s’inspirant d’un jaguar de Barye. Il fréquente l’atelier de Cormon, l’académie Camillo où corrige Carrière, la Grande Chaumière où corrige Bourdelle. Il achète au marchand Vollard une toile de Cézanne, une de Gauguin ; un dessin de Van Gogh ; le buste de Rochefort par Rodin. Que des bons maîtres, Barye inclus. Cette année-là, Rodin fait sa première exposition individuelle. Il a cinquante-huit ans.

    L’année suivante Matisse se présente chez Rodin, dont la gloire se lève, pour lui montrer ses dessins. L’avis du maître est plutôt frais. Est-ce l’artiste arrivé qui juge le débutant ? Cela ne ressemble pas à Rodin, qu’on sait accueillant et bienveillant. Cela n’empêche pas la franchise. Il lui conseille de pousser plus ses dessins, de les pignocher, mot de l’argot des peintres. Il ne l’incite pas à un rendu plus académique mais à ne pas se satisfaire d’une forme approximative. Face à face, les dessins de l’un et l’autre sont aussi révélateurs que deux écritures pour un graphologue qui ne se laisse pas prendre à une ressemblance générale mais distingue dans l’une une tension, dans l’autre une mollesse. Rodin est toujours bon, Matisse est rarement juste. Seuls ses dessins plus travaillés approchent le volume (Nu renversé au grand feuillage, 1936), l’estompe au fusain pallie la faiblesse du trait.

    Au fond Rodin a lu dans les dessins de Matisse ce que son œuvre ultérieure confirme, une impossibilité foncière à saisir la forme. Echaudé, Matisse ne s’y refrottera pas. Cependant comme tout sculpteur à cette période Matisse subit l’emprise de Rodin. Le Serf, auquel il travaille de 1901 à 1903, œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie de Matisse, doit beaucoup à L’homme qui marche, à certains Balzac, et, à l’origine, à l’un des bourgeois de Calais (Jean d’Aire nu). Mais les bras du plâtre ayant été cassés, l’artiste l’ampute radicalement suivant l’exemple de Rodin.

    A côté de ce Serf, indéniablement réussi, de bronzes heureux comme les premiers bustes de Jeannette (1911), comme le Grand nu assis des années 1920, les nombreuses sculptures de Matisse, soit une trentaine de bronzes, sont faibles et ne se relèvent guère de leur confrontation avec celles de Rodin. La moindre des œuvres de Rodin, écrivait Daniel-Rops en 1941, « est chargée d’intention ». C’est vrai pour les dessins et, ajoutait-il, « combien plus vrai encore pour l’œuvre sculptée où la moindre surface, le plus petit modelé obéit à toutes sortes d’intentions, mystérieuse et complexe dans sa simplicité comme est la forme même de notre être. » Chaque nu de Rodin est une idée, alimentée par la vue des formes humaines – pour reprendre les termes de l’artiste. Le modèle est digéré. Rien de tel chez Matisse, dont les nus sentent toujours le modèle. Matisse croit passer du corps à l’idée en maltraitant la forme. C’est en cela qu’il est « moderne », c'est-à-dire – au mieux – du XXe siècle. Sous prétexte de « simplifier » la forme, il l’appauvrit, la vide de sa substance. La démonstration est claire avec les quatre grands reliefs du nu vu de dos. Le relief originel date de 1909. Il en retouche des tirages en 1913, 1916 et 1930. Il aboutit à un relief en bronze qui est si triste du point de vue de la forme qu’on voudrait le couler en béton.

    La grande toile de La Danse (3,9 x 2,6 m) est un des chefs-d’œuvre de Matisse (1909-1910). Ce thème lui était cher, il le traita à nouveau pour le Docteur Barnes, puis composa encore diverses « Danses de Paris » en version ocre, en version bleue. Il exécuta les décors et les costumes d’Etrange Farandole (Les Ballets russes, 1938). Ce thème n’a pas été moins cher à Rodin, dont on croit tout connaître, mais dont le musée, ou plus exactement ses réserves regorgent de trésors comme ces œuvrettes qui tiennent chacune dans une boîte à chaussures et éblouissent : sept statuettes de danseuses (illustration). Les musiques et les danses exotiques révélées par les Expositions universelles ont touché les artistes. Erik Satie compose la 5e Gnossienne après y avoir entendu les musiques roumaines et hongroises, tandis que Debussy est touché par les accents balinais. Rodin, par ailleurs ami d’Isadora Duncan, étudie les danseuses javanaises en 1889, cambodgiennes en 1906. En 1912, les Ballets russes remuent Paris, il s’intéresse à Nijinsky, dont il modèle un mouvement plutôt sportif. Mais les statuettes féminines ne sont pas les dionysiaques personnages du Sacre du Printemps : d’apolliniennes figures. Il faut une drôle de pénétration artistique pour capturer ainsi le mouvement sans gesticulation, uniquement par la tension de la forme. Ici plus qu’ailleurs le fossé entre les deux sculpteurs est profond.

    Samuel

    Matisse & Rodin. Jusqu’au 28 février 2009, Musée Rodin.

    illustration : Rodin, Mouvement de danse, 1911 © Musée Rodin / C. Baraja


    Voir également

     

    votre commentaire
  • Au château d’Angers

    Les livres du Roi René

    Présent 31 octobre 2009

    Né en 1409 au château d’Angers, le roi René a été fêté en Anjou tout au long de l’année. Les châteaux de Montriou, de Saumur, de Baugé, des Ponts-de-Cé, le manoir de Launay ont rendu hommage au roi chasseur, festif, ami des arts. Le château de Chanzeaux a été choisi pour évoquer la légende du « bon roi René », chevalier, peintre et jardinier.

    Une légende façonnée au XIXe, qui oppose un peu plus les profils de Louis XI et de son oncle, déjà naturellement assez contrastés. D’une part Louis XI, formé à la dure par son enfance triste au château de Loches, confronté à la jalousie de son père, luttant sans relâche pour agglomérer des terres au royaume de France et constituer un Etat ; de l’autre le roi René, héritier d’une mosaïque de territoires qui lui échappent peu à peu, rêveur qui se réfugie dans un monde de tournois et de plaisirs honnêtes et cultivés. Louis obtient par la diplomatie ce que René perd par les armes. Le neveu trouve son plaisir dans les rapports des espions, l’oncle dans les poèmes et la lecture.

    La galerie de l’Apocalypse rassemble jusqu’au 3 janvier quelques livres de la bibliothèque du roi René et de celles de ses proches, Jeanne de Laval son épouse, Charles son frère, René II de Lorraine son petit-fils. La Maison d’Anjou aimait les livres. Le Psautier de Mayence, deuxième livre imprimé de l’histoire (1457), est offert par René aux Franciscains du couvent de la Baumette, qu’il a fondé par piété envers la Madeleine et la Sainte-Baume. Le roi et ses proches font travailler les peintres qui ont nom Barthélémy d’Eyck, Georges Trubert, ou, anonymes, le nom des œuvres qu’ils ont laissées. Les comptes de Jeanne de Laval font apparaître des règlements aux « écrivains » (ceux qui calligraphient textes et rubriques), aux enlumineurs et aux relieurs. Sa bibliothèque se compose de traités religieux et de romans courtois. Le comte du Maine rassemble des textes rares, comme ce Commentaire sur Tite-Live de Nicolas Tiveth. On le voit, plongé dans sa lecture, sur une miniature tirée du Traité des oiseaux d’Albert le Grand.

    Le mécénat du roi René, sa proximité avec les peintres, leur collaboration lors de l’illustration de ses écrits expliquent que la mémoire collective l’ait vu en peintre, alors qu’il est un écrivain. Mortifiement de Vaine Plaisance (1455), Livre du Cœur d’Amour épris (1457) sont des méditations qui tentent de s’incarner dans les personnages sans chair ni os que sont les allégories. Tel était le goût du temps. (Notre époque, concédons-le, n’est pas en reste : ses hérauts ne clament-ils pas que Sans-Papiers arrive accompagné de Prospérité au pays de Xénophobie ?) Le livre des tournois, écrit entre 1462 et 1465 est un traité technique qui codifie les joutes chevaleresques.

    Barthélémy d’Eyck a été l’artiste le plus proche du roi René. A son service de 1447 à 1470, c’était un intime. Il avait son siège et sa table de travail dans les appartements royaux. Une lettre de sa veuve, Jeanne de la Forest, adressée au roi, montre l’amitié qui unissait les deux hommes et l’intérêt du roi pour le fonds d’atelier.

    B. d’Eyck illustre magistralement Le livre des Tournois par des planches qui fourmillent d’armures et d’étendards, dans un style qu’on pourrait croire du XXe siècle. Il peint le profil de Louis II coiffé d’un turban rouge ou une Vierge au voile bleu pour les Heures du roi. Ses illustrations pour le poème de Regnault et Jehanneton sont connues par une copie. Ce poème chante les amours du couple royal, qu’on devine derrière les diminutifs, sur le mode de la bergerie. Le baiser, le pique-nique, la balançoire… L’amour de René et Jeanne de Laval (sa seconde épouse) apparaît encore dans le psautier de la reine sous la forme d’un couple de tourterelles sur une branche de groseillier.

    La collaboration entre le roi et le peintre, la créativité de celui-ci sont évidentes à la vue des images du Mortifiement de Vaine Plaisance. Le mérite du peintre est de donner corps aux allégories (« Ame confie son cœur à Crainte de Dieu et Contrition »), à raconter les diverses paraboles comme celle de la vieille femme, chargée d’un sac de blé, qui s’apprête à traverser un pont branlant (illustration).

    Bien d’autres images ressuscitent un monde féodal dans toute la fraîcheur des cimiers colorés, des écus bariolés, qu’elles ornent des diplômes (lettre d’anoblissement, passeport pour la Terre Sainte, hommages vassaliques), les statuts de l’Ordre du Croissant créé par le roi pour fédérer ses amis, ou La relation du Pas de Saumur, joute courtoise de 1446, avec dames, chevaliers et sergents, où l’on admire « René d’Anjou sortant combattre le duc d’Alençon ».

    Samuel

    Splendeur de l’enluminure, le roi René et les livres.

    Jusqu’au 3 janvier 2010, Château d’Angers

    illustration : Mortifiement de vaine plaisance.

    Enluminé par Barthélemy d’Eyck, achevé par Jean Colombe vers 1470-1475. © Metz, Bibl. mun.


    votre commentaire
  • Au musée Carnavalet

    Images de la Révolution

    Pr ésent du 24 octobre 2009

    Le musée Carnavalet possède la plus impo rtante collection mondiale d’images et d’objets de la période révolutionnaire (2500 numéros). Les petites et grandes dates de la Révolution ne sont-elles pas parisiennes, comme les gravures souvent anonymes, souvent rudimentaires, qui les racontent ? C’est Berthier de Sauvigny qui reconnaît la tête de son beau-père au bout d’une pique, les Dames de la halle qui partent pour Versailles ; le déboulonnage des statues, les massacres de l’abbaye de Saint-Germain ; l’arrestation à Varennes, le roi décapité…

    Plus que tout autre événement, la prise de la Bastille et sa démolition ont provoqué un flot d’images dont le type s’est fixé assez rapidement. Rares sont les gravures ou les aquarelles qui constituent une suite narrative : en général tout est condensé en une seule image. Rolf Reichardt, de l’université de Giessen (Hesse), publie une passionnante étude sur l’iconographie de la Bastille, à partir des collections du musée. (On goûtera au passage l’introduction embarrassée du Pr Michel Biard. Pris en sandwich entre reconnaissance des massacres et « réflexion citoyenne », « patrimoine mémoriel », il craint « une désorientation des citoyens nuisible à toute démocratie digne de ce nom. » Comme dit la légende d’une grossière gravure : « La véritable guillotine ordinaire, ha le bon soutien pour la liberté ».)

    R. Reichardt montre la naissance du mythe d’une prison infernale au cours du XVIIIe, mythe créé par d’anciens prisonniers, puis celle du mythe de la prise de la forteresse, créé par ceux qui y participèrent – ou le prétendirent : une commission examina les témoignages et délivra des brevets aux 954 officiels « Vainqueurs de la Bastille ». La distinction, en période d’égalitarisme, fut mal perçue et les Vainqueurs renoncèrent prudemment aux honneurs annoncés.

    Le patriote Palloy a joué un grand rôle dans l’imagerie bastillaise. De son propre chef, il commença la démolition, puis obtint un mandat officiel et des subventions intéressantes. La forteresse détruite, il l’exploita encore en inondant la France de médailles frappées avec le métal des chaînes, des serrures ; de pierres récupérées taillées à l’image de l’ancienne prison qu’on promena en procession, ou gravées, transportées par des « Apôtres de la liberté » qui agrémentaient le don de déclarations verbeuses et de gravures à la gloire de la Révolution et de Palloy lui-même. La reddition de comptes, embrouillée, rendit celui-ci plus discret.

    Hubert Robert en tant que peintre des ruines ne pouvait manquer de peindre la démolition de la Bastille. Par la suite incarcéré à Sainte-Pélagie et à Saint-Lazare, il peignit les promenades dans la cour, sa propre cellule. Il y fit le portrait du poète Roucher, qui sera guillotiné le même jour que Chénier. Lui-même n’y passa pas. « Dum spiro spero », écrivit-il sur un dessin de sa captivité. L’Italie devait lui paraître loin (cf. Présent du 17 oct.).

    Jacques-Louis David fut le fervent révolutionnaire qu’on sait. Dans Le Triomphe du peuple français sur la monarchie, le peuple français figure en Hercule, comme lors de la fête de l’Etre suprême représentée par Th. Ch. Naudet, ou au sommet d’un Temple de l’Egalité resté à l’état de projet. J.-L. David dessina des vêtements républicains : le décret du 25 floréal an II ne projetait-il pas une « régénération du costume » ?

    Régénéré également, le calendrier inspire au peintre Louis Lafitte douze compositions gravées par Salvatore Tresca. Le sentiment rousseauiste de la nature et l’élégance néo-classique donnent des images charmantes, malgré la relative banalité des jeunes femmes qui personnifient les mois. Les quatrains ajoutés sont mirlitons à souhait.

    Plus réalistes, d’un art fin sous des dehors presque naïfs, les personnages découpés de P.-E. Lesueur ressuscitent personnages, costumes, attitudes. Les légendes sont postérieures. Don patriotique de jeunes ouvrières, repas républicain ; le « Terroriste du temps de Robespierre payé pour susciter des querelles et occasionner des arrestations », le Jacobin « réfléchissant sur la manière de gouverner la France » procèdent d’un fin talent d’observation et de synthèse (illustration).

    Les caricatures sont moins nombreuses que les gravures narratives (le géant Iscariotte Aristocrate), et, comparées aux caricatures anglaises exposées à l’étage, moins talentueuses d’un point de vue graphique, moins incisives. Les Anglais s’en prennent violemment, crûment, tantôt à la famille royale, tantôt aux sans-culotte, voire à tous en même temps.

    Samuel

    La Révolution française, trésors cachés du musée Carnavalet.

    Caricatures anglaises au temps de la Révolution et de l’Empire.

    Jusqu’au 3 janvier 2010, Musée Carnavalet.

    Rolf Reichardt, L’imagerie révolutionnaire de la Bastille (Collections du musée Carnavalet), 2009, 45 euros.

     

    illustration : P.-E. Lesueur, Jacobins et terroristes, 1789 © Carnavalet / Roger-Viollet


    votre commentaire