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Toujours l’Italie
Présent du 17 octobre 09
Un peu d’Italie est toujours bon à prendre. Après Orsay le printemps dernier (le voyage italien au XIXe), le Petit Palais et la Vie romantique s’associent pour évoquer le voyage artistique à partir du XVIIe siècle.
Albrecht Dürer fut, dans les années 1500, le premier étranger à venir en Italie pour goûter par lui-même l’ambiance créatrice des cités. A partir des années 1510, les œuvres de Michel-Ange et de Raphaël, sans oublier les antiquités, attirèrent à Rome les artistes italiens eux-mêmes, puis leurs confrères européens. Le voyage à Rome devenait une étape essentielle de la vie d’un artiste, et ce pour trois siècles et demi.
Les artistes français ont bénéficié d’un séjour institutionnel sous la forme du Prix de Rome, entre 1663 et 1968. D’abord réservé aux peintres et aux sculpteurs, le Prix a été élargi aux architectes (1720), puis sous Napoléon aux musiciens et aux graveurs. Le séjour de plusieurs années s’effectuait aux frais de la Couronne, de la République. Certains artistes sont devenus de très appréciés directeurs de la Villa Médicis, Ingres par exemple.
Il n’y avait pas que des primés à fréquenter Rome. L’attraction était telle que tout peintre tentait d’y aller, à ses frais ou à la charge d’un mécène. Delacroix ne put faire le voyage. Le premier voyage de Corot fut financé par ses parents, deux autres suivirent. La présence française à Rome est continue, riche, changeante puisque les uns arrivent et les autres partent ; mais certains y restent longuement. Au XVIIe, Jacques Sarrazin y séjourne dix-huit ans, François Perrier cinq ans puis dix ans, Simon Vouet douze ans, Pierre Mignard vingt ans, Poussin seize ans. Le Roi rappelle ceux dont il estime le talent nécessaire à son éclat. Vouet et Mignard s’exécutent, Poussin aussi mais n’a qu’une hâte, retourner à Rome, où il passe les vingt-cinq dernières années de sa vie.
Claude Gellée, dit le Lorrain (1600-1682), adolescent orphelin, quitte sa région natale et arrive – plutôt par hasard – à Rome où il devient domestique du peintre Agostino Tassi. Il broie les couleurs, s’essaye à peindre, étonne son maître qui le prend comme élève. Il se forme également à Naples puis en Lorraine auprès de Claude Deruet, lui-même ancien romain. Touché par le virus italien, Claude Gellée regagne Rome pour n’en plus partir. Il est le paysagiste de la campagne romaine, peintre autant que graveur. Une salle entière de l’exposition est consacrée à ses eaux-fortes, une quarantaine appartenant au legs Dutuit.
Le Lorrain aime les effets de lumières, les aubes et les crépuscules dans des ports imaginaires, les orages dans la campagne (illustration). Les bergeries (La danse au bord de l’eau) cèdent le pas aux sujets mythologiques sans que l’atmosphère ne perde de sa poésie, ni le trait de sa générosité. La peinture de Poussin est évidemment pour quelque chose dans cette mythologie, mais le Lorrain garde toute sa personnalité. Deux talents aussi différents avaient leur place à Rome.
Autre clou de l’exposition, les huit panneaux peints par Hubert Robert (1733-1808) pour l’hôtel que Beaumarchais fit construire dans le quartier de la Bastille en 1790 et la Ville de Paris démolir en 1826. Ces peintures échappèrent heureusement à l’incendie de 1871 mais furent séparés : deux au Petit Palais, six à l’Hôtel de Ville. Leur réunion est un événement.
Hubert Robert séjourna en Italie de 1754 à 1765. Il se spécialisa dans les paysages à vieilles pierres, devenant « Robert des ruines », plus productif que fécond, mais parfois heureusement inspiré. Beaumarchais lui reprocha d’avoir peint trop rapidement ces panneaux, mais leur qualité est indéniable. Chacun associe une statue antique à un paysage ou des ruines, avec quelques personnages. Un arbre donne l’oblique ou la verticale. Les plus réussis sont Le Gladiateur, La Vénus Callipyge, sculpture dont il existe au Louvre une copie réalisée par François Barois à Rome dans les années 1680, ainsi que L’Apollon, que des dessinateurs sont occupés à étudier. Les sculptures sont toutes des références « classiques » : la Vénus Médicis, l’Hercule Farnèse, le Laocoon…
Certains peintres du XIXe laissent froid (Pils, Girodet, Chauvin…). D’autres sont touchés par la grâce italienne. Les petites peintures de François Marius Granet, dénuées de la raideur néo-classique, représentent des voûtes ombreuses de couvent, de passages. (Ingres a fait le portrait de ce peintre en 1807, sur panorama romain.) Paul Huet dessine la Campagne romaine, très beau dessin à la plume (1842). Moins présente, la figure est celle de la muse : Corot reste paysagiste en peignant sa Marietta (L’odalisque romaine) ; Carpeaux sculpte le buste de la Palombella.
Samuel
Souvenirs d’Italie (1600-1850), Chefs-d’œuvre du Petit Palais.
Jusqu’au 17 janvier 2010, Musée de la Vie romantique.
illustration : Claude Gellée, Le troupeau en marche par temps orageux © Petit Palais / Roger-Viollet
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Haute lisse
Présent du 10 octobre 2009
Vers la fin de son règne, Louis XIV possédait cinq cents tentures, soit deux mille cinq cents tapisseries. Il avait hérité du fonds constitué à partir de François Ier, l’avait enrichi par des achats et surtout avec les œuvres sorties des manufactures organisées par ses soins. Un tiers de cette collection a survécu. Les tapisseries du XVIe ont presque toutes été brûlées en 1797 pour en récupérer les fils d’or et d’argent dont elles étaient rehaussées.
Réchappé du recyclage, Le triomphe de Bacchus (1560) est une grande pièce à registres : cinq scènes, frises, figures. Règnent le pittoresque et les grotesques. Certaines tapisseries disparues sont connues par des copies postérieures. Comparons deux versions du Triomphe de Minerve, l’une du XVIe, l’autre du XVIIe redessinée par Noël Coypel. On note des modifications de détails (habillements, gestes) ; le socle où se tient la déesse est désormais en marbre ; la séparation des compartiments narratifs est plus ambitieuse, ce sont des entablements. La bordure est recomposée.
(Les bordures des tapisseries ne sont pas moins intéressantes que les sujets, car elles expriment le génie décoratif d’une période, comme les moulures en architecture. Tour à tour, ce sont des rinceaux, des grotesques, des arabesques ; des cuirs, des guirlandes de fruits, de fleurs, où émergent des putti, des figures, des scènes secondaires en camaïeu… Les bordures sont tellement typiques que souvent on les changeait pour mettre la tapisserie au goût du jour.)
Il arrive que seuls des dessins restituent une œuvre détruite. Les Guise possédaient une tenture sur le thème des Ages de la vie. Les dessins de Thomas Vincidor montrent ainsi la succession des jeux, des plaisirs, du travail, de la réussite – et cette conclusion moins riante : la vieillesse auprès des enfants qui se disputent l’héritage.
Th. Vincidor, comme Jules Romain souvent repris par les lissiers, était un élève de Raphaël. La tenture réalisée par le Maître en 1516 pour la chapelle Sixtine, Les Actes des Apôtres, a connu un succès européen. François Ier en possédait un exemplaire, brûlé en 1797. Celui d’Henri VIII fut détruit à Berlin en 1945. Il reste l’exemplaire du duc de Gonzague (Mantoue). La gloire de cette œuvre était telle que Charles Ier d’Angleterre acquit les cartons originaux en 1620, et la fit tisser par sa manufacture de Mortlake. La qualité de cette édition anglaise est excellente, d’une grande finesse. Les coloris sont préservés, contrairement à tant de tapisseries dont les verts ont jauni. La Pêche miraculeuse, composition audacieuse construite sur une unique horizontale étayée par les échassiers, en est un exemple (illustration). Le Surintendant Fouquet possédait une version tissée vers 1650 à la manufacture de Maincy qu’il avait créée près de Vaux-le-Vicomte et dont les employés partiront ensuite grossir les rangs des Gobelins. Mais le petit format de ce tissage des Actes des Apôtres n’est pas heureux.
La première moitié du XVIIe voit tisser une belle Histoire de Diane, d’après Toussaint Dubreuil (1561-1602). On apprécie, dans Les Paysans changés en grenouille, la clarté de la scène et les personnages vigoureusement dessinés. Ce peintre mourut hélas trop tôt. Les tapisseries réalisées d’après La Hyre sont passées, ce sont deux mythologies : L’enlèvement d’Europe et Pygmalion et Galatée, dont le Louvre possède le dessin. Rubens et Vouet se partagent la vedette. Louis XIII fait appel au premier pour une Histoire de Constantin, au second, rentré de Rome, pour des scènes de l’Ancien Testament : Le sacrifice de la fille de Jephté. Simon Vouet est à l’aise, ses tapisseries ont de l’ampleur, quelque chose d’aérien.
Viennent Le Brun et Mignard. Leurs Automnes respectifs, sans être rivaux, n’ont rien de commun. La tapisserie de Le Brun est une sorte d’emblème, tandis que Mignard invente un riant cortège de Bacchus. Les Mois à grotesques de Claude Audran, qu’assistent Desportes pour les animaux et Watteau, son élève, annoncent le dix-huitième et ses élégantes singeries.
Qu’au XVIIe siècle la tapisserie ait été considérée comme un art égal à la peinture à l’huile, les collections royales en témoignent donc largement. Les techniques coexistent car elles ne font pas double emploi. La tapisserie garde sur l’huile l’avantage du grand format sans effet de reflet et aisé à transporter ; également d’habiller une pièce bien plus chaudement. En donnant aux peintres le contrôle sur les lissiers, en soumettant la créativité de ceux-ci à l’exécution stricte des cartons réalisés par ceux-là, Le Brun améliora la production dans un premier temps, mais l’effet pervers fut de gauchir le métier de la tapisserie qui devint une annexe de la peinture et perdit de son âme.
Samuel
Fastes royaux, La collection des tapisseries de Louis XIV.
Jusqu’au 15 novembre 2009, Galerie des Gobelins.
prolongement jusqu'au 7 février 2010!
illustration : La Pêche miraculeuse d’après Raphaël, Manufacture de Mortlake, vers 1630.
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Beautés vénitiennes
Présent du 3 octobre 09
De passage à Venise en 1739, le Président de Brosses écrit à un ami : « Nous ne songeons jamais à déjeuner, Sainte-Palaye et moi, sans nous être au préalable mis quatre tableaux du Titien et deux plafonds de Paul Véronèse sur la conscience. Pour ceux du Tintoret, il ne faut pas songer à les épuiser : il fallait que cet homme-là eût una furia da diavolo. »
Les trois noms du XVIe siècle vénitien forment un beau podium qui ne s’est pas constitué sans rivalités. Quand Véronèse arrive à Venise en 1553, il a 25 ans. Face à lui, Titien, 63 ans, est le maître mais Tintoret, 35 ans, ne cache pas son ambition de le supplanter. Des commanditaires à foison, des commandes publiques soumises à concours : la concurrence est ouverte. Nul, pas même Titien, ne peut s’estimer définitivement au faîte de la gloire.
Chacun se présente avec sa formation et son style. Titien garde de Bellini et de Giorgione le goût des compositions lisibles, mais au fil des ans son art a gagné en nervosité. Tintoret est marqué par le maniérisme : des couleurs cassées par de noir et de blanc, des poses expressives voire outrées, une touche lâchée jusque – parfois – la veulerie. Véronèse est son contraire, décoratif, coloriste, toujours digne. Il acquiert du Titien l’abandon qui lui fait souvent défaut.
Titien, par son talent, est la référence. La barre est haute : le portrait de Paul III (1543, illustration), celui du doge Francesco Venier (1554-1556) ne sont pas flattés ; dépouillés de tout sentiment, ils sont l’image d’hommes en qui le pouvoir s’est incarné, les desséchant mais les haussant. Le coloris du camail papal est inquiétant mais son regard est direct. Le portrait de l’amiral Sebastiano Venier peint par Tintoret (1571) dérive du portrait du doge, mais il est plus convenu qu’observé : l’amiral pose en homme de guerre. Quand il peint les reflets sur l’armure, le Tintoret a l’intention de montrer la supériorité de la peinture sur la sculpture. Déterminer l’art le plus élevé est une question vaine, mais l’époque se la posait, par souci de hiérarchisation. A se demander quel art est le mieux à même de reproduire le réel, les artistes rabaissaient singulièrement l’art en général ; dans la pratique heureusement l’inspiration les menait beaucoup plus loin que la visée initiale. Les peintres déploient donc leur savoir-faire pour rendre les reflets sur le métal, sur le miroir, dans l’eau. Le Tintoret fait se refléter, avec les déformations voulues, une figure dans une armure ; Véronèse peint un magnifique Saint Menna en cuirasse aux vifs accents lumineux(1560). Quant au Titien, il n’a rien à prouver, ayant dès les années 1530 représenté Della Rovere dans une magnifique armure aux reflets blancs et verts.
Le miroir est féminin. Titien et Véronèse l’utilisent pour leurs Vénus respectives (1555), le Tintoret pour sa Suzanne (id., une composition trop compliquée). Le nu est leur domaine. La Danaé du Titien est accompagnée d’un Cupidon (version 1545), d’une maquerelle (version 1554). Il peint deux Tarquin et Lucrèce en 1570, la seconde plus dépouillée. Titien est un travailleur jamais satisfait. Tintoret, quand il reprend ces thèmes, ne lui arrive pas à la cheville. Les peintres sont nettement moins inspirés par les Patriciennes. Habillées, sans armure ni miroir, elles ont moins d’éclat. L’une avec son chasse-mouche (Titien, 1560), l’autre avec son mouchoir (Véronèse, 1570), elles sont plus mémères que muses.
La peinture religieuse révèle les mêmes qualités, trahit les mêmes défauts. Le Repas d’Emmaüs du Titien est dépouillé, baigné dans une paisible atmosphère (1534). A gauche, le jeune serviteur, le disciple et l’aubergiste forment un groupe remarquable, qui a plus de consistance que le Christ. Constat identique dans la toile de Véronèse, très mondaine (1555). Profanes jusqu’à la moelle, les Vénitiens peinent à exprimer la foi. Il faut l’humanité des personnages pour les mettre à l’aise. Bassano, Titien, Tintoret et Véronèse peignent chacun un Saint Jérôme pénitent entre 1560 et 1580. C’est une figure imposée, avec sa pose, ses accessoires, mais quelles conceptions différentes, du monde, de la peinture !
Plus que des rivalités, la concurrence a provoqué une émulation entre les artistes, dont le prestige social, au XVIe siècle, s’est singulièrement affermi – n’oublions pas qu’un jour Charles-Quint se baissa pour ramasser un pinceau du Titien. Les artistes se peignent eux-mêmes et s’entre-peignent. Les autoportraits du Tintoret, jeune (1546) puis vieux (1588), sont beaux mais le feu de l’œil jeune fait place à un étonnant regard vide. L’autoportrait de Titien en vieillard à la calotte est une merveille d’autorité et de noblesse (1562).
Samuel
Titien, Tintoret, Véronèse : Rivalités à Venise.
Jusqu’au 4 janvier 2010, Musée du Louvre.
illustration : Titien, Portrait de Paul III © Erich Lessing, Vienne
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Beautés flamandes
Présent du 26 septembre 09
Après les primitifs italiens de la collection Lindenau, le musée Jacquemart-André accueille la collection flamande de Samuel von Brukenthal (1721-1803), proche conseiller et ami intime de l’impératrice Marie-Thérèse. Il installa en Transylvanie, sa patrie, les trésors artistiques acquis au fil des ans, qui constituent aujourd’hui le musée de Sibiu (ex-Hermannstadt, Roumanie).
Loin d’être aussi riche, aussi émouvante que la collection Lindenau, celle de Brukenthal recèle quelques grandes œuvres et donne un aperçu de l’émergence des genres, paysage, portrait, nature morte (XVe-XVIIe). Les genres sont progressivement tirés de la peinture religieuse, comme d’un arbre dont on utiliserait à des fins spécifiques le bois, les feuilles, les fruits. Du décor on fait un paysage autonome. Le donateur devient portrait, les accessoires nature morte.
Bruegel l’Ancien, dit « le Drôle », Bruegel le Jeune dit « d’enfer », ont excellé dans les paysages habités de petits personnages toujours vrais, qu’ils soient occupés à des jeux, des fêtes ou des travaux. Ce sont des activités villageoises, communes, mais où chacun est personnalisé. Le genre plut. Les sujets furent repris à de multiples reprises d’une génération à l’autre. Aussi la qualité varie-t-elle mais dans l’ensemble ni la fraîcheur ni la finesse ne font défaut. Les harmonies sont particulières, les couleurs s’opposent et se complètent, leçon que Van Gogh ne devait pas oublier. « Avant Noël, il faisait un temps sombre et il y avait de la neige. Le pays me faisait penser aux toiles moyenâgeuses de Bruegel le Drôle et de tant d’autres qui ont su exprimer de façon émouvante l’effet typique du rouge et du vert, du blanc et du noir », écrit-il alors qu’il séjourne dans le Borinage.
Les Bruegel ont une noblesse de regard qui leur permet d’aborder les sujets plus graves, comme ce Massacre des Innocents dans un village flamand enneigé (1586-1590). Une troupe compacte hérissée de piques, masse sombre et immobile, s’assure du massacre qui a lieu par petits groupes. Du coup l’horreur n’est pas collective, mais individuelle, et d’autant plus grande. L’artiste n’oublie pas la répression espagnole en Flandres. Le paysage à la trappe aux oiseaux (vers1630) est lui dédié aux joies du patinage dans une délicieuse ambiance d’hiver.
D’autres ont essayé de pratiquer la formule. Joseph van Bredael peint une Adoration des rois mages d’après Bruegel de Velours où l’original se devine par tout ce qui manque à la copie. Les couleurs sont criardes, les personnages inélégants. Jacob II Savery représente une fête villageoise : les personnages sont mal groupés et là encore sans grâce.
David Téniers le Jeune fut le gendre de Bruegel de Velours. Il sait rendre à merveille l’atmosphère d’une auberge, d’un cabinet de médecin (illustration, vers 1660). Sujets populaires, activités quotidiennes et triviales, mais si bien regardées et avec tant de sympathie que la peinture de genre surpasse aisément les scènes mythologiques d’Abraham Janssen. Elle surpasse même certaines toiles religieuses : la Sainte Famille de Jacob Jordaens est repoussante, avec son Enfant Jésus à tête de benêt.
Jodocus Momper a assimilé la leçon de la famille Bruegel relative au paysage, et la leçon de l’Italie où il voyagea. Seules quelques silhouettes se promènent au premier plan : son Paysage montagneux (1625) est du paysage pur, dans lequel l’éloignement est donné par une succession de plans qui sera codifiée pour longtemps : premiers plans bruns, deuxièmes plans verts, horizon bleuté. Apprécier de près l’utilisation des glacis et des discrets empâtements.
L’Homme au chaperon bleu par Van Eyck (1430) est un portrait fort petit, et magnifique. Les possibilités de l’huile sont utilisées au mieux. L’heure n’est pas encore au sourire dentifrice, mais à la gravité, qu’on retrouve dans les traits du couple de donateurs par Memling (1480). Un siècle plus tard l’art du portrait n’a rien perdu de sa profondeur : Jeune homme blond à la collerette (1569), œuvre de l’atelier d’Adrien Thomas Key.
Côté nature morte, on oubliera le Cabinet de curiosités peint par Johann Georg Hinz (1666), très anecdotique. On laissera de côté la guirlande de fleurs de Gaspar Pieter I Verbruggen (1675), durement contrastée, préférant une toile peinte à deux mains : Jan Davidsz II Heen a peint la guirlande de fruits, Erasme Quellin le bas-relief qu’elle entoure, où est représentée une Sainte Famille (1660). Les natures mortes « d’apparat » sont comme leur nom l’indique assez pompeuses, ambitieuses, mais le talent de Joris van Son est la hauteur (1662). On partage son plaisir à peindre fleurs, fruits, crustacés et coquillages.
Samuel
Bruegel, Memling, Van Eyck… la collection Brukenthal.
Jusqu’au 11 janvier 2010, musée Jacquemart-André (Paris VIIIe).
illustration : David II TENIERS, La visite chez le médecin du village © Brukenthal National Museum, Sibiu
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Anatomie comparée
Présent du 19 septembre 09
Le musée Fragonard, musée de l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort, a rouvert, rénové, il y a un an. Levons toute ambiguïté : le Fragonard en question n’est pas le peintre Jean-Honoré mais un de ses cousins, Honoré (1732-1799). Chirurgien, il fut employé à l’école vétérinaire de Lyon puis devint directeur de l’école parisienne voulue par Louis XV. Il excella dans la conservation des organismes humains et animaux, modèles nécessaires à la formation des étudiants : « l’anthropotomie, ou l’art d’injecter, de disséquer, d’embaumer et de conserver ». Fragonard préférait cette technique à la céroplastie utilisée également à l’époque.
Les principales étapes de sa méthode sont connues. Il s’agit d’abord de vider le corps de son sang, puis d’injecter dans le système artériel une mixture composée de graisse de mouton et de résine de pin portées à ébullition. En refroidissant, cette préparation durcit et préserve tout le système sanguin. Le cadavre est ensuite disséqué, plongé dans un bain d’alcool, puis séché. Les veines sont peintes en bleu, les artères en rouge suivant la convention qui a encore cours. La préparation est enfin recouverte d’un vernis qui protège les tissus.
Ce sont des milliers de pièces que réalisa en une dizaine d’années Honoré Fragonard. La collection fut dispersée à la fin de sa vie, malgré tous ses efforts pour la préserver. Il en reste vingt et une pièces. Il y a des singes, une chèvre ; un bras ; un buste, mais aussi des « compositions » ambitieuses, moins à des fins didactiques que pour manifester son savoir-faire et alimenter les cabinets de curiosités, pour lesquels il travailla après qu’une mésentente l’eut fait quitter l’Ecole vétérinaire. A ranger dans cette catégorie, l’homme à cheval dit Cavalier de l’Apocalypse (illustration, entre 1766 et 1772), l’homme debout dit Samson (il est effectivement muni d’une mâchoire d’âne). Trois fœtus dansant constituent une mise en scène qui sent son carabin.
(Au début de cette année 2009, l’exposition Our body (notre corps) qui présentait des corps traités par imprégnation polymérique, version moderne du procédé employé par Fragonard, a été interdite après la plainte d’associations, Ensemble contre la peine de mort et Solidarité Chine. La justice n’a pas contesté l’intérêt didactique mais a mis en cause d’une part l’origine des corps, vraisemblablement tirés des geôles chinoises sans consentements préalables des intéressés ; d’autre part la possession de cadavres à titre privé puisqu’ils n’appartiennent pas à une collection publique ; enfin la « commercialisation des corps par leur exposition », l’entrée étant payante.)
H. Fragonard a eu des successeurs à l’Ecole. Louis Auzoux (1797-1880) a fabriqué des modèles anatomiques en papier mâché peint, soit agrandis, soit rapetissés. Eugène Petitcolin (1855-1928) a pratiqué le moulage, en cire ou en plâtre. Son activité a été considérable. André Richir (1887-1959), après s’être formé à la sculpture et au métier de praticien, a été engagé à Maisons-Alfort où il s’est spécialisé dans la myologie et les poissons.
Le musée regorge de crânes : tortue, crocodile, brochet…, de squelettes entiers : girafe, verrat, dromadaire, éléphant. Il y a des « pièces sèches » comme des arbres bronchiques de mulet ou de bœuf, véritables bonzaïs, ou des estomacs de bœuf, oreillers cauchemardesques. Les « pièces humides », formolées, en bocal, ne sont jamais appétissantes, qu’il s’agisse d’un fœtus de mule ou d’un ténia. Le visiteur n’est pas à l’abri d’un sentiment nauséeux et on évitera d’autant plus d’emmener au musée des enfants jeunes ou impressionnables qu’il possède une importante collection de monstres, animaux siamois, veaux-bouledogues, jusqu’à une patte de coq à six doigts. Le squelette d’un veau à deux têtes et six pattes est une infrastructure incompréhensible.
La tératologie est une science récente, à laquelle est associé le nom de Saint-Hilaire (XIXe) mais dès 1573 Ambroise Paré publiait un traité illustré. Il voit treize raisons à la génération de monstres, certaines divines, d’autres diaboliques, mais la plupart biologiques (défaut de semence, malformation de la matrice). Il rassemble les histoires antiques mais aussi force témoignages contemporains. « L’an 1569, une femme de Tours enfanta deux enfants gémeaux, n’ayant qu’une tête… et ils me furent donnés secs et anatomisés par maître René Ciret, maître barbier et chirurgien. » D’autres lui sont signalés, rue des Gravilliers (1570) ou aux Ponts-de-Cé (1572). Les enfants meurent rapidement, non sans avoir été baptisés comme le note A. Paré : les gens ne les considéraient pas d’origine diabolique. De nos jours on préconise la suppression des « monstres ». Mais qu’est le législateur ?
Samuel
Musée de l’Ecole Vétérinaire.
7 avenue du Général De Gaulle, Maisons-Alfort (94).
illustration : H. Fragonard, Le cavalier de l’Apocalypse © Photo P. Landmann
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