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  • Au musée du Louvre

    Domenico Beccafumi (1486-1551)

    Présent du 8 août 09

    La légende veut que Lorenzo Beccafumi, notable siennois, ait remarqué dans les champs un enfant, fils de paysan, occupé à dessiner sur une pierre. Il l’adopta, le mit en apprentissage chez un peintre, on ignore lequel. Les œuvres du Pérugin influencèrent le jeune Domenico, puis les fresques romaines de Raphaël et Michel-Ange (1510-1511) qui acquirent une renommée immédiate et pour lesquelles il fit le voyage, profitant de son séjour pour étudier également la statuaire antique. Il connaissait par ailleurs la peinture florentine la plus avancée.

    Le Louvre possède une quarantaine de dessins de Domenico Beccafumi, la plupart en rapport avec ses fresques siennoises. Zeuxis dessinant est une étude pour une fresque du Palais Agostini (1520). L’anecdote est célèbre : devant peindre une Hélène, il fit défiler nues les jeunes filles de la cité, en retint cinq grâce auxquelles il composa une femme idéale. Anecdote n’est pas le mot juste, car la réflexion est caractéristique de l’art italien de l’époque : quel rapport entre la beauté de la Création et la création artistique ? L’apologue penche pour l’intervention intellectuelle de l’artiste, au-delà de l’imagination pure et de l’imitation brute. Les fresques du Palais Agostini ont leurs réminiscences romaines : un des modèles que dessine Zeuxis est tout à fait un nu michelangélesque ; la pose de Caton d’Utique au moment de son suicide reprend la pose du Laocoon antique découvert en 1506, que l’artiste utilise encore pour un dessin à l’encre : Dieu le Père assis sur des nuages. Mêmes influences dans le dessin représentant Deux hommes nus étendus à terre : le Torse du Belvédère, les sculptures de Michel-Ange pour le tombeau des Médicis.

    Mais Beccafumi est d’abord, comme ses contemporains, fils du Vinci. Il applique au dessin le sfumato, cette « vaporisation » de la forme par des traits multiples qui sont moins la recherche du trait juste que la croyance en une forme indiscernable, estompée, charbonnée. Granacci fait de même, et Sodoma, le « rival » de Beccafumi à Sienne.

    Autre gène transmis, celui du clair obscur. Selon Vinci, la couleur, de l’ombre à la lumière, passe du noir au blanc. En tant qu’erreur, cette idée pousse l’artiste à aller toujours plus loin dans le contraste, pour surenchérir sur un effet qui, s’il reste mesuré, se banalise. Les fresques de Beccafumi sont marquées par ce clair-obscur et cette dégradation de la couleur – au sens où la couleur est abîmée, décolorée. La figure de Zeuxis peinte à fresque a le dos violemment éclairé et la face totalement dans l’ombre, ce que le dessin rend par des hachures qui n’expriment pas la forme mais, géométriques, l’ombre dans laquelle l’artiste pense que toute forme est absente ou, du moins, là encore, inaccessible. D’identiques hachures servent la même cause pour Dieu le Père assis sur des nuages, c’est encore au Sodoma qu’on songe, à Fra Bartolomeo, à Rosso Fiorentino.

    Le pavement de la cathédrale, vaste chantier siennois qui occupa les artistes des XIV, XV et XVIe siècles, Beccafumi y mit le point final. Sibylles, Vertus, épisodes de l’Ancien Testament, sont réalisés en marbres niellés, en marbres marquetés. Ici le clair-obscur est plus justifié puisque, pour être lisibles, les compositions devaient être contrastées. La transcription en marbres est préparée par des lumières tranchées, des ombres en à-plats, à trois tons définis (Moïse, illustration). Mais la matière première n’est pas corrompue comme l’est une teinte par l’adjonction de blanc. (Les gravures à plusieurs bois qu’il tire à la fin de sa vie, ont la même façon : blanc du papier en réserve, tons intermédiaires.) Une autre esquisse du pavement, Moïse faisant jaillir l’eau du rocher, est typique des poses maniéristes issues de Michel-Ange et de Raphaël, tête de face, buste de profil, poses serpentines, contournées.

    Les fresques de Beccafumi pour le Consistoire du Palais public ont un programme particulier (1519-1532, 1535). A cette époque Sienne est tenue par une faction populaire, les Libertini. Les thèmes choisis reflètent son extrémisme, puisque, à part trois allégories (la Justice, la Bienveillance mutuelle, l’Amour de la Patrie), sur huit épisodes antiques, six relatent soit le suicide d’un héros républicain, soit l’exécution d’un ennemi de la République et de ses lois, bien des fils condamnés par des pères (Le sacrifice de Zaleucus). Les vertus civiques et républicaines par la « terreur salutaire » telle que l’a définie Machiavel.

    Une étude de tête à l’huile se rapporte à ces fresques. Bien modelée, construite par le clair obscur, elle rappelle par son faire l’autoportrait de l’artiste (aux Offices), solitaire tel que l’a décrit Vasari.

    Samuel

    Domenico Beccafumi.

    Jusqu’au 21 septembre 2009, Musée du Louvre, Aile Denon.

    illustration : Moïse avec un jeune homme à ses pieds, plume et encre brune © RMN/Th. Le Mage


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  • Au musée du Louvre

    Piété de La Hyre

    Présent du 1er août 09

    Laurent de la Hyre (1606-1656) est un contemporain de Poussin, de Vouet, de Le Sueur. Louis Gillet le classa dans « cette école française qui ne sort guère du médiocre ». Il répétait une opinion lancée par A. Félibien au XVIIe siècle qui ne voyait que mollesse dans sa peinture. Du coup on la croira longtemps insipide. L. Gillet rectifia son jugement une quinzaine d’années plus tard : La Présentation au temple lui laissait pressentir un plus grand talent.

    Il est vrai que La Hyre arrive après l’Ecole de Fontainebleau, après les verriers du XVIe siècle, dont un des chefs-d’œuvre est cette Histoire de Psyché dont nous parlions la semaine dernière ; qu’il reste en-deçà des grands peintres du XVIIe. Mais s’étant formé d’abord au château de Fontainebleau en étudiant le Primatice, Rosso, et étant dans sa maturité un des membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture (1648), La Hyre est à l’évidence un maillon fort.

    Le Louvre expose en permanence une dizaine de peintures et, jusqu’à la Saint-Matthieu, une quarantaine de dessins et d’esquisses peintes. Les sujets mythologiques, profanes, sont fréquents (Adonis mort, La tuile). La Hyre est un paysagiste sensible (Paysage aux baigneuses, et bien des arrière-plans de tableaux). Cependant les sujets religieux constituent la partie essentielle de son œuvre (remarquable Assomption, 1635). Ce père de famille qui, pour se délasser de son art, aimait chanter et chasser, était connu pour sa piété, proche de l’esprit franciscain et marquée par la notion de retrait du monde.

    Les fondateurs d’ordre retenus pour la décoration du réfectoire des Minimes de la Place Royale ont d’ailleurs tous pratiqué, à un moment donné, la Solitude. Commande en fut faite à Simon Vouet mais, celui-ci décédé, le projet fut confié à La Hyre qui était déjà en charge des paysages alternant avec les figures. Les esquisses peintes à l’huile sont tout ce qui reste aujourd’hui : le Christ, le Baptiste, et seize fondateurs d’ordre, Minimes, Carmes, Antonins, Camaldules, etc. Nobles figures, parmi lesquelles on retiendra, pour l’attitude, pour la force, saint Antoine, saint Augustin, saint Pierre Nolasque, saint Jean de Matha, fondateur des Trinitaires dont le but était de libérer les captifs, d’où les entraves (illustration) : chacun est en habit de l’ordre, avec les attributs fixés par la tradition.

    Les figures furent peintes en grisaille, technique qui s’explique à la fois par son aspect austère : les Minimes avaient un quatrième vœu, celui de Carême perpétuel, et par le désir d’imiter la sculpture. Le maintien monolithique des Pères calmement drapés est aussi typique d’un certain atticisme parisien. Laurent de La Hyre, à l’instar d’Eustache Le Sueur, à l’inverse de Simon Vouet, n’a pas fait le voyage de Rome et n’a pas été comme lui marqué par l’art de la Contre Réforme.

    Autre contrat, paroissial, celui que les marguilliers de Saint-Etienne du Mont passèrent avec La Hyre pour des dessins relatant la vie de saint Etienne, destinés à être tissés. Des difficultés avec le lissier, la Fronde : raisons qui expliquent qu’il n’y eut que cinq tapisseries réalisées, vraisemblablement détruites à la Révolution. Fort heureusement, les dessins par contrat revenaient à la fabrique de Saint-Etienne du Mont, qui les avait conservés.

    La vie de saint Etienne est bien connue par les Actes des Apôtres, que La légende dorée suit fidèlement et auxquels elle ajoute l’invention du corps trois siècles après. Une tapisserie du XVe siècle (musée de Cluny) fait débuter l’histoire avec l’Institution des diacres et développe longuement les aléas merveilleux de la translation des reliques. Le cycle prévu pour Saint-Etienne du Mont est plus resserré : il commence dès la Pentecôte, évoque les difficultés de la première communauté chrétienne qui mènent à instituer des diacres ; la conversion de Saül, qui gardait les vêtements des bourreaux lors du martyre, trouve sa place comme événement appartenant au cycle. La Translation des reliques n’occupe qu’un panneau, où la leçon n’est plus tirée d’une geste providentielle mais d’un geste humain enseignant : un homme montre la châsse à un enfant.

    La connaissance qu’avait La Hyre de l’Antiquité par le biais des gravures apparaît dans le décor, dans les drapés, traités différemment de ceux de la série des pères fondateurs. Si on compare, encore, les scènes à celles de la tapisserie gothique susmentionnée, on y voit le désir d’être plus lisible. Mais les personnages y sont aussi expressifs : certains de leur foi (Etienne) ou de leur effroi (les membres du Sanhédrin). La sûreté du trait est la même, elle reflète la foi de l’artiste.

    Samuel

    Laurent de La Hyre, dessinateur, collection du Louvre.

    Jusqu’au 21 septembre, Musée du Louvre, Aile Sully.

    illustration : Laurent de la Hyre, Saint Jean de Matha © 2006 Musée du Louvre / Martine Beck-Coppola


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  • Au château de Chantilly

    Le conte de Psyché

    Présent du 25 juillet 09

    « Il y avait une fois un roi et une reine qui avaient trois filles… » L’histoire de Psyché, la benjamine dont l’indicible beauté provoque la jalousie de Vénus, nous est racontée par une vieille femme dans le roman d’Apulée L’Ane d’or. Récit dans le récit comme la description du bouclier d’Achille dans l’Iliade : une « mise en abyme », comme disent avec gourmandise les professeurs de lettres.

    Psyché, c’est d’abord un conte : il y a la princesse qui ne trouve pas de mari, les sœurs aînées envieuses, la curiosité punie par des épreuves que l’aide inattendue de fourmis ou d’un roseau permet de surmonter, etc. C’est aussi un mythe : Psyché, l’âme, est séparée du dieu Amour dès le moment où par curiosité elle a bravé l’interdiction de voir son visage, jusqu’à ce qu’une union définitive, durement méritée puisque Psyché doit descendre aux Enfers, la divinise. Sous les dehors d’un récit captivant, le conte rejoint le thème de l’initiation qui est le fonds de L’Ane d’or.

    Apulée vit au IIe siècle. Berbère, il est issu d’une famille romanisée de l’actuelle M’daourouch. Il étudie à Athènes et à Carthage la philosophie platonicienne et la rhétorique. Mais ces connaissances n’étanchent pas son inquiétude religieuse, pas plus que celle, plus tard, de saint Augustin. Apulée s’initie à nombre de cultes à mystères méditerranéens et orientaux, « par amour de la vérité et par piété envers les dieux », déclare-t-il dans son Apologie où il se défend d’avoir pratiqué la magie. Car, ayant épousé une veuve plus riche et plus âgée que lui, il en fut accusé. A quoi il rétorqua que « nul sortilège n’est nécessaire pour décider une personne mûre à épouser quelqu’un de plus jeune. »

    Au XVIe siècle, le conte de Psyché est en vogue après une traduction italienne (1469), française (1514), qu’accompagnent des éditions latines. Comme le Roland furieux, le récit constitue une formidable réserve d’images, dont Raphaël fixe le type en réalisant le décor de la Villa Farnésine (1518).

    Très au fait de l’actualité italienne artistique, Anne de Montmorency commanda une suite de quarante-quatre vitraux racontant l’histoire pour son château d’Ecouen. A la Révolution, les vitraux furent par prudence déposés. Echus par héritage au duc d’Aumale, celui-ci leur réserva une galerie dans le Chantilly composite qu’il fit édifier au XIXe siècle.

    La série, réalisée par un maître-verrier de l’Ecole de Fontainebleau en 1542-1544, en grisaille et jaune d’argent, est un chef-d’œuvre de la verrerie profane Renaissance. Les compositions reprennent des gravures italiennes des années 1530 d’inspiration raphaélesque. La manière de la gravure ne transparaît pas dans cette adaptation aisée, aux traits fluides. Les émaux transparents permettent des coloris en camaïeux, des nuances. Les décors multiplient les plans, les lointains, où d’élégantes figures vivent les différentes scènes, tantôt dramatiques, lorsque Psyché s’apprête à descendre aux Enfers, tantôt heureuses, lorsqu’elle prend son bain, entourée de servantes : la scène est telle que l’époque la traite, semblable à la toilette de Vénus (ill., cf. Le bain et le miroir, Présent du 11 juillet).

    Le grand émailleur Léonard Limosin représente lui aussi cette toilette, ainsi que deux autres épisodes, dans des gris et noirs bleutés magnifiques, relevés de dorures (1543). Artiste proche d’Anne de Montmorency, de l’Ecole de Fontainebleau, lui aussi est représentatif de l’italianisme. Quelques dessins, de Raphaël, de Jules Romain son élève, rappellent d’ailleurs tout ce que le conte doit à l’Italie.

    Outre Chantilly, outre Azay-le-Rideau qui consacre une exposition généraliste au mythe de Psyché, différents châteaux mettent à l’honneur les tentures XVIIe sur le même sujet : Fontainebleau, Pau, Sully-sur-Loire (jusque fin août). Le mythe en effet continue son chemin, La Fontaine écrit un conte mêlant vers et prose, qui accentue le caractère galant déjà présent chez Apulée (Les Amours de Psyché et Cupidon, 1669). Molière, Corneille et Quinault écrivent le livret d’une tragédie-ballet, sur une musique de Lulli (1671).

    L’Hôtel de Soubise garde dans son jus, celui du joyau rocaille qu’est le Salon ovale de la Princesse, les huit panneaux peints par Charles Natoire à la fin des années 1730. L’artiste se plie avec aisance à la forme contournée des cadres pour composer des scènes où la beauté féminine est mise en valeur, comme le font ses contemporains Boucher et Van Loo, bien loin de la froideur avec laquelle au XIXe un François Gérard traitera le sujet.

    Samuel

    Le mythe de Psyché. Jusqu’au 31 août 2009, château de Chantilly (Oise).

    L’histoire de Psyché par Natoire. Jusqu’au 21 septembre 2009, Hôtel de Soubise (Paris)

    illustration : La toilette de Psyché. Chantilly, musée Condé © Bridgeman Giraudon


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  • Au musée du Louvre

    Un maître du Temps

    Présent du 18 juillet 09

    Les montres conçues par A.-L. Breguet et ses ateliers entre 1775 et 1825 raviront les profanes et les connaisseurs – Jacques Segala, par exemple, dont la pensée intime est que « si a 50 ans on n’a pas une Rolex, on a raté sa vie », ou Julien Dray qui se présente comme « un passionné de montres anciennes », et qui, à l’heure de l’antiracisme, a toujours été ponctuel.

    Suisse d’origine, Abraham-Louis Breguet (1747-1823) installe son atelier à Paris, quai de l’Horloge, en 1775. Au fil des ans, il s’impose sur le marché européen. Ses innovations, tant mécaniques qu’esthétiques, sont impressionnantes.

    Breguet met au point la montre perpétuelle, qui se remonte par les mouvements du bras ; la montre qui sonne ; la pendulette de voyage dont le transport n’interrompt pas le fonctionnement ; l’échappement à force constante, assurance d’un mouvement rigoureusement régulier ; le régulateur à tourbillon qui annule les effets de la gravité terrestre sur le mécanisme ; et cetera, ajouterait-on. Qui plus est, il se joue de la complexité, accumulant sur une même montre les quantièmes, les phases lunaires, bien plus que l’heure : le Temps.

    Sur le plan esthétique, les montres Breguet se signalent par leur élégance. A la montre oignon, renflée, ostentatoire, il substitue une montre beaucoup plus mince, plate (conséquence des progrès techniques), dont le boîtier métallique est nu ou simplement gravé, guilloché. Le cadran est simple, lisible, raffiné ; parfois décentré. Les différents cadrans secondaires, les guichets supplémentaires s’intègrent ingénieusement.

    Louis XVI, féru d’horlogerie, Marie-Antoinette, le duc d’Orléans, acquièrent les montres perpétuelles ; à leur exemple, la cour emboîte le pas. Breguet crée pour le duc de Praslin la montre n°92, extrêmement perfectionnée, mais que dépasse la n°160, réalisée pour Marie-Antoinette : selon la commande, elle doit intégrer tous les possibilités modernes, l’or être utilisé pour toutes les pièces possibles. La « Marie-Antoinette » ne sera achevée qu’en 1827, après la mort de Breguet. Elle restera la montre la plus perfectionnée au monde durant un siècle. L’histoire de la montre n’est pas sans mystère : qui était son commanditaire exact ? Quel rôle joua le marquis de La Groye, page de la Reine dans sa jeunesse, propriétaire ou dépositaire de la montre dans les années 1830, qui la rapporta pour une révision à la maison Breguet mais ne revint jamais la chercher ?

    Ami de jeunesse de Marat, Breguet obtient de lui un passeport pour la Suisse en 1793. En sûreté, il gère à distance son atelier parisien. Le calendrier républicain bouleverse la vie horlogère. Breguet, qui sait s’adapter, produit un certain nombre de montres basées sur ce nouveau rythme décimal, ou combinant l’affichage des calendriers révolutionnaires et grégoriens. La montre n°45 (illustration), basée sur la découpe en dix heures de cent minutes chacune. Elle est typique de sa manière, avec son élégant cadran, avec ses rouages apparents.

    Ceux-ci ne sont pas systématiques mais fréquents (le cadran de la « Marie-Antoinette » est entièrement transparent). Comment ne pas rapprocher cet attrait pour la mécanique, du mécanicisme qui imprègne la philosophie des Lumières, mis en évidence par le Pr Xavier Martin ? Les montres de Breguet sont une illustration du mécanicisme de ce siècle et de sa dimension utopique : au moment où elles acquièrent la régularité et la précision que souhaitaient les philosophes pour la société, celle-ci se dérègle, s’affole, et la tentative d’assembler des hommes-rouages met en branle la fruste mécanique du Dr Guillotin.

    Que la pendulette de voyage qu’il lui avait achetée ait mal fonctionné dans les sables égyptiens, ne suffit pas à expliquer le boycott dont est victime Breguet de la part de Napoléon. La famille impériale hésite à se pourvoir chez lui. Sa clientèle européenne, russe, turque, indispose-t-elle l’Empereur ? Alexandre Ier lui achète une montre avec quantièmes juliens et grégoriens, une pendule marine ; en 1822, un compteur pour régler le pas des troupes. Pour compenser les difficultés, Breguet développe ses liens avec l’Empire ottoman, adaptant là encore son produit au marché (chiffres turcs, boîtiers plus ornés).

    La Restauration marque la reprise des activités. Aux montres, sa maison ajoute la fabrication d’appareils de mesure divers, scientifiques, maritimes. La reconnaissance arrive. Breguet entre à l’Académie des Sciences (1816), est fait Horloger de la Marine Royale (1820). La succession à la tête des ateliers se fait en famille, et par la suite on trouve des Breguet à l’œuvre dans les applications de l’électricité, les recherches aéronautiques.

    Samuel

    Breguet, Un apogée de l’horlogerie européenne.

    Jusqu’au 7 septembre 2009, Musée du Louvre, Aile Sully.

    illustration : Bréguet n°45, vendue au Duc de Praslin en 1806. Diamètre 6,5 cm. © Kremlin Museums, Moscou


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