• Au musée d’Orsay<o:p></o:p>

    Monsieur Vollard,

    marchand<o:p></o:p>

    Présent du 14 juillet 07<o:p></o:p>

    Le musée d’Orsay a rassemblé des toiles qui toutes sont passées un jour par la galerie d’Ambroise Vollard (1866 –1939). Certaines, à nous connues, appartiennent au musée, d’autres proviennent de collections américaines et européennes : il est toujours bon de voir une toile face à face et non en reproduction.<o:p></o:p>

    Ça commence par des Cézanne, et des meilleurs, paysages, natures mortes et figures comme le célèbre petit autoportrait ou les Joueurs de cartes. L’exposition que Vollard organisa en 1895 (Cézanne avait déjà 56 ans) fit connaître le peintre à un cercle élargi d’amateurs et prépara sa révélation au public. Le public… devant La corbeille de pommes, deux jeunesses discutaient de l’épisode de Grey’s anatomy qu’elles avaient regardé la veille.<o:p></o:p>

    Les Van Gogh qu’il acheta le furent principalement à la femme de Théo Van Gogh. Signalons comme tableaux venus de l’étranger L’Arlésienne, Tournesols, Les lauriers-roses (1888), magnifique bouquet qui allie vigueur de la touche et finesse des coloris. Deux volumes sont posés près du vase, dont un Zola, de même que sur une autre toile figurent un Goncourt et un Maupassant : la littérature naturaliste était très appréciée de Van Gogh, qui pensait faire la peinture correspondante. En réalité tout ce qu’il peignait prenait de la hauteur. On comparera un portrait du père Tanguy à celui du musée Rodin (Présent du 30 juin) : portrait encore descriptif, mais où perce déjà la volonté d’exprimer l’intériorité et non la matière.<o:p></o:p>

    Continuons : des pastels de Degas, des peintures de Renoir, de Gauguin (la presque fresque Pastorale tahitienne, de Londres) ; et des Nabis, quelques Vuillard, des fusains d’Odilon Redon (illustration). Vollard finança les voyages de Derain à Londres, où il peignit trois vues fauvistes de haute tenue. On finit par des Picasso, dont le plus valable n’est pas, à mon goût, celui qui a été choisi pour l’affiche de l’expo, mais La coiffure (1906), d’une savante composition, et des teintes terre et bleu gris.<o:p></o:p>

    Ambroise Vollard a aussi œuvré dans l’édition bibliophilique. Il a lancé la mode de tirages luxueux sur beau papier de textes classiques ou non, spécialement illustrés par des artistes : Le Jardin des supplices de Mirbeau illustré par Rodin (1902) ; Passion, de Suarès, par Rouault (1929) ; Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac par Picasso (1931), etc. Livres d’art qui, au final, sont illisibles : la composition en caractères de très gros corps est désagréable à l’œil. Un volume qui se tient bien en main, à la typographie serrée, permet une lecture concentrée : c’est ce qui fait le charme de nombreux vieux Livre de Poche.<o:p></o:p>

    Nul doute que les goûts de Monsieur Vollard étaient sûrs ; manque juste à l’exposition un regard critique sur la part commerciale de son activité. Le cartel du tableau Les peupliers indique avec quiétude que Vollard l’acheta à l’artiste pour 200 fr. et le vendit un an plus tard pour 2000 fr, l’artiste étant toujours vivant. Le marchand d’art est un personnage assez récent dans l’histoire. Il apparaît quand les peintres désorganisés par la disparition des corporations se trouvent fragilisés et doivent se mettre en quête d’un intermédiaire entre eux et les acheteurs. Qu’Ambroise Vollard soit « le marchand qui eut l’influence la plus décisive sur le développement de l’art moderne » se vérifie aux sommes colossales en jeu aujourd’hui, évoquées par Jeanne Smits le 23 juin dernier (L’Art Contemporain, vu d’un peu plus près). Les artistes profitent de l’envolée des prix, il n’en était rien autrefois.<o:p></o:p>

    Gauguin, aux Marquises, eut fort à souffrir des manières de Vollard avec qui il était en affaires. Le marchand non seulement envoya irrégulièrement et partiellement les sommes dues, mais encore dissimula l’existence des toiles en sa possession aux personnes qui souhaitaient en acquérir : cela s’appelle de l’accaparement. M. Malingue, l’éditeur des Lettres de Gauguin à sa femme et à ses amis (Grasset), n’hésite pas à désigner Vollard comme « un des principaux responsables de la misère de Gauguin. » Le marchand trouve des défenseurs dont le seul argument est que Gauguin avait un caractère difficile : étrange justification de la spéculation. <o:p></o:p>

    Après avoir envoyé à Gauguin le minimum vital pendant quelque temps en échange de l’expédition de ses toiles, Vollard finit par cesser son soutien, tout en faisant le mort postal, laissant l’artiste dans le désarroi : la dernière lettre de Gauguin (à son ami Monfreid) relate cette situation cruelle, alors qu’il attend plus de 1500 fr dus par Vollard qui le laisse sans aucune nouvelle. Le jeu trouble des marchands d’art, l’histoire n’en est pas encore écrite, et le musée d’Orsay ne s’est pas risqué à aborder la question.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    De Cézanne à Picasso : chefs-d’œuvre de la galerie Vollard,<o:p></o:p>

    jusqu’au 16 septembre 2007, Musée d’Orsay,<o:p></o:p>

    illustration : O. Redon, Profil de Lumière, Musée d'Orsay © Photo RMN - Gérard Blot<o:p></o:p>


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  • Au musée Rodin<o:p></o:p>

    Un Japon décanté<o:p></o:p>

    Présent du 7 juillet 07<o:p></o:p>

    En 1911, le groupe d’écrivains et esthètes japonais qui publiait la revue Shirakaba envoya en hommage à un Rodin septuagénaire et renommé trente estampes. Le sculpteur, pour remercier, offrit trois bronzes, dont il reçut, en guise de délicat accusé de réception, des photographies réfléchies (épreuves gélatino-argentiques) : les œuvres avaient été attentivement méditées. Les trente estampes enrichirent la déjà très honorable collection du Maître. A côté des planches de Hiroshige, il possédait des Kunisada, aux à-plats vigoureux, des Harunobu tout en finesse ; des dessins préparatoires, moins habituels. Il possédait également des brûle-parfums et autres bibelots plus ou moins encombrants.<o:p></o:p>

    En matière de japonisme, Rodin n’était pourtant pas un précurseur : il s’y intéressa à partir des années 1880, soit trente ans après que l’art et l’artisanat nippons aient attiré l’attention des Français. Les premiers japonisants avaient été Edmond de Goncourt, Félix Bracquemond, Emile Guimet, Octave Mirbeau…<o:p></o:p>

    L’influence du japonisme sur les artistes de l’époque fut variable mais il est certain qu’il épura le regard de beaucoup. Vincent Van Gogh avait vigoureusement éclairci sa palette après sa découverte des Japonais, et tempéré de poésie son réalisme nordique originel. S’il s’installa en Provence, c’est qu’il y trouva « son Japon », à savoir une terre baignée d’une clarté presque pure. Rodin acquit, sur les conseils d’Octave Mirbeau, dont l’influence en ce domaine fut sur lui décisive, le Portrait du Père Tanguy que Van Gogh avait représenté sur un fond décoré d’estampes, interprétées à l’huile et à la brosse. <o:p></o:p>

    A aucun moment, Rodin ne fit dans le japonais, à part quand il expérimenta certaines techniques, comme celle des cuissons des grès et des glaçages : il collabora avec des spécialistes de ces pratiques comme Paul Jeanneney et Edmond Lachenal pour des essais de tirages : on voit trois exemplaires de la tête du Balzac monumental en grès émaillé, l’une en brun et vert jaune, l’autre avec des éclaboussures en bleu verdâtre et la dernière en gris vert jaune. Le résultat n’est pas extraordinaire : car la manière de traiter un sujet et la technique mise en œuvre sont indissociables, or cette tête de Balzac n’avait pas été conçue pour cette technique.<o:p></o:p>

    L’art japonais a nourri et enrichi la réflexion artistique de Rodin. Pour lui ce grand art du trait rejoint l’art grec. Pas d’œcuménisme métissant ni de relativisme intellectuel dans cette manière de voir, mais la perception que sous des aspects différents règne une beauté unique, qui est celle de la Création. Constatant dans les dessins japonais « l’harmonie et la simplification de lignes des artistes anciens », il ajoute : « C’est que la nature est éternellement la même, et l’artiste n’est-il pas celui qui, s’étant mis à son école, a su mieux que les autres la voir et la comprendre. »<o:p></o:p>

    Concrètement, son œuvre est marquée par une Japonaise, la geisha Hanako. Cette femme se fit connaître en Occident dans les années 1900 en compagnie d’une troupe de danseuses et d’acrobates, que Loïe Fuller prit sous sa coupe. Elle joua des pièces adaptées du kabuki, à la fin desquelles elle mimait un hara-kiri, scène d’une violence inhabituelle pour les spectateurs de nos longitudes. Rodin la prit pour modèle entre 1907 et 1914. A part un buste qui est un portrait « classique » d’un intérêt limité, et outre des dessins de nus, il reste de cette rencontre féconde de nombreuses études et des masques qui montrent que les recherches du sculpteur furent acharnées : voulant rendre la sérénité ou la douleur, mais une douleur sans grimace, sans facilité, une douleur intériorisée ne se percevant en surface qu’avec subtilité, il s’épuisa en variantes et en essai. En terre cuite, en plâtre, en bronze ; grandeur nature, en plus petit ou plus grand que nature, aucun de ces masques que Rodin a fait de Hanako ne semble avoir abouti mais tous ont une grande force. Ils inspirèrent le photographe américain Edward Steichen, dont les épreuves montrent qu’il sut mettre en valeur ce qu’ils ont de fort malgré leur rang d’études.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Nota Bene. – Le musée Rodin ne se limite pas au septième arrondissement de Paris : la villa des Brillants à Meudon, où Rodin résida, se visite d’avril à fin septembre. Après un passage dans le pavillon du sculpteur, où il avait un petit atelier, on s’attarde dans la grande halle : toutes sortes de plâtres, des études pour le monument Victor Hugo, pour le monument Balzac, La Porte de l’Enfer, etc. Le parc est agréable, sur les hauteurs. Rodin et sa femme Rose y sont enterrés, sous un bronze du Penseur. Mais qu’une tombe, même ornée de la plus belle œuvre qui soit, est triste sans croix !<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p><o:p></o:p>

    Rodin, le rêve japonais, jusqu’au 9 septembre 2007, <o:p></o:p>

    Musée Rodin, 79 rue de Varennes, Paris VIIe<o:p></o:p>

    Et l’autre Musée Rodin, 19 av. Auguste-Rodin, Meudon (92), ouvert jusqu’à fin septembre, ven., sam. et dim. 13h-18h.<o:p></o:p>

    illustration : Masque de Hanako © Musée Rodin



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  • Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Corot

    le discret<o:p></o:p>

    Présent du 30 juin 2007<o:p></o:p>

    Fils d’un négociant et d’une modiste en vogue, Camille Corot (1796 –1875) se forma d’abord au métier de drapier. N’en déplaise à des biographes qui voulurent voir en lui un artiste révolté contre ses installés de parents, il se maintint dans cet état sans passion mais avec patience. L’envie de peindre lui étant venue au sortir de l’adolescence, il pratiqua mais dut attendre ses vingt-six ans pour que son père acceptât de lui servir une rente annuelle lui permettant d’en faire son métier. A partir de ce moment, Corot ne fit plus que peindre et dessiner. Tout ce qui était étranger à cette préoccupation, Corot l’écarta d’un revers de main. Révolution de 1830, Commune : le peintre se hâtait de quitter Paris avec son chevalet et sa boîte à peinture. On ne saurait être moins Courbet !<o:p></o:p>

    Cette vie sans anicroche et l’apparente simplicité de son art expliquent en partie l’indifférence polie qu’on a désormais pour Corot. Son renom n’est pas à la mesure de son talent. Pris entre Delacroix et Ingres, ou entre le néo-classicisme et l’impressionnisme, la discrétion de sa peinture, dont Champfleury disait justement qu’elle « ne joue pas de la grosse caisse pour l’oreille du bourgeois », lui confère aux yeux du public un rang de peintre mineur. Pourtant, quelle aisance et quelle science unies pour les plus poétiques effets ! Il est sans conteste l’un des grands du XIXe et prépare plus que nul autre la voie à Cézanne et Gauguin.<o:p></o:p>

    Corot se forma à l’école des néo-classiques Michallon puis Bertin. Etait prôné le paysage d’après nature, en étude préalable à des paysages recomposés en atelier illustrant scènes mythologiques ou historiques. La personnalité de Corot était telle que rapidement il peignit des études qui se suffisaient à elles-mêmes en dehors des références littéraires : un sujet aussi laborieux que Cicéron découvrant le tombeau d’Archimède, toile du théoricien du genre, Pierre Henri de Valenciennes, parle moins qu’un bouquet d’arbres auprès d’un rocher vu par Corot. L’étude de plein air, celui-ci la pratiqua tous les beaux jours de sa vie, gardant le travail en atelier pour l’hiver : il œuvra en Italie, en Suisse, dans le Morvan, en Normandie, dans le Nord, mais aussi du côté de Ville d’Avray où ses parents avaient une demeure.<o:p></o:p>

    En proposant à l’admiration des visiteurs non des peintures de Corot mais de ses dessins, le Louvre n’organise pas une exposition au rabais, car l’artiste répète souvent, dans les carnets où il notait ses pensées, la prépondérance que le dessin doit avoir. « Le dessin est la première chose à chercher – ensuite les valeurs – les rapports des formes et des valeurs – voilà les points d’appui – après, la couleur ; enfin, l’exécution. » Le rapport des formes et des valeurs : il y a dans cette phrase de quoi réfléchir pour tout peintre qui se respecte.<o:p></o:p>

    Les dessins de sa jeunesse sont marqués par la recherche de l’exactitude. Les dessins au graphite – des rochers, des arbres, des ruisseaux – sont presque secs de précision, l’emploi de la plume et de l’encre brune leur donne plus de souplesse. Corot mettait en pratique le précepte de son maître Michallon de rendre « avec le plus grand scrupule » ce qu’il avait sous les yeux. Mais il comprit rapidement qu’il y a autre chose à ne pas négliger : « Ne jamais perdre la première impression qui nous a émus. » Grâce à cette émotion, souvent liée à une lumière bien particulière, Corot saura exprimer une poésie inlassablement tirée du réel, qui s’épanouit dans la vieillesse féconde du peintre où il mêle le souvenir à l’invention. Ses dessins témoignent alors d’une liberté maîtrisée. En quelques traits qu’on oserait presque qualifier de lyriques, il distribue les masses d’un paysage. Le graphite aigu disparaît au profit du fusain velouté, par exemple dans les études pour les panneaux commandés par le Prince Demidoff. Le Sommeil de Diane (ou : La Nuit) est un fusain sur papier coloré, aux noirs profonds, et deux petits rehauts blancs : la lune, son reflet dans l’eau. L’effet est splendide.<o:p></o:p>

    Corot ne fut pas que paysagiste. La figure féminine retint son attention. Il croqua les ouvrières de l’atelier de sa mère – premiers émois, premiers dessins. Son voyage en Italie lui révéla la beauté italienne. « Ô Abel, écrit-il à un ami, ne passe jamais par Bologne. Cette ville renferme trop de séduisantes sirènes. » Au même : « Tu me demandes des nouvelles des Romaines. Ce sont toujours les plus belles femmes du monde que je connais. » On a ainsi des études d’Italiennes ou de jeunes Normandes en costumes locaux. Il remploya, en les adaptant, ces figures souvent pensantes, absorbées en elles-mêmes, interrompues dans une lecture, car il chercha toujours à enrichir ses paysages d’une présence humaine sans pour autant user des lourds prétextes non picturaux propres aux néo-classiques. L’œuvre de Corot, jusque dans ses dessins, nous rappelle que le grand art réside dans la simplicité.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Camille Corot, dessins du Louvre,<o:p></o:p>

    jusqu’au 27 août 2007, Musée du Louvre<o:p></o:p>

    illustration © RMN<o:p></o:p>


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  • Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    Des masques exorcistes<o:p></o:p>

    Présent du 23 juin 07<o:p></o:p>

    Le nuo est un rituel exorciste chinois qui remonte peut-être au néolithique. Il consiste en danses et processions de divers dieux : le dieu du tonnerre, à tête de poulet ; Tudi Gong, dieu du sol et des céréales, vieillard paterne ; Quan Yu, dieu de la guerre, et toute une ribambelle. A chacun correspond un masque, souvent grimaçant, à la mâchoire ou aux yeux parfois articulés pour plus d’effets, car les dieux doivent effrayer le démon Xiao Gui, responsable des maladies et des calamités. <o:p></o:p>

    En bronze à l’origine, les masques ont été ensuite réalisés en bois. Ce matériau fragile résiste mieux au temps lorsqu’il est peint, couvert de plâtre, etc. : les masques présentés au musée Jacquemart-André, issus pour la plupart de collections particulières, ont eu cette chance d’ainsi traverser quelques siècles (les plus anciens datant du XVIIe). Plus brutale que le Temps, la Révolution culturelle a détruit un bon nombre de ces masques populaires, et seuls ceux qui ont été cachés ont pu échapper au nettoyage maoïste. <o:p></o:p>

    Les comparer aux masques africains ou aux œuvres d’art religieuses occidentales est outré car ils sont inférieurs sur le plan artistique. Tout au plus peut-on les rapprocher des masques des sociétés secrètes africaines qui étaient supposées rendre la justice : objets purement utilitaires, dont l’aspect épouvantable est un obstacle à la beauté. La religion chrétienne a réservé les faciès terrifiants aux images du diable, ceux qui doivent l’écarter en sont au contraire exempts. <o:p></o:p>

    Le film de l’ethnologue Jacques Pimpaneau, spécialiste du nuo, qui l’étudie dans les régions où il subsiste le plus, au sud du Yang Tsé, sont plus intéressants. L’expulsion du petit démon permet de se faire une idée de l’expédition militaire céleste qu’exprime le rituel. Une danse simulant un combat a lieu, à la fin de laquelle le démon est mis à mort.<o:p></o:p>

    Le nuo a subi au cours du temps des influences diverses. Le taoïsme, religion de l’abandon à la nature, s’est aisément accommodé de ces dieux du sol, du tonnerre, etc. Le bouddhisme a ajouté des personnages tels que la bodhisattva Guanyin, le moine, et a développé une forme théâtrale avec des personnages typiques comme le juge, le moine, l’étudiant et le serviteur. Sous les Ming (XIVe –XVIIe), le culte des héros s’est substitué à l’exaltation de la nature : le personnage de Mlle Xian Feng  remonte à cette époque. Cette aimable demoiselle combattit les brigands et convertit son frère. Les masques de Mlle Phénix-immortel (puisque telle est la signification de son nom ; l’animal est représenté sur sa coiffure – photo) sont gracieux et paisibles. Cette nouvelle distribution de personnages amenait à raconter des histoires. A côté du nuo religieux originel existent donc le nuoxi, théâtre d’exorcisme, et un théâtre de représentations édifiantes issu du nuo.<o:p></o:p>

    Voici la trame d’une pièce. Maître Giang vivait un grand amour avec sa femme Pang San Chun. Cela excita la jalousie de Qiu Gupo, la commère du village, qui calomnia la fidèle et bien-aimée épouse auprès de sa belle-mère, procédé infaillible pour provoquer la séparation de Maître Giang et sa femme, qui ne tarda pas à se produire. Cependant leur fille An An, qui était partie étudier à la capitale, revint au village après avoir réussi ses examens. Elle dénonça les agissements de Qiu Gupo et ses parents se réconcilièrent. Voilà une péripétie assez fade, surtout par rapport aux intrigues de Desperate Housewives. <o:p></o:p>

    Plus amusante que tout cela, une dépêche Reuters du 11 juin : « Un tribunal chinois a condamné à des peines de prison deux responsables qui ont laissé un entrepreneur aveugle superviser la construction d’un pont qui s’est effondré alors qu’il était en chantier » – ledit entrepreneur ayant en outre modifié lui-même les plans de l’ouvrage. La HALDE a-t-elle un comptoir en Chine ? Elle devrait défendre ces responsables qui ont si bravement accepté ce maître d’œuvre « non-voyant ». Imaginez M. Schweitzer affublé d’un masque nuo, claquant de sa mâchoire en bois, partant en guerre contre le méchant démon de la discrimination – il siège rue Saint-Georges, après tout. Ça donnerait du relief à cette institution en mal de causes ; et un vague air ethnique et métissé du meilleur effet. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Masques de Chine, rite magique du Nuo, <o:p></o:p>

    jusqu’au 26 août 2007, Musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    illustration : Mlle Xian Feng, collection privée<o:p></o:p>


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  • Au château de Vincennes<o:p></o:p>

    Le donjon se visite<o:p></o:p>

    Présent du 16 juin 07<o:p></o:p>

    Pour le Parisien moyen, Vincennes n’est qu’une direction suburbaine indicative, un terminus extra-muros aux antipodes de la Défense. Tout l’oppose à la Défense, d’ailleurs : c’est un lieu d’histoire et non un quartier d’affaires ; la pierre y absorbe la lumière pour la restituer colorée et adoucie, à l’inverse des surfaces vitrées des gratte-ciels dont les reflets sont aveugles et hostiles.<o:p></o:p>

    L’occupation du site commence au XIIe siècle. D’abord simple relais de chasse royal en forêt de Vincennes, il se palatalise peu à peu et Jean le Bon, au XIVe, entreprend l’édification du donjon. Son fils Charles V achève le donjon, et ceint l’ensemble d’une fortification. Résider à Vincennes et y gouverner était stratégique : cela permettait de surveiller les mouvements d’humeur de Paris tous en restant protégé de leurs effets. Charles V n’était pas près d’oublier les remous suscités par les revendications d’Etienne Marcel.<o:p></o:p>

    Il entama également la construction d’une Sainte chapelle pour y garder une épine de la Sainte Couronne (les autres étant honorées dans celle de Paris), qui ne fut achevée que sous Henri II par Philibert Delorme. Elle vient d’être fermée au public et sa restauration va commencer, maintenant que celle du donjon est achevée.<o:p></o:p>

    Pour découvrir le donjon, la visite guidée est fortement recommandée. Elle dure une heure et demie. J’ai eu droit à une visite type : il y avait la dame qui pose des questions sans écouter la réponse ; et le monsieur qui pose des questions pour le plaisir d’y répondre lui-même. Une humeur égale est aussi nécessaire, pour un guide, qu’une mémoire sûre.<o:p></o:p>

    Après un petit détour par les vestiges de la fontaine du manoir d’origine, auprès desquels un chêne a été planté en mémoire de saint Louis, on se dirige vers le châtelet, petite construction fortifiée qui protégeait l’entrée du donjon mais comportait aussi des bureaux et des « pièces à vivre » (pour parler comme un décorateur). Sa façade était très ornée mais peu de sculptures ont résisté. Les armes du roi ont été bûchées, ainsi que deux dauphins, encore lisibles malgré tout – le lien est fait avec les chartes actuellement exposées au Archives nationales (Présent du 26 mai). Une sculpture de la Trinité couronnait le tout, il ne reste que le socle.<o:p></o:p>

    Le donjon a fière allure. La lisibilité de sa conception montre l’intelligence de l’architecte. De plan carré, cantonné d’une tour à chaque angle avec un aileron au sud, il s’élève sur cinquante mètres de haut. L’intérieur est tout aussi simplement pensé. Chaque étage est une pièce unique, carrée donc, voûtée de quatre ogives contrebutées sur les côtés par l’épaisseur suffisante des murs et se contrebutant les unes les autres au centre en retombant sur une colonne, qui, du rez-de-chaussée aux étages supérieurs constitue en quelque sorte la colonne vertébrale du bâtiment. Cette colonne confère à chaque salle légèreté et élégance, et met en évidence l’harmonieuse proportion du plan et de l’élévation.<o:p></o:p>

    A l’architecture identique correspond un décor identique, du moins pour les trois premiers niveaux, qui sont ceux qu’on parcourt. Les ogives reposent sur des culots : à chaque angle on trouve un des éléments du tétramorphe ; les quatre autres culots sont occupés par un prophète – façon classique d’exprimer la continuité entre Ancien et Nouveau Testament. Cette répétition est assez rare pour une époque qui aimait la diversité des décors et, le thème uniquement religieux surprend dans un lieu profane, quand tant de motifs profanes se répandaient dans les édifices religieux. C’est bien la piété de Charles V qui s’exprime avec ces motifs déterminés – aux deux sens du terme : le cabinet du roi reprend encore le tétramorphe, et une des deux clés de voûte est ornée d’une Trinité qui rappelait celle du châtelet.<o:p></o:p>

    Les siècles suivants ont eu le bon goût de ne pas modifier ni raser le donjon tandis que le site évoluait : Louis XIV confia à Le Vau l’édification de deux bâtiments, le pavillon du Roi et celui de la Reine. Mais, Versailles construit, le château de Vincennes perdit son rang de résidence et devint prison, une sorte de quartier VIP. Les cellules étaient aménagées dans les tourelles. Henri de Navarre, l’abbé de Saint-Cyran, le Grand Condé, le cardinal de Retz, Fouquet, Diderot, Mirabeau, Sade, Blanqui, Raspail… y firent un séjour. Napoléon y enferma son confesseur. C’est lui qui acheva l’arasement des tours, pour adapter le château à l’artillerie. <o:p></o:p>

    Les miniatures médiévales nous montrent le donjon et les tours émergeant des frondaisons serrées du bois de Vincennes. Aujourd’hui seuls restent le donjon et la tour dite « du village », et le panorama d’une commune de banlieue n’a rien de sylvestre ni de seigneurial. Cependant le château de Vincennes abrite le Service historique de la Défense, un rôle en parfait accord avec son importance patrimoniale.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Château de Vincennes

    illustration : Le donjon vu de l’Est © Schwa Ltd

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